La laïcité menacée par l’Islam : d’après un sondage, ce serait la conviction de 80 % des Français. Laïcité, laïcité, laïcité,… c’est le grand truc, mais de quoi parle-t-on ? Je pose la question, car j’observe une confusion permanente entre la liberté de religion et la laïcité.

La base de tout, c’est la liberté de religion, ancestrale et universelle : croire ou ne pas croire, pouvoir pratiquer sa religion, et pouvoir en changer. C’est une liberté de l’intime, car elle trouve sa source dans la conscience, mais comme toute liberté de pensée, elle n’existe que si elle peut s’extérioriser. Que serait cette liberté s’il ne restait que l’intime, sans protection de la loi pour l’organisation collective de la religion ou la vie en société des fidèles ?

La laïcité est une donnée complémentaire, qui concerne le rôle de l’État, et la spécificité de la laïcité à la française est en réalité bien limitée. Tous les Etats sont tenus au devoir de neutralité, et personne ne revendique un système étatique où les membres de telle religion seraient mieux traités que les autres par l’État et ses fonctionnaires. Dans un État confessionnel, la vie publique se reconnaît liée à une religion, du fait de l’histoire, de la culture ou de la croyance, mais l’administration reste neutre et n’admet aucune discrimination. Au Royaume-Uni, les femmes agents des douanes, policières ou infirmières, qui portent paisiblement le foulard pendant leur service, commettraient une faute grave justifiant d’un conseil de discipline si elles facilitaient la situation des musulmans, et rédimaient les droits des autres.

Soyons donc bien sûrs :  la liberté de religion et la neutralité de l’État sont des principes universels.

Et la laïcité ? C’est un volet complémentaire prévu par les articles 1 et 2 de la loi de 1905. Et comme tout le monde parle de la loi de 1905 sans l’avoir lue, voici un petit rappel :

Article 1. – « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »

Article 2 – « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes ».

Pour ce qui concerne le débat actuel, l’un des faits marquants est que les agents de la fonction publique ne doivent rien laisser paraître de leur appartenance religieuse : toute croix, kippa ou foulard est prohibée, ce qui n’a pas toujours été le cas d’ailleurs. Mais c’est la règle depuis un avis du Conseil d’Etat de 2000 : on exige de l’agent public une neutralité renforcée, qui inclut son apparence.

Alors, où est le problème avec l’islam ?

Les musulmans agents de la fonction publique respectent cette neutralité d’apparence, et toutes les structures religieuses musulmanes sont privées, sous forme d’associations ou de sociétés immobilières. Respect parfait de la laïcité.

Et je dois dire « respect plus fort que pour les autres religions ». Pour des raisons historiques, la quasi-totalité des bâtiments catholiques sont publics, appartenant aux communes et parfois à l’État, et ils sont mis à disposition gratuitement pour les associations religieuses. Pour les cultes juifs et les protestants, les associations sont propriétaires des bâtiments, mais pour la majorité, il s’agit de biens qui appartenaient à l’État et qui ont été donné gratuitement en 1905.

Donc, la seule religion « privée – privée », parce qu’elle s’autofinance, c’est l’Islam.

Et puis, l’étanchéité laïque « public – privé » ne va pas loin. Le ministère de l’Intérieur a compétence pour les cultes, avec des équipes de haut niveau. C’est lui qui, notamment, fixe le cadre des sacrifices rituels. L’enseignement confessionnel coopère avec le service public et délivre les mêmes diplômes. La télévision publique diffuse des émissions religieuses. Dans de très nombreux bâtiments publics, se trouvent des édifices catholiques, à commencer par la Sainte-Chapelle au sein du Palais de Justice de Paris. De même, l’État a mis en place un régime de retraite pour les agents des cultes. On pourrait multiplier les exemples… montrant la relativité de cette laïcité : l’Etat ne peut ignorer le religieux, évidemment… vu qu’il doit « garantir le libre exercice des cultes ».

De beaux esprits – pour sauver la société – veulent interdire le port de vêtements religieux dans l’espace public. Bon… le Pape verbalisé et conduit au poste pour sa prochaine visite, c’est pas gagné…

Et puis, il faudrait modifier l’article 1 de la loi de 1905, car la République n’assurerait plus la liberté de conscience, et ne garantirait plus le libre exercice…

Que d’incohérences, d’où ces questions : Pourquoi le fait que des compatriotes aient une spiritualité, et l’exercent dans le cadre de la loi, cause-t-il une telle panique ? La question est-elle la laïcité ou la foi ?