Les actualités du droit, avril 2022

En musique avec Paco de Lucía

Paco de Lucía, guitariste de génie, et la magie du flamenco au 31eme festival de jazz de Leverkusen, en 2010.

Focus sur… notre avenir ?

Et si Marine Le Pen gagne…

Sans doute plus que d’autres, cette élection présidentielle est faite d’incertitudes, et beaucoup de choses peuvent encore bouger dans la dernière ligne droite. Après le Covid, les graves évènements en Ukraine ont anesthésié les débats, le président sortant amplifiant le mouvement en jouant une campagne écourtée, impalpable. Beaucoup d’inconnues pour ce deuxième tour, et d’abord la participation au vote, avec nombre d’électeurs qui peuvent se décider dans les derniers jours. Ce sans compter les événements de fin de campagne. Macron la joue comme si cette campagne était du temps perdu, car l’adversaire n’est « que » Le Pen. Effectivement, voir l France porter au pouvoir une figure de l’extrême droite, ça paraissait il y a peu d’un autre monde. Sauf que l’extrême droite n’a jamais été si forte : 23,4 + 7,1 + 30,5. On verra, sauf que désormais, chacun a bien conscience que la victoire de Le Pen est une issue possible. 

1/ Les présidents sortants ont toujours eu beaucoup de peine avec les élections. En 1986, Mitterrand a subi une cohabitation, et quelques années plus tard en procédant à une dissolution, Chirac a fait renverser sa propre majorité. Sarkozy qui se représentait a été sèchement battu, et Hollande était tellement affaibli qu’il n’a pu se présenter. 

2/ Macron a perdu toutes les élections intermédiaires, notamment les municipales et les européennes. Il a perdu aussi nombre de législatives partielles, et globalement ses députés, qui doivent être ses fantassins, restent des inconnus dans leurs territoires. Certes, la présidentielle focalise les enjeux, mais on revient de loin.

3/ jour après jour, Macron a tout fait pour se placer dans ce duel avec l’extrême droite, pour s’assurer un deuxième tour tranquille. On voit le résultat. Il a traité des mouvements aussi considérables que les gilets jaunes ou les anti-vaccin covid par la répression, le rejet comme misérables ennemis, et une communication bidon. Ça laisse des traces. Politiquement inorganisés, certes, mais prêts à se mobiliser contre. 

4/ Laissent encore plus de traces, le renforcement des inégalités, avec pour base cette odieuse théorie du ruissellement : on enrichit les premiers de cordées, et il en résultera de petits ruisseaux pour les pauvres. Non, l’indispensable cohésion sociale passe par la solidarité. Et puis, comment voter pour quelqu’un qui insulte les chômeurs « il suffit de traverser la rue pour trouver du travail », et expose comme jamais le mépris de caste : « il y a les gens qui ont réussi et ceux qui ne sont rien ». 

Et attention, Le Pen de 2022, ce n’est pas le réchauffé des scénarios antérieurs, pour deux raisons principales. 

D’abord, l’invention de Zemmour, bombardé sur les médias de manière insensée, pour le propulser ensuite candidat. Au final, cet inculte incarne désormais la vieille extrême droite, rance et stérile, que l’on retrouve tout au long de notre histoire aux alentours de 10%. Du gros glauque – puant, suant et soufflant – mais qui dégage de l’espace politique à Le Pen, assagie, prenant ses distances avec les affreux. Elle fait campagne un peu sur ses politiques discriminatoires, mais beaucoup sur la fracture sociale, affichant sa proximité avec ceux qui vivent les fins de mois difficile. 

Ensuite, la faute essentielle de Macron est d’avoir détruit l’opposition droite/gauche, un joli coup… mais un fusil à un coup, avec un résultat catastrophique. Le résultat est en effet qu’il n’y a plus de vote socialiste et à peine un vote de droite classique car Macron a siphonné le programme des uns et des autres. Il s’assure donc un socle électoral solide, avec ces gros blocs venus de la gauche et de la droite, mais avec une impossibilité de se dépasser… et surtout en refusant de créer un parti politique ! Comment imaginer que cet insignifiant En marche vienne, sans rien faire et par magie, remplacer les deux grands partis qui ont structuré la vie politique depuis 50 ans ? Les partis ont des hauts et des bas, mais les électeurs sont là, et qui leur parle de leur politique ? 

Le résultat est le rétrécissement du jeu politique, et la seule offre politique nouvelle, c’est Marine Le Pen 2022, une offre politique populaire et simple, elle aussi dédouanée du « droite gauche » qu’a détruit Macron, et de plus délestée de la vieille extrême droite que gère l’illuminé Zemmour. 

Mélenchon après une excellente campagne, montre qu’il reste intact un vote de gauche. Le slogan « pas une voix pour Le Pen » est vite proclamé, mais que fera cette masse de 20% d’électeurs ? Le résultat est entre ses mains.  

Réponse dans quelques jours, mais si Macron gagne après cette campagne tronquée, son second mandat n’aura ni source, ni fondation. Le parti LREM n’existe pas, et c’est un jeu sans perspective. Ce sera la poursuite de la gestion, et très vite se mettront en place les équipes de Philippe et de Wauquiez pour préparer 2027. 

Alors, Marine Le Pen présidente, c’est une hypothèse qui tient. 

Si elle gagne la présidentielle, il y a tout lieu de penser qu’elle obtiendra aussi une majorité lors des législatives. Ce ne sont pas les députés En Marche, sans encrage ni bilan, qui feront rempart de quoique ce soit. Les législatives après les présidentielles, comme un vote d’appui amplifiant le vote présidentiel, c’est l’exploit d’un certain Jospin. Donc, le pouvoir dans les mains de Le Pen, et la catastrophe annoncée ? Ce sera plus compliqué. 

Bien sûr, il y aura de la casse, et seront d’abord frappés les plus fragiles : les étrangers mal installés, à commencer par les malades, vu la fin annoncée de l’AME. Mais quelle politique globale peut conduire Le Pen ? 

Si elle gagne, elle va récupérer le bilan de Macron, soit la dette publique, avec le déficit public passé de 3 à 6 % du PIB. Ce n’est pas la faillite, mais la nécessité d’emprunter au jour le jour des sommes colossales. Donc si la politique économique et sociale inquiète, les banquiers augmenteront d’un chouia les taux des emprunts, et ce serait une ruine pour l’Etat, avec des conséquences qui seront terribles pour les plus démunis. Le gouvernement devra être sage et se renier, ou foncer, et donc d’une manière ou d’une autre, le mécontentement maximal assuré en quelques mois. 

Sur le plan social et des droits fondamentaux, on se calme, ce n’est pas la peine d’agiter l’épouvantail d’un Pétain bis. A l’époque, c’était la guerre conduite par les nazis, et la loi faisait tout. Actuellement, la loi est insérée dans un corps de principes fondamentaux, qui sont le socle de nos libertés, avec des recours devant des juridictions aussi efficaces que la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) de Luxembourg, et la Cour européenne des Droits d’Homme (CEDH) de Strasbourg, recours aussi devant un Conseil constitutionnel politiquement anesthésié, mais qui peut se réveiller. Les syndicats, les associations, les citoyens et les avocats seront comme une armée contre les mesures discriminatoires et attentatoires aux droits fondamentaux. Et Le Pen ne pourrait rien faire contre l’indépendance des juges : l’Union européenne doit couper les vivres aux Etats qui remettent en cause l’indépendance de la justice. La Hongrie et la Pologne ont contesté cette règle devant la CJUE, qui leur a infligé une sévère défaite : l’Union européenne est une union de droit. 

Nous avons les moyens juridiques de bloquer toutes les politiques discriminatoires, xénophobes, ou antimusulmanes. La victoire de Le Pen ouvrirait une grande phase d’activisme social et juridique, et comme elle ne peut changer ni les textes fondamentaux – Déclaration des droits de l’homme de 1789, Préambule de 1946, Charte des droits fondamentaux de l’UE, Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, Pacte des droits civils et politiques de 1966 – ni les juges, elle perdra lamentablement. Donc le péril Le Pen, c’est le péril pour Le Pen, car si ces politiques feront du mal, au final, elle renoncera et perdra tout. Donc, politiquement, le terrain se dégagera de ce côté-là. Ce serait un mauvais, très mauvais moment à passer, mais ce ne serait qu’un moment.

Les actualités du droit, mars 2022

3 mars – Sénégal : Un an après la mort de 14 manifestants, les familles réclament justice

Le 3 mars 2022 marque le premier anniversaire des manifestations dans plusieurs villes du Sénégal, avec le bilan, en 5 jours, de 14 personnes tuées, dont 12 à la suite de tirs par balles par les forces de défense et de sécurité, et au total près de 600 blessés selon la Croix-Rouge Sénégalaise.

Le gouvernement avait annoncé en avril 2021 l’ouverture d’une commission d’enquête, mais au mois de décembre 2021, Macky Sall a annoncé qu’elle était remplacée par une procédure judiciaire. Or, le dossier ne bouge pas, et les familles des victimes voient bien le dossier s’enliser. Dans une déclaration du 5 mars 2021, le ministre de l’Intérieur avait qualifié les manifestations d’« actes de terrorisme et de banditisme » et dénoncé la présence de « forces occultes » derrière ces manifestations. Bien mal parti pour une justice courageuse et sereine.

Amnesty International, la Ligue Sénégalaise des Droits de l’Homme (LSDH), et la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADDHO) lancent une campagne « Ensemble, demandons justice pour les victimes de la répression violente des manifestations au Sénégal », affirmant : « Les autorités sénégalaises doivent garantir que les forces de défense et de sécurité respectent et protègent le droit à la vie et le droit à la réunion pacifique de la population sénégalaise en conformité avec les Lignes directrices de la Commission Africaine des droits de l’Homme et des Peuples pour le maintien de l’ordre par les agents chargés de l’application des lois lors des réunions en Afrique ». 

12 personnes tuées par des tirs provenant des forces de l’ordre, et pas d’enquête en un an, ce sont deux fautes graves des autorités. 

11 mars – Allemagne : la justice autorise la surveillance de l’extrême droite

Le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) avait été mis sous surveillance par les services de renseignement intérieur, comme « cas suspect », en mars 2021. Le parti s’en était aperçu, et avait formé un recours, obtenant la suspension de cette mesure, mais un tribunal administratif de Cologne vient de donner raison au service de renseignement, qui pourra ainsi surveiller les communications ou introduire des informateurs au sein de l’AfD pour déterminer si le parti porte atteinte à l’ordre démocratique, écrit l’hebdomadaire allemand « Die Zeit ». Selon le jugement, il existe en effet « suffisamment d’indices réels de tendances anticonstitutionnelles au sein du parti ». 

12 mars – Arabie Saoudite : 81 exécutions capitales en une journée  

MBS montre à ses alliés occidentaux qu’il apprécie mal les critiques, même bien modestes, et qu’ils devront, pour ne pas se fâcher avec l’Arabie Saoudite, supporter ses manières de faire. 

Le Royaume a exécuté en un jour 81 condamnés à mort pour des crimes bien sûr liés au « terrorisme », soit 73 Saoudiens, sept Yéménites et un Syrien. Ce chiffre record dépasse à lui seul le total des exécutions pour 2021. 

Selon l’agence officielle SPA, ces personnes étaient membres de groupes terroristes, parmi lesquels l’organisation jihadiste Etat islamique et les rebelles Houthis au Yémen, et avaient tenté plusieurs attaques contre des lieux de culte, des bâtiments gouvernementaux ainsi que des « installations vitales pour l’économie du pays ». Chacun des coupables aurait été « condamné par des tribunaux saoudiens lors de procès supervisés par 13 juges ».

Une procédure purement politique, car l’Arabie saoudite est un régime policier, qui refuse de signer le moindre texte international sur l’indépendance de la justice ou le caractère équitable du procès. Les juges sont des agents du pouvoir, qui font ce que veut le pouvoir. 

12 mars – Brésil : Caetano Veloso appelle son pays à se soulever contre Bolsonaro

Dans un entretien à l’AFP, Caetano Veloso appelle les Brésiliens à réagir à neuf mois de la présidentielle.

Vous critiquez la politique environnementale depuis longtemps. Pourquoi avoir décidé d’organiser cette manifestation maintenant ?

« Certains de ces projets de loi sur l’environnement sont déjà en cours d’analyse à la chambre des Députés et vont arriver au Sénat. Il fallait trouver le bon moment pour réagir. Nous avons pu réunir des artistes, ainsi que des représentants de mouvements sociaux et associatifs qui luttent pour la défense de l’environnement ».

Quelles sont vos inquiétudes au sujet des peuples indigènes ?

« Les indigènes sont les principales victimes, ils sont notamment visés par le projet de loi qui prévoit de légaliser les activités minières sur les territoires autochtones. L’argument qui consiste à dire qu’on a besoin de potassium à cause de la guerre en Ukraine (qui risque d’affecter les importations d’engrais venant de Russie), c’est juste un prétexte. Ce texte fait partie d’un plan pour démanteler toute protection de l’environnement. Beaucoup d’autres choses sont en train d’être détruites au Brésil, y compris les activités culturelles. Mais l’environnement, ça touche tout le monde. C’est horrible ce qui se passe au Brésil. J’ai vécu sous une dictature militaire (1964-1985), j’ai été arrêté, j’ai dû m’exiler. Mais aujourd’hui, en pleine démocratie, certaines propositions du gouvernement sont encore pires. Les Brésiliens doivent réagir, pour le bien de leur santé mentale, physique et spirituelle ».

Qu’attendez-vous de la présidentielle d’octobre ?

« Il y a de la place pour l’optimisme, mais il y a aussi beaucoup de crainte. Le bolsonarisme est effrayant dans sa capacité à utiliser les réseaux sociaux. C’est un phénomène mondial, comme on l’a vu avec Steve Bannon. C’est comme une maladie mortelle qui touche l’ensemble de la société. Mais je suis d’un optimisme pragmatique et je ne veux pas fuir mes responsabilités. Il est possible que Bolsonaro perde. Mais ce qu’il représente ne disparaît pas d’une minute à l’autre. J’espère qu’il ne gagnera pas, mais le bolsonarisme ne va pas s’en aller si facilement ».

13 mars – L’Allemagne commande 35 avions US F-35 

Christine Lambrecht, le ministre de la Défense allemande, a annoncé que son pays qui devait renouveler sa flotte d’avions Tornado, a fait le choix de commander 35 avions de chasse F-35 de Lockheed Martin, pour 6 milliards d’euros. 

Les Tornado étaient certifiés pour transporter les bombes nucléaires B-61 stockées par les troupes US en Europe dans le cadre de la politique de dissuasion de l’Otan, et avec cette commande, l’Allemagne fait le nécessaire pour remplir sa mission nucléaire pour l’Otan.

Cette commande embrouille le projet franco-germano-espagnol SCAF (système de combat aérien du futur) qui doit remplacer à l’horizon 2040 les avions de combat Rafale français et les Eurofighter allemands et espagnols. En effet, cela est de nature à remettre en cause le besoin d’un nouveau chasseur européen à horizon 2040 pour l’Allemagne, ce qui était pourtant l’objectif du projet européen SCAF. 

Le SCAF, « pierre angulaire du projet d’Europe de la défense », est dans la tourmente depuis plusieurs mois en raison de rivalités quant à la répartition du travail entre le français Dassault et Airbus, qui représente les intérêts allemands et espagnols. Le jeu reste ouvert, car sur fond de guerre en Ukraine, Berlin a annoncé engager une enveloppe exceptionnelle de 100 milliards d’euros – on verra – pour moderniser son armée et dépenser chaque année au moins 2 % de son PIB dans la défense. Avec la guerre, tout redevient possible. 

14 mars – Guerre en Ukraine : la France a vendu du matériel militaire à la Russie jusqu’en 2020 

Selon le site d’investigation Disclose, la France a équipé l’armée russe entre 2014 et 2020 d’un matériel militaire qui sert actuellement en Ukraine.

Ces livraisons ont aidé la Russie à moderniser ses forces aériennes et terrestres, avec des livraisons de 2014 à 2018. Au total, 76 licences d’exportation de matériel de guerre pour un montant de 152 millions d’euros. Il s’agit notamment de caméras thermiques destinées à équiper des chars d’assaut russes. Intégrée au système de visée d’un char d’assaut, la caméra Catherine vendue par Thalès permet de détecter des cibles humaines en pleine nuit ou de repérer un véhicule dans un rayon de dix kilomètres.

Petit problème : depuis août 2014 et l’invasion de la Crimée par la Russie, l’Union européenne a imposé un embargo sur les armes à destination de la Russie. Dans un communiqué, le ministère des armées français a reconnu ces livraisons, expliquant qu’elles étaient possibles car il s’agissait de marchés conclus avant 2014, un argument particulièrement nul. L’Elysée et Quai d’Orsay n’ont pas souhaité communiquer à ce sujet, mais par contre, ils sont disponibles pour communiquer sur leur soutien au peuple ukrainien.

17 mars – Rapport du Sénat sur l’influence des cabinets de conseil 

Publication du très sérieux rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’influence des cabinets de conseil : 361 pages, auditions sous serment de 47 personnes, 7 000 documents. En annexe, une liste de près d’un millier de prestations de conseil réalisées au cours du quinquennat d’Emmanuel Macron. Conclusions ? Les dépenses de conseil ont doublé depuis 2018 : 894 millions d’euros en 2021, contre moins de 400 millions en 2018. 

Arnaud Bazin, sénateur Les Républicains du Val-d’Oise et président de cette commission d’enquête, fait le constat : « Le phénomène est tentaculaire. On retrouve, dans l’ensemble des politiques de l’État, l’intervention de ces cabinets de conseil de façon exponentielle ». 

Éliane Assassi, sénatrice communiste de Seine-Saint-Denis, rapporteuse, déplore une « intrusion en profondeur du secteur privé dans la sphère publique » : « Ils installent leur logique de réduction du nombre de fonctionnaires, qui peuvent être remplacés par des cabinets privés, peu importe si cela coûte un pognon de dingue. Et encore, nous n’avons qu’une estimation minimale de l’argent public dépensé, car nous n’avons interrogé qu’environ 10% d’agences de l’État ». 

Le cabinet McKinsey, qualifié de clef de voûte de la politique vaccinale, a facturé 12 millions d’euros pendant la crise sanitaire. 

Le rapport multiplie les croisements d’informations, mais il s’est avéré impossible d’établir la liste, le contenu des missions, et les travaux rendus. Quelles préconisations délivrent-ils à l’administration ? Où sont les rapports qu’ils produisent ? Même la commission d’enquête s’est heurtée à un mur lors des auditions, avec des ministres parfois incapables de justifier la raison d’être de certaines prestations. Et ce, huit ans après un rapport de la Cour des comptes qui alertait l’Etat sur le manque de traçabilité de ces missions. 

S’ajoute le jeu fiscal. Pour 2020, McKinsey France a réalisé 329 millions de CA mais n’a pas payé l’impôt sur les sociétés, et c’est ainsi depuis dix ans. Bien sûr, cette arnaque fiscale est légale : la société mère facture à ses filiales une série de prestations – administration générale, usage de la marque, assistance interne, mise à disposition de moyens – qui en réalité sont ajustées sur le profit réalisé par la filiale. La pauvre ne fait donc aucun résultat, car elle doit le transférer à la maison mère… Laquelle est installée dans le Delaware, un Etat des US où l’impôt sur les sociétés concernant les activités réalisées en dehors de l’Etat est quasi nul.

Macron Emmanuel, ministre des Finances, n’avait rien vu… alors que McKinsey lui offrait ses services pro bono pour préparer sa candidature aux présidentielles. De nombreux liens existent entre Macron et Karim Tadjeddine, le boss de McKinsey public, comme l’avait déjà documenté une enquête du Monde en février 2021.

17 mars – Pérou : le Tribunal constitutionnel ordonne la libération de l’ancien dictateur Fujimori

Le Tribunal constitutionnel péruvien, à quatre voix contre trois, a ordonné la libération de l’ancien président Alberto Fujimori, condamné en 2009 à vingt-cinq ans de prison pour crimes contre l’humanité et corruption. Un jugement très politique car il rétablit la grâce accordée en décembre 2017 par l’ex-président de droite Pedro Pablo Kuczynski, mesure qui avait généré des mobilisations massives de rejet dans le pays.

Fujimori avait été jugé pour les massacres de Barrios Altos et de La Cantuta en 1991 et 1992, par le groupe Colina, un escadron de la mort de l’armée péruvienne. Le premier a fait quinze morts dans le quartier de Barrios Altos à Lima le 3 novembre 1991. Le second fait référence à l’enlèvement, la torture et le meurtre d’un professeur et de neuf étudiants de l’Université La Cantuta de Lima. Arrivé au pouvoir pour mater l’insurrection armée conduite par le Sentier Lumineux, Fujimori avait mené une politique eugéniste en stérilisant de force des centaines de milliers d’indigènes dans les régions rurales du pays, des faits pour lesquels un procès doit s’ouvrir en 2022. 

Le président Pedro Castillo tente de prendre ses distances avec cette décision judiciaire, mais il a besoin d’une alliance avec la droite, voire avec l’extrême droite, pour se maintenir, et cet intérêt guide ses choix.

21 mars – Le gouverneur de la banque centrale, Riad Salamé, accusé devant la justice

Soupçonné de détournement de fonds publics, Riad Salamé, le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), a été officiellement accusé d’enrichissement illicite et de blanchiment d’argent. La procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban a engagé des poursuites contre l’homme qui gère les finances de l’Etat libanais depuis 1993, mais aussi son frère cadet Raja Salamé, son ancienne compagne ukrainienne, Anna Kosakova, ainsi que trois sociétés dans le cadre de l’acquisition de quatre luxueux appartements à Paris, entre 2007 et 2014. 

Riad Salamé affirme avoir constitué sa fortune avant son arrivée à la tête de la BDL, à partir d’un héritage et de ses revenus comme banquier d’affaires chez Merrill Lynch. 

La procureure déplore le refus de toute aide de la France, la demande d’entraide judiciaire étant bloquée alors que le patrimoine parisien est pourtant au cœur d’une information judiciaire ouverte, en juillet 2021, à Paris contre « X pour des chefs de blanchiment en bande organisée et association de malfaiteurs ». 

Des enquêtes visant M. Salamé ont aussi été ouvertes en Suisse, en Allemagne, au Liechtenstein et au Luxembourg.

22 mars – CO2 : Shell a fait appel d’une décision de justice aux Pays-Bas

Un tribunal de La Haye avait enjoint à la multinationale anglo-néerlandaise de réduire d’ici à fin 2030 ses émissions de CO2 de 45% nets par rapport à 2019, estimant qu’elle contribuait aux conséquences désastreuses du changement climatique.

Cette procédure judiciaire, appelée « le peuple contre Shell », avait été lancée en avril 2019 par plusieurs ONG, dont les Amis de la Terre et Greenpeace. Plus de 17.000 citoyens néerlandais s’étaient également constitués partie civile. Un jugement de grand intérêt, car il s’alignait sur les références de l’Accord de Paris sur le climat. 

Shell a décidé de faire appel : « Nous voulons être un leader dans la transition énergétique, et nous accélérons notre stratégie pour devenir une entreprise à zéro émissions net d’ici à 2050, mais, le groupe ne peut à lui seul influencer directement les choix énergétiques de ses clients. C’est aux gouvernements de mettre en place les politiques apportant des changements fondamentaux dans la façon dont la société consomme l’énergie ». Pas faux…

22 mars – Ligue 1 : salaires de folie au PSG, Neymar à quatre millions

Dans le classement du salaire des joueurs de Ligue 1 établi par L’Équipe, les 14 premières places sont occupées par des joueurs du PSG, contrôlées depuis 2011 par le fonds souverain qatarien Qatar Investment Authority (QIA). Le salaire mensuel de Neymar est de 4.083.000 euros, celui de Messi 3.375.000 euros et 2.220.000 euros pour Mbappé. Le salaire moyen au PSG s’élève à 990.000 euros, pour 226.000 euros à Marseille, 185.000 euros à Monaco, 130.000 euros à Nice et 120.000 à Lyon.

Un salaire mensuel de quatre millions… 130 000 euros chaque jour : vive le foot, et les glorieuses valeurs du sport ! 

23 mars – Israël impose aux Palestiniens « une réalité d’apartheid dans un monde post-apartheid », dit un rapport de l’ONU

Michael Lynk, rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans « le Territoire palestinien occupé depuis 1967 », a publié son dernier rapport avant de mettre fin à son mandat et d’être remplacé par Francesca Albanes. 

Il conclut que la situation et les preuves en vigueur sont satisfaisantes pour parler de l’existence d’un apartheid qu’Israël impose aux Palestiniens. « Israël a imposé à la Palestine une réalité d’apartheid dans un monde post-apartheid. » Le vocabulaire est fort, il enchaîne les arguments : « Il y a un régime institutionnalisé d’oppression et de discrimination raciale systématique, il y a le maintien d’un système de domination d’un groupe racial-national-ethnique sur un autre, et ce système a l’intention de rester permanent, s’appuyant sur la pratique d’actes inhumains… tout ça entre dans la définition de l’apartheid ». Dans ses recommandations, il appelle aussi la communauté internationale à réagir, à « imposer des conséquences significatives aux autorités israéliennes pour mettre un terme à l’occupation et à l’apartheid ». Une position déjà défendue depuis plusieurs années par des ONG palestiniennes de défense des droits de l’homme ; puis, depuis 2021, par l’ONG israélienne B’Tselem, suivie de Human Rights Watch et enfin Amnesty International.

Désormais très branchés sur le respect des droits fondamentaux, les dirigeants européens se sont aussitôt attelés à publier un communiqué corsé et à arrêter un plan de sanctions… 

23 mars – Le sort des anciens militants d’extrême gauche italiens devant la cour d’appel de Paris 

La chambre de l’instruction de Paris entreprend l’examen des demandes d’extradition envoyées par l’Etat italien à l’encontre de dix anciens militants d’extrême gauche italiens vivant en France.

Ils sont tous arrivés en France dans les années 1980 et 1990, fuyant l’Italie, où ils étaient poursuivis ou condamnés : le gouvernement leur accordait l’asile politique s’ils renonçaient à la lutte armée. Une prise de position politique sans concrétisation juridique, et à l’épreuve, l’engagement chancelle. Aujourd’hui, l’Elysée assume ce revirement au nom de « l’absolu besoin de justice des victimes que la France, elle-même touchée par le terrorisme, comprend ».

Ces demandes d’extradition ont été formées le 8 avril 2021. Pour le moment, c’est la phase judiciaire de la demande. D’après la défense, les demandes sont bien peu documentées. 

24 mars – En Inde, une cour d’appel régionale reconnaît pour la première fois un viol conjugal

Il y a cinq ans, une femme avait déposé plainte contre son mari pour viol. Le mari contestait car le Code pénal indien ne punit pas, en effet, le viol conjugal. Mais à la surprise générale, le juge de Bangalore a rejeté son appel. Il estime que cette exception ne peut être admise, car elle viole l’égalité entre hommes et femmes garantie par la Constitution : « L’institution du mariage ne peut pas conférer à l’homme un privilège spécial qui lui permette de déchaîner une violence bestiale ». La cour d’appel de New Delhi doit prochainement se prononcer sur le recours formé par deux associations qui demandent d’invalider cette exception du Code pénal et de reconnaître le viol conjugal. 

26 mars – Orpea : L’Etat saisit la justice et demande la restitution de dotations

« Au regard de dysfonctionnements graves », l’Etat « porte plainte et saisit le procureur de la République », demandant en outre la restitution « de dotations publiques présumées détournées de leurs fins », a-t-elle ajouté. Ces décisions font suite au rapport d’enquête que les Inspections générales des Finances (IGF) et des Affaires sociales (IGAS) viennent de transmettre au gouvernement, qui les avait saisies le 1er février pour faire la lumière sur les faits dénoncés par le journaliste Victor Castanet dans un livre, Les Fossoyeurs.  

Orpea est soupçonné d’avoir augmenté son bénéfice en embauchant moins de personnels soignants que ce que lui permettaient les dotations publiques versées dans ce but, en conservant les fonds non dépensés. Le groupe est également soupçonné de « majorer artificiellement le coût des achats financés par l’argent public », via un système de « remises de fin d’année » accordées par ses fournisseurs. Les sommes en jeu sont de l’ordre de « plusieurs millions » d’euros, a dit la ministre ce samedi matin.

D’accord, et très bien, mais on constate qu’il ne se serait rien passé sans le courageux livre de Victor Castanet.

31 mars – Stéphane Richard condamné et indemnisé : un cas intéressant de réinsertion pénale

Après sa condamnation à un an d’emprisonnement avec sursis et 50.000 euros d’amende, dans l’affaire de l’arbitrage Tapie et le Crédit Lyonnais, Stéphane Richard a dû quitter son travail, mais il a obtenu de son très social employeur une indemnité exceptionnelle de 475.000 euros : « Le conseil d’administration a décidé d’accorder cette rémunération exceptionnelle à Stéphane Richard pour avoir piloté et suivi pendant plusieurs mois un processus rigoureux de sélection de la future directrice générale et du futur président non exécutif».

Cette indemnité correspond à la moitié de la rémunération fixe annuelle du dirigeant, et celui-ci bénéficiera également de ses rémunérations fixes et variables calculées au prorata du temps passé dans l’entreprise en 2022. Le mandat de Stéphane Richard arrivait initialement à son terme mi-2022, et donc rien n’a changé. En 2018, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, avait prévenu qu’en cas de condamnation, Stéphane Richard devrait remettre son mandat, alors que Orange a pour premier actionnaire l’État, qui détient plus de 20% du capital de l’entreprise.

Ces gens-là font vraiment ce qu’ils veulent. 

31 mars – Ukraine : Mouvement de retrait des troupes russes

Attention aux informations en temps de guerre, mais il apparait bien un mouvement de retrait des troupes russes. Combien, comment, pourquoi ? Nous verrons, mais nous voyons quand même une réalité, à savoir que Kiev n’a pas été atteinte et que le régime reste en place, car l’armée ukrainienne – avec des livraisons militaires, mais sans appui direct de troupes étrangères – a bloqué l’offensive russe. La guerre n’est pas finie, mais au niveau des troupes conventionnelles, on mesure la limite du possible. Reste le nucléaire, mais bon… Aussi, il ne sera pas facile désormais de nous vendre le mythe de l’armée rouge envahissant l’Europe, ce qui a pourtant justifié le renforcement de l’OTAN et les bases US en Europe. Je ne suis certes pas un expert militaire, mais je rappelle que, parmi les puissances économiques, la Russie est en général classée au 10ème  ou 11ème rang, au niveau du Canada ou de la Corée du Sud. On parle d’un PIB de 20 000 milliards de dollars pour les Etats-Unis (Amérique du Nord) et de 1 600 pour la Russie. Ces chiffres pour remettre les pieds sur terre.