Le mouvement de grève des avocats, c’est du jamais vu. Tous les barreaux en grève, tous ! et depuis cinq semaines. Une grève dérange, oui et beaucoup, mais une telle mobilisation a une cause…

En 1948, les pouvoirs publics ont demandé à la profession d’avocat d’organiser un système de retraite autonome, ce qui a été fait avec la CNBF. Et le régime marche très bien. Le taux de cotisation est de l’ordre de 14 %, avec des taux différenciés et solidaires selon les revenus. La caisse prévoit une pension minimale de 1 400 €, et globalement le montant des pensions est jugé satisfaisant. Ce régime a été bien géré, et dispose d’un excédent de 3 milliards d’euros, garantissant le paiement des retraites pour des décennies, et chaque année, il reverse 100 millions d’euros au régime général. Le système, géré par les avocats, ne coûte pas un sou à la collectivité. Aucun syndicat ni association professionnelle n’a jamais demandé de réforme de ce régime.

Et voilà qu’arrive le plan gouvernemental sur le régime universel. Le gouvernement n’a aucun grief contre le régime des avocats, mais simplement c’est comme ça, il faut basculer dans le régime universel. Sauf que ça change tout : la cotisation passe de 14 à 28%, avec une baisse des pensions pour les revenus faibles, et un régime favorable aux revenus élevés. Le monde à l’envers.

Le gouvernement qui veut maintenir sa fiction de régime universel explique qu’il va mettre en place des procédés pour compenser cette hausse des cotisations, dans une machine à gaz changeante et illisible. Les avocats restent sur une base logique : personne n’a jamais demandé la modification de ce régime, qui ne coûte pas la collectivité, alors que le gouvernement s’occupe de réformer ce qui ne va pas, et basta…

Cette grève se traduit notamment par des reports d’audience, ce qui pose des problèmes très sérieux aux justiciables, aux juridictions… et aux avocats.

Et, toujours plantée sur son régime universel, Nicole Belloubet n’a rien trouvé de mieux que d’adresser le 17 février un mail aux magistrats et fonctionnaires de justice pour déplorer ce mouvement qui « porte atteinte au fonctionnement de l’institution judiciaire » et « méconnaît ainsi les attentes des justiciables, notamment des plus vulnérables ». Et après leur avoir expliqué qu’elle est leur amie, la ministre leur apporte son « soutien », sa « reconnaissance » et son « indéfectible confiance ».

Pourquoi pas,… sauf que le résultat a été l’inverse du but recherché. Dans un mouvement d’ensemble, les syndicats de magistrats et de fonctionnaires ont déploré de voir leur ministre jouer la carte de la division, et imputer le mauvais fonctionnement de la justice aux avocats.

Pour le syndicat majoritaire des magistrats (USM), « Outre qu’essayer de diviser pour mieux régner, c’est moche, le soutien ne s’affirme pas mais se démontre. Et là, on attend ». Céline Parisot, présidente de l’USM, ajoute : « En quoi la ministre nous soutient-elle ? Il n’y a aucune prise en compte de ce que l’on vit au quotidien, elle ne répond à aucune des questions soulevées par les réformes. Elle dit nous soutenir… les mots ne coûtent pas cher ».

Le Syndicat de la Magistrature, « consterné », a dénoncé « une tentative désespérée de diviser, en feignant la compassion pour des professionnels que les réformes du gouvernement contribuent jour après jour à épuiser ». Et de souligner : « Quant à votre soutien et votre ‘indéfectible confiance’, ils ne nous sont pas apparus flagrants lorsque nous avons apporté notre avis de praticiens sur la réforme de la justice ou encore sur celle de l’ordonnance du 2 février 1945 (sur la justice des mineurs, ndlr), sans que jamais vous n’en teniez compte ».

Même tonalité avec le Syndicat national des greffiers de France-FO, qui impute « l’épuisement général » à la responsabilité du gouvernement : « de réformes en organisations judiciaires, la fracture s’aggrave un peu plus chaque jour avec tous les acteurs judiciaires ». Pour le syndicat, ce mouvement de protestation « ne méconnait pas les attentes des justiciables : il tente bien au contraire d’en sauver l’avenir ou de leur en donner un ».

Selon les infos qui circulent, Belloubet devrait prochainement obtenir le statut de réfugié politique en se planquant à la Cour des Comptes. Ce sera une chose faite,… mais il n’y a toujours aucune avancée sur le régime de retraite, et le sort imposé au fonctionnement de la justice.