Au coeur de la cise sanitaire, l’UGTG se mobilise pour défendre la liberté de prescription. Ce 9 avril, l’UGTG a engagé un recours en annulation contre le décret qui limite la prescription à base d’hydroxychloroquine préconisée par l’IHU de Marseille aux seuls cas graves, avec des troubles respiratoires justifiant une assistance Comme il y a urgence, l’UGTG a demandé la suspension immédiate d’exécution de ce décret.
Précisément, de quel décret s’agit-il ?
Le recours vise l’article 12-2 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020. En pratique, cet article 12 a été ajouté par décret n° 2020-314 du 25 mars 2020, autorisant la prescription d’hydroxychloroquine, et il a été modifié le lendemain par le décret n° 2020-337 du 26 mars 2020, limitant cette prescription aux cas graves.
Les référés-libertés n’ont pas permis de faire modifier ce texte. Pourquoi cette procédure ?
Le référé-liberté a le mérite d’être une procédure rapide, mais il faut un haut degré de flagrance dans la carence de l’action publique. Le Conseil d’État a répondu que la carence n’était pas assez caractérisée. Cela laisse intact le débat sur le fond, c’est-à-dire le contrôle de la légalité, d’où la démarche de l’UGTG : une demande l’annulation dans le cadre normal de la procédure.
L’UGTG entre-t-elle dans un débat médical ?
Non, c’est un débat juridique sur le statut du médicament et la liberté de prescription du médecin. L’UGTG ne prend pas position sur le débat médical, qui n’est pas de son ressort.
Le premier de moyen d’annulation traite de l’autorisation de mise sur le marché (AMM)
Une directive européenne du 6 novembre 2001, transposée dans la loi française, impose le régime des médicaments : à la suite d’études scientifiques, un médicament bénéficie d’une « autorisation de mise sur le marché (AMM) », qui définit l’efficacité du médicament, ses effets secondaires et ses domaines d’action. Pour protéger les industriels et les usagers de la santé, l’usage du médicament doit donc se faire dans le cadre de cette AMM. Toutefois, la directive préserve une exception, pour respecter la liberté de prescription du médecin. Lorsque, devant traiter un malade, le médecin estime qu’il ne dispose pas de médicament AMM, la directive lui reconnaît le droit de prescrire le médicament hors AMM, s’il peut expliquer son choix.
Ainsi, tout médicament bénéficie d’une AMM, qui est le droit commun, mais le médecin peut déroger au titre de la liberté de prescription. C’est la seule exception.
En quoi l’article 12.2 du décret du 23 mars 2020 viole-t-il la directive ?
Estimant qu’il y a des risques spécifiques, le gouvernement pouvait éventuellement prendre des mesures complémentaires dans le cadre de l’exception, c’est-à-dire en accompagnant la liberté de prescription de « recommandations ». C’est un mécanisme prévu par la loi, et il suffisait de le compléter. Ainsi le gouvernement pouvait adapter la liberté de prescription, mais il a choisi d’interdire la prescription de ce médicament, et pour ce faire, il a créé un régime spécifique, qui échappe au régime de l’AMM. Or, la directive ne le permet pas.
En pratique ?
Le régime obligatoire de l’AMM est repris en droit français par l’article L. 5121-8 CSP, et l’exception par la liberté de prescription hors AMM résulte de l’article L. 5121-12-1 CSP. Or, le décret ne modifie pas l’article L. 5121-12-1 CSP mais l’article L. 5121-8 CSP. Ainsi le gouvernement a créé une dérogation au régime général de l’AMM, pour imposer un régime obligatoire de prescription pour ce médicament, ce qui viole la directive de 2001.
Bref, le gouvernement aurait pu amender le régime de la prescription hors AMM mais il n’a aucun droit pour créer un nouveau régime juridique spécial. Le but est d’interdire la prescription, ce que ne permet pas la directive.
Le deuxième moyen concerne la violation de l’indépendance du médecin.
Selon la jurisprudence, l’indépendance du médecin est un principe général du droit. Comme toutes les libertés, la liberté de prescription du médecin peut être soumise à des conditions et des limites. Mais le gouvernement a créé ce régime spécial pour interdire t la prescription du traitement dans les cas non graves. Or, un décret ne peut remettre en cause une liberté protégée par un principe général du droit.
Le troisième moyen concerne la violation des droits du patient.
Le code de la santé publique consacre le droit du patient à bénéficier des meilleurs soins, par un accord passé avec son médecin, dans le cadre du colloque singulier qu’est la relation médicale. En faisant le choix d’interdire une prescription, plutôt que d’aménager l’exception, le décret bloque un droit reconnu par la loi au patient.
Le recours va prendre du temps ?
Le Conseil d’État a pris en compte l’urgence de la situation, et il a fixé un délai au Premier ministre et au ministre de la santé pour répondre avant le 16 avril. De fait, il y a un débat fracassant dans la société, et la population, qui fait face à une maladie grave, a de quoi s’inquiéter. Il revient au juge de trancher le débat.