Ma petite chérie, quoique parfois un peu bornée, la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prise une sérieuse remontée de bretelles par la Cour européenne des Droits de l’homme le 30 janvier 2020 à propos des détentions effectuées dans des conditions indignes, et elle se met enfin à l’heure, par un arrêt super classe du 8 juillet 2020. Bref, beaucoup de choses vont changer dans la vie des détenus : l’indignité des conditions de détention est une cause de remise en liberté. Je précise qu’on ne doit ces progrès ni à notre si distrayant sinistre de la Justice, ni à notre inculte parlement, mais aux détenus eux-mêmes qui ont engagé des recours sur le principe pompidolien : quand on dépasse les bornes, il n’y a plus de limites.
Les recours étaient juridiquement complexes, mais l’argument de base était simple :
– Monsieur le juge judiciaire, vous avez signé un jugement me collant en prison, mais dans la sus-dite prison, je dispose d’un espace personnel inférieur à 3 m².
– Monsieur le détenu, j’en suis bien désolé, mais voyez-vous le fonctionnement du service public, c’est pour le juge administratif, donc n’hésitez pas à former un recours, le référé-liberté est justement fait pour cela.
– Bonjour Monsieur le juge administratif, je viens de la part de votre collègue Monsieur le juge judiciaire…
– (Soupir d’exaspération)
– Votre collègue…
– (Nouveau soupir d’exaspération)
– … a signé un jugement me collant en prison, mais dans la sus-dite prison, je dispose d’un espace personnel inférieur à 3 m².
– Monsieur le détenu, j’en suis bien désolé, mais voyez-vous le service public est ruiné par les politiques néo-libérales qui font de la si précieuse solidarité un paillasson…
– Ah bon, vous aussi vous êtes d’accord ?
– Euh pardon, je m’égare. Le service public est ruiné parce qu’il est ruiné, c’est comme ça, donc ce n’est pas la peine que je condamne l’Etat car il est raide comme un chômeur le 15 du mois. Donc, je vais ordonner un coup de fly-tox contre les cafards, mais pour le reste, dites vous que 3 m2, c’est après tout mieux que si c’était 2.
– Mais Monsieur le juge administratif, qu’est ce que je peux faire si vous jugez comme votre collègue Monsieur le juge judiciaire ?
– (Nouveau soupir d’exaspération) Allez donc voir le juge européen.
– Bonjour Monsieur le juge européen, je viens de la part de vos collègues français, le juge judiciaire et le juge administratif. Le juge judiciaire a signé un jugement me collant en prison, mais dans la sus-dite prison, je dispose d’un espace personnel inférieur à 3 m², et le juge administratif, me dit que le service public est ruiné, et que ce n’est pas la peine de condamner l’Etat car il est à sec.
– Monsieur le détenu, en tant qu’être humain, vous avez droit au respect de votre dignité (Article 3 de la convention) et en cas de problème, à un recours effectif devant un juge (Article 13 de la convention). Les deux textes sont violés, donc je condamne la France.
(Le détenu est très content, mais il reste dans ses 3 m2)
– Monsieur le juge administratif, je viens de vous faire condamner par le juge européen, et…
– (Très gros soupir d’exaspération) …
– Ok, ok…
– Monsieur le juge judiciaire, je viens de vous faire condamner par le juge européen, et votre collègue le juge administratif…
– Monsieur le détenu, ne vous cassez pas la tête, on va régler le problème. Le juge judiciaire, gardien des libertés individuelles, a l’obligation de garantir à la personne placée en détention des conditions respectant sa dignité, et en cas de manquement, un recours préventif et effectif. Donc, comme les éléments que vous apportez sont « crédibles, précis et actuels » – ce que nous avons vérifié – et que l’Etat est ruiné – ce que nous sommes bien placés pour savoir – j’ordonne votre remise en liberté.
– Super, monsieur le juge judiciaire. Donc, je reviens vous voir quand l’Etat aura fait des travaux ?
– Oui,… et que les juges judiciaires arrêteront de mettre ou laisser les gens en prison alors qu’il existe tant d’autres possibilités.
– Très bien. Peut-être faut-il que j’en parle au gouvernement, ou au Parlement ?
– Monsieur le détenu, à vous de voir, mais je pense que serait mieux d’éviter car ces questions sont sérieuses.