Alain Juppé vient d’être nommé membre du Conseil constitutionnel. Une nouvelle fois, un homme politique est nommé discrétionnairement pour exercer une fonction juridique pour laquelle il n’a ni diplôme, ni qualification. Pas mal, mais ce n’est pas mon sujet aujourd’hui.

Ce qui m’intéresse, et me réjouit, c’est la possibilité pour une personne condamnée pénalement de retrouver toute sa place dans la société, via l’admission dans la fonction publique. Tant de faits peuvent concourir à amener une personne à commettre une faute pénale… Il faut se préserver des logiques d’exclusion, comme si la vie opposait ceux qui ont commis des fautes et les autres. Aussi, cette nomination est un excellent signe.

I –

On entend souvent que pour être admis dans la fonction publique qu’il faut disposer d’un casier judiciaire vierge. La réalité est bien différente.

Le texte de référence est l’article 5,3° de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 – le statut des fonctionnaires – qui dispose que nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire « si les mentions portées au bulletin n° 2 du casier judiciaire sont incompatibles avec l’exercice des fonctions ».

D’abord, on ne parle pas du casier judiciaire, seulement accessible aux magistrats et à la police judiciaire, mais du bulletin numéro 2, qui est délesté les infractions mineures (décisions rendues contre les mineurs, contraventions, dispenses de peine…) et, surtout, qui peut être purgé, car la personne concernée peut demander au tribunal que la condamnation pénale ne soit pas portée sur le bulletin numéro 2, justement pour ne pas endommager une carrière en perspective ou en cours.

Ensuite, le critère de la loi est clair. Il ne s’agit pas de « condamnation », mais de « condamnation incompatible avec l’exercice des fonctions ». Ce qui change tout : aucun automatisme, et une approche proportionnée.

La même règle joue lorsque condamnation pénale intervient à l’encontre d’un fonctionnaire en exercice. L’administration doit convoquer un conseil de discipline et apprécier si les faits révélés par cette mention sur le bulletin numéro 2 justifient une sanction, et laquelle (Conseil d’État, 5 décembre 2016, n° 380763, Tables).

C’est donc un cadre juridique qui laisse beaucoup de marge de manœuvre, par une approche intelligente des réalités humaines. Et, cerise sur le gâteau, s’ajoute la délicieuse jurisprudence Juppé.

II –

Alain Juppé a été condamné par la Cour d’appel de Versailles, le 30 janvier 2004, pour prise illégale d’intérêt, à 14 mois avec sursis et un an d’inéligibilité dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris. La Cour avait jugé « particulièrement regrettable qu’au moment où le législateur prenait conscience de la nécessité de mettre fin à des pratiques délictueuses qui existaient à l’occasion du financement des partis politiques, Alain Juppé n’ait pas appliqué à son propre parti, dont il était le secrétaire général à l’autorité incontestée, les règles qu’il avait votées au Parlement ».

Et oui… C’est donc un juge particulièrement qualifié dans la violation de la loi qui va siéger au Conseil constitutionnel.

Sur le plan politique, la peine d’inéligibilité a été purgée, et Alain Juppé était donc revenu éligible sans réserve, sous le seul contrôle des électeurs.

III –

Mais ici, Alain Juppé a été nommé sur un emploi public. C’est donc une admission qui, si elle ne relève pas strictement du statut de la fonction publique, répond à sa logique profonde.

D’ailleurs, s’agissant d’une fonction juridictionnelle, il est intéressant de se reporter à l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature, dont l’article 16 prévoit que les candidats à l’école de magistrature doivent « jouir de leurs droits civiques et être de bonne moralité ».

La notice d’inscription au concours 2018 de l’Ecole nationale de la magistrature explique : « Une particulière attention est apportée à cette condition eu égard à la nature des fonctions ayant vocation à être exercées par les candidats admis à l’issue des épreuves des concours. Outre la consultation du casier judiciaire, les candidats sont soumis à une enquête approfondie, notamment au moyen de la consultation des fichiers automatisés de données personnelles (articles L.114-1, L.234-1, L 234-2, R114-1, R114-2 et R 234-1 du code de la sécurité intérieure et 230-6 du code de procédure pénale). Dès lors qu’ils sont avérés, des faits contraires à la condition de bonne moralité, commis par le candidat, même s’ils n’ont pas été suivis de poursuites, peuvent donner lieu à une décision écartant la candidature sur ce fondement ».

Particulièrement sensibilisé à la question, car il est lui-même concerné par une instruction judiciaire confiée à trois juges d’instruction du Tribunal de grande instance de Lille pour des malversations financières, Richard Ferrand a donc bien mesuré les enjeux de cette nomination. Et le Président de la République, entouré de mis en examen, en a fait autant.

C’est donc globalement une excellente nouvelle pour les condamnés.

Une condamnation pénale à 14 mois d’emprisonnement avec sursis, assorti d’une inéligibilité pendant un an, n’est donc pas incompatible avec les plus hautes fonctions juridictionnelles, celles de juge de la loi. C’est en quelque sorte une validation des acquis par l’expérience, et je suis très heureux pour tous les condamnés dont la carrière professionnelle se dégage aujourd’hui, avec cette succulente jurisprudence Juppé. Comme quoi le Conseil constitutionnel garde une utilité…