Voici le texte d’une déclaration commune signée par d’importants syndicats : Syndicat des Avocats de France, Syndicat de la Magistrature, CGT Insertion Probation, CGT Chancelleries et Services Judiciaires, CGT Justice PJJ, SNEPAP-FSU. J’approuve 100 %.
Nous, organisations syndicales de la Justice, faisons le constat d’une politique générale de ce gouvernement tendant à sacrifier le service public et son statut, au nom d’une prétendue nécessité d’économies présentée aux Français comme une fatalité, sans alternative possible. Or, nous rappelons que le service public vise à assurer en premier lieu la liberté de chaque citoyen en lui permettant de pouvoir exercer ses droits et défendre ses besoins vitaux.
Alors que nous considérons qu’il est absolument nécessaire de renforcer le service public, le gouvernement prévoit un recours renforcé et massif aux agents non titulaires, l’affaiblissement des organismes consultatifs, l’individualisation des rémunérations des agents publics et le démantèlement du service public par le transfert de compétences au profit du privé.
Nous déplorons une dégradation généralisée des services publics, au premier rang desquels celui de la justice. Allouer depuis des années une part très faible du budget à la justice est un choix politique délibéré.
Nous dénonçons l’aggravation de cette dégradation annoncée par le projet de loi de programmation 2018-2022 qui a été adopté en deuxième lecture par l’Assemblée nationale et sera à nouveau examiné par le Sénat le 12 février prochain.
Depuis de nombreux mois, nous déplorons les conditions dans lesquelles ce projet de loi a été adopté, au terme d’un débat parlementaire chaotique marqué par la surdité du gouvernement, malgré la ferme opposition de tous les acteurs judiciaires, alors qu’ils sont rejoints dans leurs analyses par des autorités telles que le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
Depuis un an nos organisations manifestent leur opposition à un projet qui ne fait que dégrader considérablement le service public de la justice au travers notamment :
- de la disparition des tribunaux d’instance, seule véritable justice de proximité ; de la création d’une « plateforme » nationale de traitement des injonctions de payer, par voie intégralement dématérialisée ; de l’absorption des greffes des conseils des prud’hommes par le tribunal judiciaire, qui videra les CPH de leur substance ; de la dévitalisation de certaines juridictions par la possibilité de faire varier leurs compétences d’un ressort à l’autre, tout cela au détriment de la lisibilité, de l’accessibilité de la justice et de la qualité du service rendu ;
- de l’éloignement organisé des justiciables les plus modestes des instances de justice à travers l’extension de l’obligation de représentation comme pour le contentieux des élections professionnelles ou la dématérialisation de la saisine malgré la fracture numérique et la généralisation de la visio–audience ;
- de la privatisation du service public par le recours à des services privés en ligne pour les prestations d’aide à la résolution amiable des litiges, qui pourront se fonder sur un traitement algorithmique sans garantie sur la protection des données personnelles ;
- du renforcement de la place de l’emprisonnement en réduisant les possibilités d’aménagement, en facilitant le prononcé de mandats de dépôt, en créant une peine de détention à domicile sous surveillance électronique réduite à un pur pistage sans accompagnement, en enterrant la contrainte pénale ou l’idée même d’une peine de probation sans référence à l’emprisonnement pourtant proposée par amendement par le Sénat ;
- de l’abrogation de l’ordonnance du 2 février 1945 et la promulgation d’un code pénal des mineurs sans concertation avec les professionnels de l’enfance et de l’éducation qui laisse craindre la remise en cause de la primauté de l’éducatif, comme en témoigne d’ailleurs la création de 20 nouveaux Centre Educatif Fermés ;
- du recul sans précédent du contrôle de l’autorité judiciaire sur le travail policier, la marginalisation continue du juge d’instruction dans le but – recherché depuis longtemps – de le supprimer à terme, la régression du débat judiciaire, du principe de la contradiction, des droits de la défense et de manière générale des garanties de la procédure pénale.
A ce projet de loi est venu récemment s’ajouter celui visant à “prévenir les violences dans les manifestations et à réprimer leurs auteurs”, adopté le 30 janvier 2019, lequel constitue une atteinte sans précédent à une liberté fondamentale à valeur constitutionnelle : la liberté de manifester au travers notamment de la création d’une interdiction administrative de manifester, du fichage généralisé sans garanties, qui matérialisent l’extension continue des pouvoirs de police administrative au détriment du contrôle du juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle.
Le projet de loi de réforme de la justice constitue un désengagement massif de l’Etat dans le service public de la justice et accentue encore l’abandon des quartiers populaires et des territoires ruraux ou ultrapériphériques, pourtant décrié par le mouvement social qui secoue actuellement la France.
La réponse à cette mobilisation au travers d’une loi extrêmement dissuasive pour tous ceux qui manifestent démontre l’incapacité du gouvernement à ouvrir un véritable dialogue. Au même titre que l’éducation, les transports, l’emploi, le logement ou la santé, l’accès au droit, facteur de paix civile, est aujourd’hui l’objet d’une véritable fracture sociale et territoriale dans notre pays.
Nos organisations sont déterminées à défendre une justice de qualité, accessible, égale pour tous et protectrice des libertés.
Nous appelons donc l’ensemble des professionnels de la justice et les associations œuvrant pour l’accès aux droits à poursuivre les mobilisations pour s’opposer au projet de réforme de la Justice et au projet de loi relatif aux manifestations jusqu’à leur retrait pur et simple en se joignant à l’appel à la grève générale du 5 février 2019 pour défendre :
- Davantage de justice sociale et fiscale,
- Le développement de services publics de qualité sur tout le territoire, dotés de moyens suffisants afin de redynamiser les zones abandonnées à la désertification par les gouvernements successifs,
- Le respect des libertés publiques, en particulier la liberté de manifester actuellement menacée par une récente proposition de loi, adoptée le 30 janvier 2019 par l’assemblée nationale en première lecture,
- Le renforcement du statut des fonctionnaires.