Vu de France, les élections pour le Parlement européen sont souvent ressenties comme un scrutin de seconde zone, et de fait, elles ont souvent été l’occasion de recycler des personnalités politiques, comme un lot de consolation.
Grande erreur d’analyse, car il ne fait pas de doute que le Parlement européen est un vrai centre de pouvoir,… plus que l’Assemblée nationale, soumise au pouvoir exécutif. Depuis que Jospin a inventé de placer les élections législatives dans la roue de la présidentielle, les législatives ne sont qu’un vote de confirmation. La vie politique est réduite à presque zéro : il faut faire « front » à l’ennemi de prédilection, Le Pen, et la seule question est de savoir qui arrivera le premier des partis classiques. 20 % des voix au premier tour de la présidentielle donnent la Présidence de la République et la majorité à l’Assemblée nationale, donc toutes les clés du pouvoir. Le luxe total… De fait, cette assemblée, qui d’après la Constitution est la représentation du peuple, est à genoux devant son maître Président : depuis 15 ans, on ne connait pas un cas où elle ait marqué une influence quelconque sur le pouvoir exécutif.
Donc, voter pour les législatives, pourquoi pas,… mais pourquoi ?
La situation est bien différente au sein de l’Union européenne, et l’excellent Macron vient d’en faire la cruelle expérience.
S’estimant l’homme fort de l’Europe avec un Royaume-Uni sur le départ, une Merkel fragilisée par les élections internes, l’Italie et l’Espagne focalisées sur leurs enjeux politiques internes, Macron a cru qu’il avait les cartes en mains pour imposer son jeu. Raté, et les conséquences seront marquantes.
Pour commencer, il a créé au sein du Parlement européen en groupe politique nouveau, Renew, pour casser le jeu classique entre la droite (PPE) et les socio-démocrates.
– Comme à Paris ?
– Oui, la REM pour dézinguer les Rep et le PS
Sauf que : double flop… Car si ce Renew existe (108 députés), il a rogné les effectifs des deux autres, mais reste loin derrière le PPE (182), et les socio-démocrates (154). Et Macron n’est pas parvenu à faire élire comme chèfe de groupe Nathalie Loiseau, définitivement dépassée par les évènements.
Ensuite, viennent les conséquences de ce choix funeste, bien mises en lumière avec la mise en place de la Commission.
Au sein de l’Union, un consensus existait pour que le président de la Commission soit issu du groupe ayant fait le score le plus élevé au sein du Parlement, avec une désignation par consensus sur cette base. Le PPE, en tête, avait pressenti Manfred Weber, leader Allemand et fin connaisseur de l’UE.
– Quoi, une personnalité de poids pour diriger la Commission, et me faire de l’ombre, jamais !
Tractations tous azimuts, pour finalement admettre qu’il était logique que ce soit une personnalité allemande et du PPE, mais Macron a obtenu un accord gouvernemental pour désigner Ursula von der Leyen, magnifique sur le CV et les photos, mais avec un poids politique zéro, vu ses échecs dans la vie politique allemande.
– Une personnalité sans poids politique, et qui devra tout à mon implication, c’est pile ce qu’il me faut.
Il restait à obtenir l’investiture du Parlement, ce qui a été fait avec un vote sans enthousiasme le 16 juillet – 383 voix contre 327 – , un résultat en réalité alarmant car il a montré un partage des groupes, et au sein des groupes. Donc, pas de base stable, et des enjeux vitaux qui ré-apparaîtront pour tous les sujets importants.
Deuxième épisode, le choix du commissaire français, qui est un choix libre du gouvernement. La France s’est débrouillée pour obtenir un portefeuille extrêmement large – le marché intérieur, la défense, l’espace, la politique industrielle et le numérique – ce qui en a fait tousser plus d’un un, à juste titre – qui est compétent pour un tel travail, et pourquoi marginaliser les autres Etats ? – et elle a proposé le nom de Sylvie Goulard. Et là, les tracas sont apparus dans la lumière, crue, très crue.
Sylvie Goulard, ancienne député européenne, avait été une éphémère ministre de la Défense dans le premier gouvernement de Macron de 2017, mais elle avait dû démissionner car elle était mise en cause dans l’affaire des emplois fictifs d’assistant parlementaire quand elle était député européen du Modem. D’où cette réflexion simple : « Comment le risque pénal qui rend impossible d’être ministre est-il compatible avec le fait d’être commissaire ? »
Ensuite, il est ressorti que, alors qu’elle était parlementaire européenne, elle était rémunérée à hauteur de 10 000 € par mois par un think tank parfaitement douteux, le Berggruen Institute, lié aux fonds vautours, ce pour un travail dont on n’a jamais rien su. Curieuse manière de se consacrer à sa fonction de parlementaire européen.
Il y avait donc deux motifs très valables pour rejeter cette candidature, et la volonté du Parlement de marquer son poids face à la France, a fait le reste. Après deux auditions humiliantes, Sylvie Goulard a été rejetée par un vote cinglant, de 29 voix pour 82 contre. C’est la première fois de l’histoire européenne que la France ne parvient pas à faire admettre le candidat qu’elle a désigné pour la Commission européenne.
Et pour compléter le tout, Macron a réagi en incriminant Ursula von der Leyen :
– Je ne comprends pas, elle m’avait assuré qu’il n’y avait aucun problème.
Bref, à la française, sans comprendre qu’en Europe, le Parlement est un organe politique indépendant, et qu’en plus, Ursula von der Leyen n’a que si peu de poids politique.
Il faut clore l’incident, et il n’y a pas de doute que la France va trouver le nouveau nom d’un candidat commissaire, et que le Parlement investira. Mais ne nous trompons pas : tout le mandat qui va suivre sera marqué par ces événements à savoir un Parlement construit entre plusieurs séries de groupes d’influences avec, sur chaque question importante, des majorités instables face à une Commission affaiblie. Et le ressentiment sera d’autant plus vif si la France maintient pour sa commissaire ce trop large domaine de compétence.
Affaire à suivre, mais une chose est déjà sûre : lors des prochaines élections européennes, tout le monde connaîtra le rôle décisif du Parlement européen