Livre 4

Le droit de Vichy

Chapître 1 :
La Constitution de Vichy

Présentation

Le droit de Vichy

Tout était dans le Journal officiel

Lire le Journal officiel entre le 17 mai 1940 et le 17 août 1944, le seul quotidien non censuré,… et tant apprendre.

Le juriste n’est pas historien, et la législation compte moins que le droit effectivement pratiqué, certes. Pour autant, cette étude législative apporte de précieux renseignements.

Pendant toute la période, le JO a été publié régulièrement, et il était diffusé sur l’ensemble du territoire. Cela constitue une remarquable masse documentaire, de première main. Un choix a été fait, pour retenir 600 lois et documents publiés au JO, et toutes les lois significatives ont été traitées. C’est donc, objectivement, une masse de connaissance.

Ensuite, la lecture des lois apporte des renseignements essentiels, car la signature du gouvernement et en montre les intentions et les pratiques. Surtout, le régime de Vichy voulait s’afficher par son sérieux et sa proximité avec le nouveau cours des lectures en Europe, et loin de ce censurer, du publié l’essentiel de sa politique au JO. Les camps pour étrangers, le statut des Juifs, des personnes dénaturalisées, le statut de la milice… tout est dans le JO, et est cette lecture est un bon procédé pour comprendre les mécanismes juridiques ayant permis le fonctionnement du régime.

Enfin, on est frappé de voir sombrer la légende : « Tout était censuré, on ne savait pas ». On savait tout, presque : il suffisait de lire le JO.

* * *

Les lois étudiées

Mai 1940

18 mai 1940, Décret, Le maréchal Pétain entre au gouvernement, n° 1

Juin 1940

16 juin 1940, Décret, le maréchal Pétain est nommé président du conseil, n° 2

17 juin 1940, Message, « C’est d’un coeur serré… », n° 3

22 juin 1940, Armistice franco-allemand, n° 4

25 juin 1940, Message, « C’est à un dressement intellectuel et moral que je vous convie», n° 5

Juillet 1940

2 juil. 1940, Projet de délégation de pouvoirs, n° 6

4 juil. 1940, Exposé des motifs du projet de loi d’habilitation, n° 7

6 et 7 juil. 1940, Décret, Convocation des assemblées, n° 9

9 juil. 1940, Débats de la Chambre des députés, n° 10

9 juil. 1940, Débats devant le Sénat, n° 11

10 juil. 1940, Débats devant l’Assemblée nationale, n° 12

10 juil. 1940, Loi d’habilitation du gouvernement, n° 13

11 juil. 1940, Acte constitutionnel n° 1, Prise du pouvoir par le maréchal Pétain, n° 14

11 juil. 1940, Message, « L’Assemblée nationale m’a investi de pouvoirs étendus », n° 16

11 juil. 1940, Acte constitutionnel n° 2, Les pouvoirs du Maréchal Pétain, n° 17

11 juil. 1940, Acte constitutionnel n° 3, Suspension des assemblées, n° 18

12 juil. 1940, Acte constitutionnel n° 4, Succession du chef de l’Etat, n° 19

12 juil. 1940, Instruction, Nouvelles poursuites contre Charles de Gaulle, n° 25

12 juil. 1940, Loi, Composition du gouvernement, n° 28

12 juil. 1940, Loi, Droit du sang pour les membre des cabinets ministériels, n° 29

12 juil. 1940, Loi, Suspension des organes consultatifs dans la fonction publique, n° 57

15 juil. 1940, Loi, Institution des secrétaires généraux, n° 30

16 juil. 1940, Loi, Formule exécutoire, n° 20

16 juil. 1940, Loi, Déchéance de la qualité de français, n° 31

16 juil. 1940, Loi, L’Allemagne et l’Italie ne sont plus des pays ennemis, n° 32

16 juil. 1940, Décret, Xavier Vallat nommé secrétaire d’Etat, n° 37

17 juil. 1940, Loi, Nationalité par le sang pour les agents publics, n° 33

17 juil. 1940, Loi, Libre révocation des agents publics, n° 34

18 juil. 1940, Loi, Pierre Laval chargé de l’information, n° 38

20 juil. 1940, Loi, Répression du proxénétisme, n° 39

20 juil. 1940, Loi, Aménagement du privilège des bouilleurs de cru, n° 40

22 juil. 1940, Loi, Révision des naturalisations, n° 42

Jurisprudence : Extension de la dénaturalisation aux enfants, n° 43

23 juil. 1940, Loi, Déchéance de la nationalité française pour abandon du territoire, n° 44

27 juil. 1940, Loi, Modification des dispositions pénales sur la trahison, n° 45

28 juil. 1940, Loi, Fabrication et vente du pain, n° 50

30 juil. 1940, Acte constitutionnel n° 5, Création de la Cour suprême de justice, n° 46

30 juil. 1940, Loi, Fonctionnement de la Cour suprême de justice, n° 47

30 juil. 1940, Loi, Service civique de six mois, n° 55

Août 1940

1° août 1940, Décret, Saisine de la Cour suprême de justice, n° 56

13 août 1940, Loi, Interdiction des sociétés secrètes, n° 58

Jurisprudence : Exemple de spoliation anti-maçonnique, n° 59

Jurisprudence : Preuve de la non-appartenance à une société secrète, n° 60

13 août 1940, Message, Lutte contre l’alcoolisme, n° 41

14 août 1940, Loi, Carte nationale de priorité, n° 70

15 août 1940, Message sur l’Education nationale, n° 103

16 août 1940, Loi, Organisation provisoire de l’économie, n° 61

16 août 1940, Loi, Interdiction de l’exercice de la médecine par les étrangers, n° 64

Note : Le racisme dans la médecine, n° 65

20 août 1940, Loi, Le Conseil d’Etat redevenu corps législatif, n° 66

23 août 1940, Loi, Lutte contre l’alcoolisme, n° 67

Jurisprudence : Application de la loi contre l’alcoolisme, n° 68 et 69

27 août 1940, Loi, Liberté pour les propos antisémites, n° 71

Note : Le racisme dans le discours officiel, n° 72

27 août 1940, Loi, Limitation de la liberté de circuler, n° 73

Jurisprudence : restriction à la liberté de circuler, n° 74

29 août 1940, Loi, Création de la Légion française des combattants, n° 75 

Septembre 1940

3 sept. 1940, Loi, Autorisation de l’enseignement par les congrégations, n° 80

3 sept. 1940, Loi, Internement des personnes estimées dangereuses, n° 81

5 sept. 1940, Loi, Interdiction de servir du café après quinze heures, n° 82

Jurisprudence : Le café plutôt que l’alcool, pour la protection de la race française, n° 83

6 sept. 1940, Loi, Organisation du gouvernement, n° 84

6 sept. 1940, Loi, L’enjeu africain, n° 85

6 sept. 1940, Loi, Reprise en main de l’information, n° 86

13 sept. 1940, Loi, Interdiction de se rendre à l’étranger pour fabriquer des armes, n° 88

15 sept. 1940, Message sur la politique sociale de l’avenir, n° 62

17 sept. 1940, Loi, Ramassage des foies de poisson, n° 89

17 sept. 1940, Loi, Infractions pénales en matière de ravitaillement, n° 90

Jurisprudence : Remise de produits ou de tickets à titre de cadeau, n° 91

18 sept. 1940, Loi, Suppression des écoles normales, n° 102

18 sept. 1940, Loi, Réforme des sociétés anonymes, n° 87

21 sept. 1940, Loi, Création d’une maison d’arrêt à Riom, n° 92

24 sept. 1940, Acte constitutionnel 4 bis, Aménagement de la dévolution du pouvoir, n° 93

24 sept. 1940, Loi, Création d’une Cour martiale, n° 94

24 sept. 1940, Loi, Extension de la compétence de la Cour suprême de justice, n° 95

27 sept. 1940, Loi, Etrangers en surnombre dans l’économie nationale, n° 100

27 sept. 1940, Loi, Sanction de la vente au dessus du prix, n° 117

27 sept. 1940, Loi, Etatisation de l’agence Havas, n° 129

27 sept. 1940, Ordonnance allemande, Mesures contre les juifs, n° 114

30 sept. 1940, Recours à la magistrature pour compléter les tribunaux militaires, n° 101

Octobre 1940

3 oct. 1940, Loi, Premier statut des Juifs, n° 112

Note : Race ou religion ?, n° 113

4 oct. 1940, Loi, Camps spéciaux pour les Juifs étrangers, n° 115

4 oct. 1940, Loi, Le Secours national, n° 116

7 oct. 1940, Loi, Abolition du décret Crémieux, n° 104

7 oct. 1940, Loi, Ordre des médecins, n° 118

10 oct. 1940, Loi, Offense au chef de l’Etat, n° 127

  Jurisprudence : Offense au chef de l’Etat, n° 128    

11 oct. 1940, Message annonçant la collaboration, n° 105

11 oct. 1940, Loi, Travail des femmes, n° 119

12 oct. 1940, Loi, Suppression des conseils généraux, n° 106

13 oct. 1940, Loi, Contrôle de la radio en Afrique, n° 107

15 oct. 1940, Loi, Interdiction de la fabrication des matériels de guerre, n° 108

15 oct. 1940, Loi, Interdiction du commerce des matériels de guerre, n° 109

15 oct. 1940, Loi, Réglementation des produits explosifs, n° 110

Note : L’armement pendant la guerre, n° 111

15 oct. 1940, Loi, Associations professionnelles de fonctionnaires, n° 130

15 oct. 1940, Circulaire, Rôle des préfets, n° 160

20 oct. 1940, Loi, Reprise en main des œuvres scolaires, n° 133

25 oct. 1940, Décret, Liberté de circulation, n° 149

26 oct. 1940, Loi, Fonctionnement de la Cour martiale, n° 121

26 oct. 1940, Loi, Industrie cinématographique, n° 143

27 oct. 1940, Ord. France libre, Conseil de défense de l’Empire, n° 21

27 oct. 1940, Loi, Carte d’identité de Français, n° 136

28 oct. 1940, Loi, Interdiction d’écouter Radio-Londres en public, n° 125

30 oct. 1940, Message, Entrevue de Montoire, n° 122

Novembre 1940

2 nov. 1940, Loi, Statut des chefs de cabinet des préfets, n° 126

2 nov. 1940, Décret, Révocation de Jean Moulin, n° 35

4 nov. 1940, Loi, Installation des débits de boissons, n° 131

9 nov. 1940, Loi, Gaspillage du pain, n° 146

12 nov. 1940, Loi, Réforme de la Légion d’honneur, n° 132

13 nov. 1940, Loi, Publication des actes de retrait de nationalité, n° 202

14 nov. 1940, Loi, Libre révocation des fonctionnaires non métropolitains, n° 134

14 nov. 1940, Loi, Démission d’office des élus locaux, n° 140

14 nov. 1940, Message sur l’administration de l’Etat, n° 212

16 nov. 1940, Loi, Création d’un Comité budgétaire, n° 135

16 nov. 1940, Loi, Refonte de la loi municipale, n° 150

16 nov. 1940, Loi, Révocation de maires et des conseils municipaux, n° 151

16 nov. 1940, Loi, Réforme des sociétés anonymes, n° 138

17 nov. 1940, Circulaire, Epuration dans le ministère de l’éducation, n° 36

17 nov. 1940, Loi, Surveillance des camps d’internement, n° 137

23 nov. 1940, Arrêté, Devoirs envers Dieu à l’école publique, n° 145

25 nov. 1940, Loi, Création de l’Office français de l’information, n° 157

Décembre 1940

1° déc. 1940, Acte constitutionnel n° 6, Procédure de déchéance des parlementaires, n° 141

2 déc. 1940, Décret, Comité d’organisation de l’industrie cinématographique, n° 144

2 déc. 1940, Loi, Organisation corporative de l’agriculture, n° 147

6 déc. 1940, Loi, Port des insignes et des décorations, n° 142

8 déc. 1940, Décret,  Déchéance de nationalité de Charles de Gaulle, n° 26

13 déc. 1940, Message du Maréchal sur le renvoi de Pierre Laval, n° 152

13 déc. 1940, Acte constitutionnel n° 4 ter, suppléance du chef de l’Etat, n° 155

13 déc. 1940, Loi, Rattachement du secrétariat général de l’information au services du chef de l’Etat, n° 156

13 déc. 1940, Décret, Interdiction de certains ouvrages scolaires, n° 166

18 déc. 1940, Loi, Réforme du Conseil d’Etat, n° 158

20 déc. 1940, Loi, Organisation du sport, n° 204

23 déc. 1940, Loi, Pouvoirs des préfets, n° 159

24 déc. 1940, Loi, Création d’un quartier de détention à la prison de Riom, n° 161

29 déc. 1940, Décret, Costume des magistrats siégeant à la Cour suprême, n° 167

29 déc. 1940, Message à la jeunesse de France, n° 176

31 déc. 1940, Loi, Création de l’Ordre des architectes, n° 169

Janvier 1941

1° janv. 1941, Réception du corps diplomatique, n° 165

6 janv. 1941, Loi, Financement des écoles privées, n° 180

6 janv. 1941, Retour de l’instruction religieuse, n° 181

18 janv. 1941, Loi, Chantiers de la jeunesse, n° 175

Jurisprudence : Sanction pénale pour abandon de chantier, n° 177

22 janv. 1941, Création du Conseil national, n° 168

27 janv. 1941, Acte constitutionnel n° 7, Justice du Maréchal, n° 171

27 janv. 1941, Décret, Reproduction des traits du chef de l’Etat, n° 170

Février 1941

10 fév. 1941, Acte constitutionnel n° 4 quater, Darlan devient dauphin, n° 178

10 fév. 1941, Loi, Organisation du gouvernement, n° 179

26 fév. 1941, Loi, Retour de l’instruction religieuse, n° 181

28 fév. 1941, Loi, Déchéance de nationalité pour ceux qui ont quitté la France, n° 185

Mars 1941

1° mars 1941, Message sur la politique sociale, n° 63

8 mars 1941, Loi, Déchéance de nationalité pour ceux qui se rendent en zone dissidente, n° 186

Note : Koufra et Leclerc : n° 187

9 mars 1941, Réquisition de main d’œuvre en vue de la campagne agricole de 1941, n° 189

10 mars 1941, Loi, Retour sur l’instruction religieuse, n° 188

10 mars 1941, Loi, Service civique rural, n° 190

10 mars 1941, Loi, Réforme du CNRS, n° 194

21 mars 1941, Loi, Cour criminelle pour les affaires de ravitaillement, n° 200

21 mars 1941, Loi, Report des élections dans les petites communes, n° 201

21 mars 1941, Décret, Première liste de personnes dénaturalisées, n° 203

22 mars 1941, Loi, Recentrage du Conseil national, n° 191

22 mars 1941, Loi, Amende forfaitaire pour le marché au noir, n° 213

23 mars 1941, Loi, L’Office français de l’information rapproché des services du chef de l’Etat, n° 193

29 mars 1941, Loi, Poursuite de l’épuration dans l’administration, n° 195

29 mars 1941, Loi, Commissariat général aux questions juives, n° 196

Avril 1941

2 avr. 1941, Loi, 1° mai, fête du travail et de la concorde sociale, n° 209

3. avr. 1941, Loi, Accès aux emplois publics, n° 225

4 avr. 1941, Loi, Réforme de la Cour des comptes, n° 219

13 avr. 1941, Loi, Divorce et séparation de corps, n° 205

Jurisprudence : Application de la loi aux affaires en cours, n° 206

15 avr. 1941, Loi, Réorganisation de l’Ecole polytechnique, n° 292

15 avr. 1941, Arrêtés, Révocation de maires et d’adjoints, n° 208

16 avr. 1941, Arrêtés, Premières dissolutions de conseils municipaux, n° 207

19 avr. 1941, Loi, Instauration des préfets régionaux, n° 211

20 avr. 1941, Message aux paysans français, n° 148

23 avr. 1941, Loi, Organisation générale des services de police, n° 215

23 avr. 1941, Loi, Ecole nationale de police, n° 216

24 avr. 1941, Loi, Tribunal spécial pour juger des agressions nocturnes, n° 217

Jurisprudence : tribunal spécial de Bordeaux, n° 218

26 avr. 1941, Loi, Blocage de certains comptes en banque, n° 369

Mai 1941

1° mai, Message sur la fête du travail et de la concorde sociale, n° 210

16 mai 1941, Loi, Réforme de la Cour des comptes, n° 219

18 mai 1941, Loi, Offense par geste au chef de l’Etat, n° 220

19 mai 1941, Loi, Réforme du Commissariat général aux questions juives, n° 221

20 mai 1941, Loi, Modification des pouvoirs spéciaux des préfets régionaux, n° 230

25 mai 1941, Message aux mères françaises, n° 120

26 mai 1941, Loi, Recensement des terrains de sport et des piscines privés, n° 231

26 mai 1941, Exercice illégal de l’art médical et dentaire, n° 229

30 mai 1941, Loi, Retour à la terre des familles d’origine paysanne, n° 220

30 mai 1941, Loi, Nomination de nouveaux conseillers généraux, n° 243

30 mai 1941, Loi, Déclaration de changement d’adresse, n° 371

Juin 1941

1° juin 1941, Loi, Réglementation des armes pour les Juifs d’Algérie, n° 226

2 juin 1941, Loi, Second statut des Juifs, n° 232

2 juin 1941, Loi, Recensement des Juifs, n° 233

Jurisprudence : Preuve de la qualité de Juifs, n° 234, 235 et 236

4 juin 1941, Loi, Programme d’investissements dans la région parisienne, n° 228

4 juin 1941, Loi, Emploi de la main d’œuvre pénitentiaire, n° 238

13 juin 1941, Loi, Organisation du système bancaire, n° 250

16 juin 1941, Loi, Réforme du notariat, n° 253

16 juin 1941, Décrets, Déchéance de parlementaires, dont Jean Zay, n° 239

16 juin 1941, Message sur l’anniversaire de la prise de pouvoir, n° 237

21 juin 1941, Loi, Limitation du nombre des étudiants juifs, n° 240

Commentaires de la loi, n° 241

21 juin 1941, Loi, Plantes servant à la composition des boissons hygiéniques, n° 242

23 juin 1941, Loi, Cour criminelle spéciale pour les colonies, n° 244

24 juin 1941, Loi, Organisation de l’industrie des pâtes alimentaires, n° 245

26 juin 1941, Loi, Réforme du barreau, n° 254

28 juin 1941, Loi, Organisation de la chasse, n° 255

Juillet 1941

7 juil. 1941, Décret, Services extérieurs de la police, n° 251

8 juil. 1941, Message devant le conseil national, n° 8

11 juil. 1941, Loi, Dissolution des associations et groupements d’opposants, n° 306

18 juil. 1941, Loi, Reproduction des traits du chef de l’Etat, n° 252

18 juil. 1941, Loi, Régime des réunions publiques, n° 260

18 juil. 1941, Loi, Interdiction de séjour pour les personnes estimées dangereuses, n° 261

18 juil. 1941, Loi, Encadrement des manifestations publiques, n° 262

22 juil. 1941, Loi, Aryanisation de l’économie, n° 280

Jurisprudence sur la politique d’aryanisation, n° 281 et 282

28 juil. 1941, Décret, Professions interdites aux Juifs, n° 263

Août 1941

2 août 1941, Loi, Administration des biens appartenant à des étrangers, n° 348

8 août et 14 sept. 1941, Réforme de la filiation, n° 302

11 août 1941, Loi, Epuration de l’administration par les préfets de région, n° 266

11 août 1941, Loi, Instauration des commissaires du pouvoir, n° 267

11 août 1941, Loi, Publication des noms des dignitaires francs-maçons, n° 268

11 août 1941, Loi, Contrôle des réunions privées des partis politiques, n° 269

11 août 1941, Loi, Suppression de l’indemnité parlementaire, n° 270

11 août 1941, Décret, Exercice de la profession médicale par les Juifs, n° 288

12 août 1941, Message, Le vent mauvais, n° 265

14 août 1941, Acte constitutionnel n° 8, Prestation de serment dans l’armée, n° 271

14 août 1941, Acte constitutionnel n° 9, Prestation de serment dans la magistrature, n° 272

14 août 1941, Loi sur les sections spéciales, n° 275

Note : Chronologie de l’affaire de la section spéciale, n° 276

Document : Condamnation à mort d’André Bréchet, n° 277 et 278

Jurisprudence : Rétroactivité de la loi créant les sections spéciales, n° 279

15 août 1941, Lois, Réforme de l’enseignement public, n° 285

Note : Prestation de serment devant le Conseil d’Etat, le 19 août 1941 : n° 274

Septembre 1941

1° sept. 1941, Loi, Compétence du CGQJ sur l’ensemble du territoire, n° 286

2 sept. 1941, Loi, Protection de la naissance, n° 290

5 sept. 1941, Arrêté, Réorganisation de la vice-présidence du conseil, n° 287

7 sept. 1941, Loi, Instauration d’un Tribunal d’Etat, n° 289

11 sept. 1941, Loi, Travaux forcés pour vol de bestiaux, n° 332

13 sept. 1941, Décret, déchéance du parlementaire Pierre Mendès-France, n° 294

14 sept. 1941, Loi, Modification du régime de l’état de siège, n° 291

14 sept. 1941, Loi, Statut des fonctionnaires, n° 300

14 sept. 1941, Loi, limitation de la règle du sursis pénal, n° 301

24 sept. 1941, Exercice de la profession d’architecte par les Juifs, n° 293

20 sept. 1941, Arrêtés, Démission d’office de magistrats francs-maçons, n° 322

29 sept. 1941, Décret, Instauration du Conseil de justice politique, n° 295

Octobre 1941

1° oct. 1941, Loi, Organisation de la radio, n° 346

4 oct. 1941, Acte constitutionnel n° 10, Serment des agents publics, n° 303

4 oct. 1941, Loi, Charte du travail, n° 309

Note sur la Charte, n° 310

5 oct. 1941, Loi, Mesures d’ordre aux Antilles, n° 304

5 oct. 1941, Loi, Modification du régime de la justice militaire, n° 308

11 oct. 1941, Loi, Fabrication de la piquette, n° 306

11 oct. 1941, Loi, Reprise en main de la légion d’honneur, n° 315

15 oct. 1941, Législation sur l’état de siège, n° 321

16 oct. 1941, Loi, Port de la francisque, n° 308

16 oct. 1941, Loi, Organisation de la Ville de Paris, n° 351

20 oct. 1941, Décret, Réorganisation du CGQJ, n° 312

25 oct. 1941, Loi, Obligation de dénonciation, n° 311

28 oct. 1941, Loi, Interdiction d’écouter Radio-Londres, n° 313

28 oct. 1941, Loi, Création d’un service de garde des communications, n° 331

29 oct. 1941, Loi, Le fort du Portalet devient centre de détention, n° 314

31 oct. 1941, Loi, Activité communiste ou anarchiste dans les colonies, n° 320

Novembre 1941

2 nov. 1941, Loi, Contrôle des acquisitions de fonds de commerce par les Juifs, n° 323

2 nov. 1941, Lois, Subventionnement des établissements d’enseignement privé, n° 324

10 nov. 1941, Loi, Réintégration des « dignitaires francs-maçons » repentis, n° 325

10 nov. 1941, Décret, Internement en cas d’infraction au ravitaillement, n° 335

13 nov. 1941, Loi, Extension des mesures antijuives aux colonies, n° 326

17 nov. 1941, Loi, Régime des revues d’actualités cinématographiques, n° 328

17 nov. 1941, Loi, Accès des Juifs à la propriété foncière, n° 340

17 nov. 1941, Loi, Généralisation de la politique d’aryanisation, n° 341

17 nov. 1941, Loi, Nouvelles exclusions professionnelles pour les Juifs, n° 342

17 nov. 1941, Loi, Fondation française pour l’étude des problèmes humains, n° 345

17 nov. 1941, Loi, Organisation de la profession dentaire, n° 347

17 nov. 1941, Loi, Responsabilité pénale des fabricants et vendeurs d’explosifs, n° 361

18 nov. 1941, Loi, Réforme de la Légion française des combattants, n° 327

19 nov. 1941, Loi, Limogeage du général Weygand, n° 329

19 nov. 1941, Décrets, Déchéance des parlementaires juifs, n° 330

22 nov. 1941, Loi, Exercice de la médecine, n° 333

26 nov. 1941, Loi, Elections à l’Ordre des médecins, n° 334

29 nov. 1941, Loi, Statut de l’UGIF, n° 343

30 nove. 1940, Création dramatique et musicale, n° 352

30 nov. 1941, Service de la circulation et du roulage, n° 360

30 nov. 1941, Loi, Service de la circulation et du roulage, n° 358

Décembre 1941

10 déc. 1941, Ordonnance, Contrôle de la population juive par la préfecture de Paris, n° 344

13 déc. 1941, Loi, Contrôle des associations aux Antilles et à la Réunion, n° 349

13 déc. 1941, Loi, Contrôle de la presse dans les colonies, n° 350

17 déc. 1941, Loi, Ravitaillement pour les céréales et le pain, n° 353

21 déc. 1941, Loi, Commissariat général aux ressources agricoles, n° 359

28 déc. 1941, Loi, Nomination du président de la Cour suprême, n° 354

29 déc. 1941, Loi, Interdiction de séjour aux Antilles et à la Réunion, n° 357

31 déc. 1941, Loi, Enseignement privé juif en Algérie, n° 358

Janvier 1942

1° janv. 1942, Vœux du chef de l’Etat et réception du corps diplomatique, n° 355 et 366

19 janv. 1942, Loi, Règlement des biens mis sous séquestre par mesure de sûreté, n° 375

21 janv. 1942, Répression de toute forme d’opposition politique, n° 367

24 janv. 1942, Décret, Déchéance de la nationalité pour abandon du territoire, n° 362

24 janv. 1942, Décret, Déchéance de la nationalité pour activisme gaulliste, n° 363

29 janv. 1942, Loi, Pouvoirs spéciaux du président de l’office interprofessionnel des céréales, n° 372

Février 1942

2 fév. 1942, Loi, Répression des falsifications en matière de ravitaillement, n° 365

4 fév. 1942, Décret, Rupture saluée de Marcel Peyrouton avec la franc-maçonnerie, n° 366

10 fév. 1942, Loi, Restrictions aux changements de nom, n° 379

15 fév. 1942, Loi, Répression de l’avortement, n° 375

17 fév. 1942, Loi, Régime de la nationalité en Algérie, n° 368

18 fév. 1942, Loi, Ordre des vétérinaires, n° 378

20 fév. 1942, Loi, Commissariat général aux corps gras, n° 370

28 fév. 1942, Loi, Administration départementale et municipale, n° 385

Mars 1942

15 mars 1942, Loi, Répression du marché noir, n° 377

22 mars 1942, Loi, Exploitation des phosphates d’Afrique du Nord, n° 380

22 mars 1942, Loi, Restrictions à l’installation des débits de boissons, n° 381

26 mars 1942, Loi, Création d’un service de la main d’œuvre française en Allemagne, n° 382

29 mars 1942, Loi, Report de la prescription pénale jusqu’à la fin des hostilités, n° 386

Avril 1942

1° avr. 1942, Loi, Création d’un « Ordre national du travail », n° 400

3 avr. 1942, Loi, Ordre des experts-comptables, n° 391

5 avr. 1942, Arrêtés, Mise en œuvre de la politique d’aryanisation, n° 396

8 avr. 1942, Loi, Aides aux congrégations, n° 389

10 avr. 1942, Loi, Serment des fonctionnaires, n° 390

11 avr. 1942, Loi, Secrétariat d’Etat à l’information et à la propagande, n° 387

11 avr. 1942, Loi, Suspension du procès de Riom, n° 388

13 avr. 1942, Décret, Application des mesures antijuives en Algérie, n° 397

13 avr. 1942, Décret, Chantiers de jeunesse en Algérie, n° 401

17 avr. 1942, Loi, Révision de l’octroi de la nationalité des « anciens indigènes », n° 413

18 avr. 1942, Acte constitutionnel n° 11, Instauration d’une fonction de chef du gouvernement, n° 395

28 avr. 1942, Loi, Refonte du régime du 1° mai férié, n° 398

Mai 1942

1° mai 1942, Application en Algérie des mesures contre les francs-maçons, n° 402

6 mai 1942, Loi, Rattachement du commissariat général aux affaires juives au Gouvernement, n° 404

6 mai 1942, Darquier de Pellepoix nommé commissaire général aux questions juives, n° 403

12 mai 1942, Loi, Réorganisation du secrétariat à l’information, n° 405

Document : Séquestres prononcés en conséquence d’une mesure de sûreté, n° 406

18 mai 1942, Loi, Annulation de la condamnation pénale d’un dignitaire nazi, n° 439

18 mai 1942, Arrêtés, Mise en œuvre de mesures antijuives par Darquier de Pellepoix, n° 411

29 mai 1942, Loi, Exercice de la profession d’huissier, n° 414

29 mai 1942, Loi, Dévolution des biens communistes saisis, n° 421

Juin 1942

2 juin 1942, Loi, Rattachement de la gendarmerie aux services du chef du gouvernement, n° 410

5 juin 1942, Décret, Exclusion des Juifs du cinéma et du théâtre, n° 412

6 juin 1942, Loi, Contrôle de l’économie, n° 420

13 juin 1942, Loi, Elargissement des mesures anti-maçonnes, n° 424

19 juin 1942, Loi, Répression de l’incendie de récolte, n° 422

21 juin 1942, Loi, Compétence de Pierre Laval pour la politique anti-maçonne, n° 415

24 juin 1942, Décret, Rattachement de la gendarmerie au chef du gouvernement, n° 448

Juillet 1942

15 juil. 1942, Loi, Aryanisation des chantiers de jeunesse, n° 423

18 juil. 1942, Loi, Création de la Légion tricolore, n° 430

23 juil. 1942, Régime de l’abandon de famille, n° 455

Jurisprudence sur l’abandon de famille, n° 456

27 juil. 1942, Loi, Enfance délinquante, n° 432

Note : La déportation des enfants, n° 433 et 434

27 juil. 1942, Loi, Répression des évasions de la main d’œuvre pénale, n° 435

Document : Publication des parts sociales saisies car appartenant à des Juifs, n° 437

31 juil. 1942, Loi, Statuts de la Francisque, n° 437

Août 1942

6 août 1942, Loi, Répression de l’homosexualité, n° 440

7 août 1942, Loi, Peine de mort pour la détention d’explosifs ou de stocks d’ares, n° 431

7 août 1942, Loi, Institution des conseils départementaux, n° 441

10 août 1942, Loi, Evasion des internés administratifs, n° 445

25 août 1942, Loi, Cessation d’activité du bureau des assemblées parlementaires, n° 438

Septembre 1942

1° sept. 1942, Loi, Création du titre de « peintre de l’armée », n° 446

1° sept. 1942, Loi, Exclusion des indésirables des champs de course, n° 457

1° sept. 1942, Loi, Mesures face au retour de la guerre sur le sol français, n° 458

4 sept. 1942, Loi, Réquisition de main d’œuvre, n° 447

16 sept. 1942, Décret, Statut du personnel de la gendarmerie, n° 506

19 sept. 1942, Frais d’internement mis à la charge des internés, n° 461

22 sept. 1942, Loi, Effets du mariage, n° 465

26 sept. 1942, Loi, Réglementation des foires, n° 449

26 sept. 1942, Loi, La Relève, n° 450

26 sept. 1942, Décret, Fernand de Brinon entre au gouvernement, n° 451

Octobre 1942

15 oct. 1942, Loi, Contôle des émissions radioélectriques dans les colonies, n° 459

17 oct. 1942, Loi, Usurpation des pouvoirs de police, n° 466

19 oct. 1942, Loi, Limitation du nombre des élèves juifs en Algérie, n° 460

Novembre 1942

7 nov. 1942, Loi, Réorganisation de la radiodiffusion nationale, n° 471

Document : 8 nov. 1942, Echange de messages entre Roosevelt et Pétain, n° 470

9 nov. 1942, Loi, Limitation à la circulation des Juifs, n° 489

10 nov. 1942, Loi, Prévention des manifestations du 11 novembre, n° 485

10 nov. 1942, Arrêté, Commission scientifique pour l’étude des questions de biologie raciale, n° 478

14 nov. 1942, Loi, Comité des travailleurs français en Allemagne, n° 472

17 nov. 1942, Acte constitutionnel n° 12, Exercice du pouvoir législatif par Pierre Laval, n° 473

Document : 17 nov. 1942, Lettre secrète du Maréchal Pétain à Pierre Laval, n° 474

17 nov. 1942, Acte constitutionnel n° 4 « quinquies », Pierre Laval dauphin, n° 475

18 nov. 1942, Loi, Précision quant à la compétence des section spéciales, n° 481

18 nov. 1942, Loi, Etrangers en surnombre dans l’économie nationale, n° 492

19 nov. 1942, Message du maréchal Pétain sur les évènements d’Algérie, n° 476

Document : Déclaration de Pierre Laval du 20 nov. 1942, n° 477

26 nov. 1942, Acte constitutionnel n° 12 bis, Exercice de pouvoir législatif en conseil de cabinet, n° 479

27 nov. 1942, Décret, Darlan et Giraud déchus de la nationalité française, n° 480

Décembre 1942 

3 déc. 1942, Loi, Régime des matériels de guerre et des munitions, n° 486

3 déc. 1942, Loi, Sanctions en cas d’évasion de détenus, n° 487

3 déc. 1942, Loi, Sanction de la complicité d’évasion de détenus, n° 488

11 déc. 1942, Loi, Apposition du mot « Juif » sur les documents d’identité, n° 490

12 déc. 1942, Loi, Rattachement des commissaires du pouvoir au chef du gouvernement, n° 493

14 déc. 1942, Décret, Pouvoir disciplinaire dans les services de police, n° 494

16 déc. 1942, Loi, Organisation corporative de l’agriculture, n° 491

16 déc. 1942, Loi, Travail en Allemagne des jeunes, n° 496

17 déc. 1942, Loi, Suspension des procédures de changement de nom, n° 502

22 déc. 1942, Loi, Protection de l’enfance, n° 495

25 déc. 1942, Loi, Réforme de la loi de 1905, n° 501

29 déc. 1942, Loi, Associations familiales, n° 497

31 déc. 1942, Loi, Répression des infractions en matière économique, n° 504

Janvier 1943

1° janv. 1943, Vœux, n° 500

9 janv. 1943, Loi, Fondation des œuvres sociales du Maréchal Pétain, n° 503

11 janv. 1943, Loi, Mesures en faveur des francs-maçons repentis, n° 505

16 janv. 1943, Loi, Ouverture d’un recours pour les personnes internées, n° 515

30 janv. 1943, Loi, Création de la Milice, n° 507

Document : Déclarations du maréchal Pétain, Joseph Darnand et Pierre Laval lors de la création de la Milice, n° 508

Février 1943

4 fév. 1943, Loi, Organisation de l’industrie du couscous, n° 514

11 fév. 1943, Loi, Légalisation de la Légion de volontaires français contre le bolchevisme, n° 510

 Document : Statuts de la Légion de volontaires français contre le bolchevisme, n° 511

16 fév. 1943, Loi, Création du service du travail obligatoire, n° 512

 Note : Les réquisitions de main d’œuvre au profit de l’Allemagne, n° 513

18 fév. 1943, Décret, Discipline dans la gendarmerie, n° 517

22 fév. 1943, Loi, Régime du ravitaillement en temps de guerre, n° 522

24 fév. 1943, Loi, Création d’un commissariat au S.T.O., n° 516

24 fév. 1943, Loi, Statut du personnel de la SNCF, n° 527

24 fév. 1943, Décret, Mise en œuvre du S.T.O., n° 518

 

Mars 1943

4 mars 1943, Loi, Secrétariat général à la propagande, n° 520

5 mars 1943, Loi, Centralisation de la gestion des chantiers de jeunesse, n° 521

16 mars 1943, Loi, Réforme des sections spéciales, n° 525

17 mars 1943, Loi, Paiement des frais d’internement par les internés, n° 523

Avril 1943

14 avr. 1943, Loi, Relève des personnels médicaux auprès des prisonniers, n° 526

15 avr. 1943, Décret, Diffusion des films d’intérêt national, n° 532

19 avr. 1943, Loi, Répression des infractions en matière de ravitaillement, n° 528

19 avr. 1943, Loi, Pénalisation des fraudes à la dénaturalisation, n° 530

19 avr. 1943, Loi, Remise de peine contre S.T.O., n° 531

24 avr. 1943, Loi, Création d’une musique de la police nationale, n° 536

24 avr. 1943, Loi, Fonds national d’aide aux victimes du devoir, n° 537

28 avr. 1943, Loi, Protection de la main d’œuvre en Allemagne, n° 542

Mai 1943

1° mai 1943, Avantages financiers pour le S.T.O., n° 533

13 mai 1943, Loi, Amélioration des aides aux victimes d’actes de guerre, n° 540

21 mai, Loi, Clôture de la session de la Cour suprême, n° 541

28 mai 1943, Loi, Transfert du service de la garde de la Défense à l’Intérieur, n° 538

29 mai 1943, Loi, Centralisation du contrôle des émissions radioélectriques, n° 535

Juin 1943

3 juin 1943, Ordonnance, Institution du Comité français de la libération nationale, n° 660

5 juin 1943, Loi, Refonte des sections spéciales, n° 544

 Document : Pierre Laval parle aux Français, 5 juin 1943, n° 543

11 juin 1943, Loi, Sanction des réfractaires au S.T.O., n° 540

25 juin 1943, Loi, Publicité des mises en vente des biens appartenant à des Juifs

28 juin 1943, Loi, Conseil supérieur de la famille, n° 563

Juillet 1943

3 juil. 1943, Loi, Répression de la fraude fiscale liée au ravitaillement, n° 550

5 juil. 1943, Loi, Mesures sociales pour les populations bombardées, n° 551

15 juil. 1943, Loi et décrets, Création d’une force armée gouvernementale, n° 554

17 juil. 1943, Loi, Section spéciale pour attentat contre les forces de l’ordre, n° 561

22 juil. 1943, Loi, Protection de la moralité sportive, n° 552

22 juil. 1943, Loi, Engagement des français dans la Waffen-SS, n° 553

22 juil. 1943, Loi, Usage des armes à feu par les gendarmes, n° 569

Août 1943

3 août 1943, Loi, Modification du régime du Tribunal spécial, n° 560

23 août 1943, Loi, Réforme du Secours national, n° 566

24 août 1943, Loi, Réforme de l’artisanat, n° 562

27 août 1943, Loi, Outrage aux membres des chantiers de la jeunesse, n° 567

28 août 1943, Loi, Fermeture administrative des débits de boissons, n° 568

Septembre 1943

6 sept. 1943, Loi, Réglementation de la monte des taureaux, n° 570

9 sept. 1943, Loi, Création du « Mouvement prisonniers », n° 565

15 sept. 1943, Loi, Rattachement de l’administration pénitentiaire à l’Intérieur, n° 571

18 sept. 1943, Loi, Usage des armes par les policiers, n° 572

Octobre 1943

8 oct. 1943, Loi, Sanction des dénonciations abusives, n° 575

8 oct. 1943, Loi, Sanction des infractions aux obligations d’ensemencement, n° 576

11 oct. 1943, Loi, Usage des armes par la garde, n° 577

28 oct. 1943, Loi, Sanctions disciplinaires dans les chantiers de la jeunesse, n° 580

30 oct. 1943, Loi, Peine de mort par fusillade, n° 585

Novembre 1943

5 nov. 1943, Loi, Prévention des attentats, n° 581

23 nov. 1943, Loi, Usage des armes par le personnel de garde des communications, n° 590

24 nov. 1943, Répression de la corruption des fonctionnaires, n° 586

Décembre 1943

8 déc. 1943, Loi, Répression du racket par de faux policiers, n° 591

24 déc. 1943, Loi, Assurance et actes de Résistance, n° 621

28 déc. 1943, Loi, Armement du personnel pénitentiaire, n° 597

30 déc. 1943, Loi et décrets, Nomination de Joseph Darnand comme secrétaire général à l’Intérieur, n° 592

 Note : Nomination de Joseph Darnand, engagé dans la Waffen-SS

31 déc. 1943, Loi, Délivrance de documents d’identité après les bombardements, n° 599

Janvier 1944

1° janv. 1944, Vœux, n° 595

1° janv. 1944, Loi, Réforme du commissariat général à la main d’œuvre française en Allemagne, n° 598

10 janv. 1944, Décret et arrêté, Définition des pouvoirs de Joseph Darnand, n° 601

Note : 10 janv. 1944, Assassinat de Victor et Ilona Basch par la Milice, n° 596

15 janv. 1944, Loi, Pénalisation de la recherche d’armes, n° 600

20 janv. 1944, Loi, Instauration des cours martiales, n° 602

20 janv. 1944, Citation d’un magistrat à l’ordre de la nation, n° 603

27 janv. 1944, Loi, Conséquences des bombardements sur les horaires de travail, n° 605

27 janv. 1944, Loi, Répression du vol des colis pour prisonniers, n° 613

28 janv. 1944, Loi, Recensement des véhicules automobiles utilitaires en Zone Sud, n° 606

Février 1944

1° fév. 1944, Loi, Généralisation de l’organisation du S.T.O., n° 610

1° fév. 1944, Loi, Contrôle et internement des employeurs pour le S.T.O., n° 611

1° fév. 1944, Loi, Répression de la Résistance chez les fonctionnaires, n° 612

11 fév. 1944, Loi, Réforme de la procédure devant les cours martiales, n° 614

24 fév. 1944, Circulaire, Relations entre les forces de l’ordre et la Milice, n° 604

26 fév. 1944, Loi, Libre recrutement du personnel pénitentiaire, n° 615

26 fév. 1944, Décret, Paty de Clam Commissaire général aux affaires juives, n° 616

Mars 1944

1° mars 1944, Loi, Recensement du matériel de guerre, n° 620

16 mars 1944, Décret, Marcel Déat nommé ministre, n° 622

17 mars 1944, Loi, Engagement de marins français dans la Kriegsmarine, n° 623

20 mars 1944, Loi, Répression de toutes les formes d’action clandestine, n° 625

Avril 1944

1° avr. 1944, Décret, Nomination de miliciens dans la haute administration pénitentiaire, n° 626

1° avr. 1944, Décret, Avancements privilégiés dans la police, n° 627

15 avr. 1944, Loi, Réorganisation de la direction du renseignement, n° 628

15 avr. 1944, Loi, Création d’un inspection générale du maintien de l’ordre, n° 629

15 avr. 1944, Loi, Instauration des intendants du maintien de l’ordre, n° 630

15 avr. 1944, Loi, Rattachement de la garde des communications auprès du secrétariat général au maintien de l’ordre, n° 631

28 avr. 1944, Message du maréchal Pétain sur les évènements en cours, n° 632

Mai 1944

4 mai 1944, Loi, Création du service technique du maintien de l’ordre, n° 635

14 mai 1944, Loi, Instauration  des cours criminelles extraordinaires, n° 636

15 mai 1944, Loi, Création d’un fonds d’aide aux agents victimes d’attentats, n° 637

15 mai 1944, Loi, Attribution d’aides aux victimes civiles d’attentats, n° 638

Juin 1944

9 juin 1944, Loi, Fonctionnement des entreprises dont le patron est interné, n° 640

10 juin1944, Loi, Suppression des chantiers de la jeunesse, n° 641

10 juin 1944, Loi, Prorogation des cours martiales jusqu’au 31 décembre 1944, n° 645

15 juin 1944, Loi, Instauration des tribunaux du maintien de l’ordre pour sanctionner la désobéissance au sein des forces de l’ordre, n° 642

15 juin 1944, Loi, Sanction contre les fonctionnaires résistants, n° 643

15 juin 1944, Loi, Réforme de l’inspection générale du maintien de l’ordre, n° 644

20 juin 1944, Loi, Mariage des travailleurs français en Allemagne, n° 652

28 juin 1944, Loi, Suspension de peines de certains détenus, n° 651

Juillet 1944

6 juil. 1944, Décret, Citation de chefs miliciens à l’ordre de la nation, n° 650

Août 1944

 Document : 6 août 1944, le Maréchal Pétain dénonce les exactions de la Milice, n° 655

9 août 1944, Ordonnance, Rétablissement de la légalité républicaine, n° 661

 Document : 11 août 1944, Joseph Darnand répond au maréchal Pétain, n° 656

 Document : 11 août 1944, Note du maréchal Pétain sur la condamnation à mort du général de Gaulle, n° 27

17 août 1944, Décret, intérim par les secrétaires généraux, n° 657

La nomination de Pétain Président du Conseil, et l’armistice

I – Décret du 18 mai 1940 : le maréchal Pétain entre au gouvernement

L’histoire a commencé par un décret du 18 mai 1940, publié au Journal officiel du 19 mai, page 3702, cosigné selon la règle de la IIIème République par Albert Lebrun, président de la République, et Paul Reynaud, président du conseil. Dans la phase militaire périlleuse de cette mi-mai, Paul Reynaud appelait à ses côtés une vieille gloire militaire, le maréchal Pétain.

Le président de la République française

Décrète :

Art. 1er. – M. le maréchal Pétain est nommé ministre d’Etat, vice-président du conseil.

Art. 2. – Le président du conseil, ministre de la défense nationale et de la guerre, est chargé de l’exécution du présent décret.

Fait à Paris, le 18 mai 1940.

II – Décret du 16 juin 1940 : le maréchal Pétain est nommé président du conseil

Seconde étape le 16 juin, dans le contexte de la débâcle militaire. Au plus vif des discussions ministérielles entre l’option de l’armistice et celle de la poursuite de la guerre depuis l’Angleterre et l’Empire, le Maréchal Pétain avait fait savoir qu’il démissionnerait si le principe de l’armistice n’était pas retenu. C’était le choix d’une défaite politique, qui permettrait le dialogue avec l’ennemi et autoriserait toutes les revanches, l’alternative étant une capitulation des corps d’armée sur la métropole, geste militaire qui aurait permis la poursuite de la guerre depuis l’Empire, et aurait contraint l’Allemagne à gérer le territoire métropolitain.  

Paul Reynaud, en fonction depuis le 21 mars, a assumé sa défaite, remettant sa démission le 16 juin, en fin d’après-midi. Le Maréchal, alors âgé de 84 ans, a été reçu par le président de la République Albert Lebrun dans la soirée, et il lui a aussitôt présenté son gouvernement. Le plan était déjà bien engagé. Un mois plus tard, tout serait bouleversé : l’armistice, la collaboration, la fin de la République, et le pouvoir personnel du vieux militaire.

Le décret de nomination a été publié au Journal officiel des 14, 15, 16 et 17 juin 1940.

Le Président de la République 

Décrète :

Art 1er. – M. le Maréchal Pétain est nommé président du conseil des ministres, en remplacement de M. Paul Reynaud, dont la démission est acceptée.

Art 2. – Le président du conseil est chargé de l’exécution du présent décret.

Fait à Bordeaux, le 16 juin 1940.

Le général Weygand était nommé ministre de la défense alors que de notoriété, les relations entre les deux militaires n’avaient rien de chaleureux. Weygand avait été le collaborateur du maréchal Foch, souvent rival du maréchal Pétain, mais il avait un contrôle sur le commandement militaire. Le nouveau ministre de la justice était Charles Frémicourt, premier président de la cour de cassation, qui fut le seul membre du gouvernement à refuser de signer le projet de la loi constitutionnelle, mettant ainsi fin à sa courte carrière ministérielle… Charles Pomaret a remplacé Georges Mandel à l’intérieur, et son avenir ne sera pas fameux : le 30 septembre 1949, il fera l’objet d’une mesure d’internement administratif pour des propos estimés hostiles à la personne du Maréchal, et rejoindra d’personnalités de la III° République au centre de Chazeron. Pierre Laval, contacté par le maréchal Pétain pour être ministre de la justice, avait demandé le ministère des affaires étrangères, en vain, et il ne faisait pas partie de ce premier gouvernement. Il n’entrera au gouvernement comme vice-président du conseil qu’au lendemain de la signature de l’armistice, en même temps que son ami Adrien Marquet, à qui sera confié le ministère de l’intérieur.

Dans la foulée de sa nomination à la tête du gouvernement, le maréchal a noué les contacts, via les autorités espagnoles en vue de l’armistice, et il a signé seul les deux armistices, avec l’Allemagne et l’Italie le 24 juin. Pas un mot du coté des parlementaires….

III – Et si Paul Reynaud n’avait pas démissionné ? 

Paul Reynaud était-il obligé de démissionner le 16 juin ? Une option alternative était de quitter le pays en qualité de président du conseil, pour Alger ou pour Londres, ce qui était très faisable le 16 juin encore. Le départ sans démission du président du conseil aurait sensiblement compliqué la donne institutionnelle. Par sa démission, Paul Reynaud a facilité la nomination régulière du maréchal Pétain comme successeur dans la IIIème République, sachant que son premier acte serait l’armistice. 

Dans ses Mémoires, de Gaulle écrit :

Pour ressaisir les rênes, il eut fallu s’arracher au tourbillon, passer en Afrique, tout reprendre à partir de là. M. Paul Reynaud le voyait. Mais cela impliquait des mesures extrêmes : changer le Haut-commandement, renvoyer le maréchal et la moitié de ses ministres, briser avec certaines influences, se résigner à l’occupation totale de la métropole, bref, dans une situation sans précédent, sortir à tous risques du cadre et du processus ordinaire.

M. Paul Reynaud ne crut pas devoir prendre sur lui des décisions aussi exorbitantes de la normale et du calcul. Il essaya d’atteindre le but en manœuvrant. De là, en particulier, il envisagea un examen éventuel des conditions de l’ennemi, pourvu que l’Angleterre donnât son consentement. Sans doute, jugeait-il que ceux-là même qui poussaient à l’armistice reculeraient quand ils en connaîtraient les conditions et qu’alors s’opérerait le regroupement de toutes les valeurs de la guerre et du salut. Mais le drame était trop rude pour que l’on pût composer. Faire la guerre sans ménager rien ou se rendre tout de suite, il n’y avait d’alternative qu’entre ces deux extrémités. Faute, pour M. Paul Reynaud, de s’être tout à fait identifié à la première, il cédait la place à Pétain, qui adoptait complètement la seconde. »

Sur le plan constitutionnel, la nomination du maréchal comme président du conseil, dans le cadre de la IIIème République était parfaite. La seule réserve était l’absence de vote d’investiture par la chambre des députés, mais celle-ci ne pouvait se réunir dans un temps compatible avec les décisions à prendre. 

IV – Message du 17 juin 1940 : « C’est d’un cœur serré… »

A peine nommé, le maréchal Pétain a imposé sa politique – l’arrêt des combats et la recherche de l’armistice – et le 17 juin, il a adressé son premier message radiodiffusé.

Français,

À l’appel de M. le président de la République, j’assume à partir d’aujourd’hui la direction du gouvernement de la France. Sûr de l’affection de notre admirable armée qui lutte, avec un héroïsme digne de ses longues traditions militaires, contre un ennemi supérieur en nombre et en armes, sûr de sa magnifique résistance – elle a rempli nos devoirs vis-à-vis de nos alliés, sûr de l’esprit des anciens combattants que j’ai eu la fierté de commander – sûr de la confiance du peuple tout entier, j’ai fait à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur. En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude.

C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat.

Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités.

Que les Français se groupent autour du Gouvernement que je préside pendant ces dures épreuves et fassent taire leur angoisse pour n’écouter que leur foi dans le destin de la patrie ».

La formule selon laquelle il fallait arrêter le combat a été particulièrement malheureuse, car nombre de soldats crurent qu’un cessez-le-feu avait été conclu, et l’essentiel des 1,8 million de prisonniers fut capturé dans la semaine qui s’est écoulée entre ce discours, le 17, et la signature de l’armistice, le 24. Par la suite, les services de l’information soutinrent que le maréchal avait dit : « C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut tenter de cesser le combat. » 

Le 20 juin au matin, l’option du départ pour l’Algérie était encore d’actualité. Les trois présidents –Lebrun, Herriot et Jeanneney – étaient d’accord pour poursuivre le combat depuis Alger et l’amiral Darlan avait pris les dispositions pour l’embarquement des responsables politiques sur Le Massilia. Dans ce schéma, le maréchal Pétain envisageait de rester en métropole, pour représenter le gouvernement. Mais la conviction manquait chez ses dirigeant, et sur la base d’informations mensongères, évoquant un ressaisissement du front, ils se sont empressés de renoncer au départ à Alger, qui signifiait la poursuite du combat.

V – La convention d’armistice franco-allemande du 22 juin 1940

Le 25 juin, l’armistice a été signé dans des conditions interdisant toute négociation. Le gouvernement gardait des compétences limitées, sur un territoire morcelé et l’armée confinée. Le coût économique était ruineux.

L’article 1° donnait le ton. Le texte de la convention avait été rédigé par les autorités allemandes, et toutes les demandes de modification présentées par les autorités françaises avaient été rejetées.

Article 1°. – Le gouvernement français ordonne la cessation des hostilités contre le Reich allemand, sur le territoire français, comme sur ses possessions coloniales, protectorats et territoires sous mandat et sur les mers. Il ordonne que les troupes françaises déjà encerclées par les troupes allemandes déposent immédiatement les armes.

L’article 2 instituait le partage du territoire, avec une occupation du territoire totalement inégalitaire : les superficies étaient proches, mais les Allemands contrôlaient Paris et toutes les régions industrielles du Nord et de l’Est, les zones limitrophes passant de facto sous administration allemande.

Art. 2. – Pour assurer les intérêts du Reich allemand, le territoire français situé au nord et à l’ouest de la ligne tracée sur la carte ci-jointe sera occupé par les troupes allemandes. Les territoires qui ne sont pas encore aux mains des troupes allemandes seront immédiatement occupés par la conclusion de la présente convention.

L’article 3 définissait les droits de la puissance occupante. Bienveillant, l’article se poursuivait en évoquant le retour du gouvernement français à Paris, mais il s’agissaitt d’une illusion : les demandes françaises ne seront jamais examinées sérieusement.

Art. 3. – Dans les régions françaises occupées, le Reich allemand exerce tous les droits de la puissance occupante. Le gouvernement français s’engage à faciliter par tous les moyens les réglementations et l’exercice de ces droits ainsi que l’exécution avec le concours de l’administration française. Le gouvernement français invitera immédiatement toutes les autorités et tous les services administratifs français du territoire occupé à se conformer aux réglementations des autorités militaires allemandes et à collaborer avec ces dernières d’une manière correcte.

Le gouvernement allemand avait l’intention de réduire au strict minimum l’occupation de la côte occidentale après la cessation des hostilités avec l’Angleterre. Le gouvernement français était libre de choisir son siège dans le territoire non-occupé ou, s’il le désirait, de le transférer même à Paris. Dans ce dernier cas, le gouvernement allemand s’engageait à accorder toutes les facilités nécessaires au gouvernement et à ses services administratifs centraux afin qu’il soit en mesure d’administrer de Paris les territoires occupés et non occupés. Une option ensuite toujours refusée.

Les articles suivants traitaient de la reddition militaire, avec la démobilisation des forces françaises (Art. 4), la livraison aux autorités allemandes de tout le matériel de guerre pour les territoires occupés et non occupés (Art. 5 et 6), la mise à disposition des fortifications et installations militaires (Art. 7), la démobilisation de la flotte (Art. 8) et la fourniture des renseignements miliaires (Art. 9).

L’article 10, conséquence mécanique de l’armistice, faisait un grand pas dans la logique de la soumission.

Art. 10. – Le gouvernement français s’engage à n’entreprendre à l’avenir aucune action hostile contre le Reich allemand avec aucune partie des forces armées qui lui restent, ni d’aucune autre manière.

Le gouvernement français empêchera également les membres des forces armées françaises de quitter le territoire français et veillera à ce que ni des armes, ni des équipements quelconques, ni navires, avions, etc., ne soient transférés en Angleterre ou à l’étranger.

Le gouvernement français interdira aux ressortissants français de combattre contre l’Allemagne au service d’Etats avec lesquels l’Allemagne se trouve encore en guerre. Les ressortissants français qui ne se conformeraient pas à cette prescription seront traités par les troupes allemandes comme francs-tireurs. 

Les articles 11 et 12 assuraient le contrôle allemand sur le trafic maritime ou aérien de type commercial.

L’article 13 créait l’obligation pour le gouvernement français de mettre à dispositions des autorités allemandes l’ensemble ses équipements collectifs, en bon état. L’article 14 traitait du contrôle des émissions TSF par les Allemands. L’article 15 prévoyait une liberté de transit via la France entre l’Allemagne et l’Italie. Au titre de l’article 16, le gouvernement français ne pouvait procéder au rapatriement des populations ayant fui en zone sud qu’avec l’accord des autorités allemandes.

L’article 17 imposait un contrôle de l’activité économique.

Art. 17. – Le gouvernement français s’engage à empêcher tout transfert de valeurs à caractère économique et de stocks du territoire à occuper par les troupes allemandes dans le territoire non-occupé ou à l’étranger. Il ne pourra être disposé de ces valeurs et stocks se trouvant en territoire occupé qu’en accord avec le gouvernement allemand, étant entendu que le gouvernement du Reich tiendra compte de ce qui est nécessaire à la vie des populations dans les territoires non occupés.

L’article 18, très imprécis, se révélera particulièrement coûteux.

Art. 18. – Les frais d’entretien des troupes d’occupation allemandes sur le territoire français seront à la charge du gouvernement français.

Les articles 19 et 20 traitaient du sort des prisonniers : libération immédiate de tous les nationaux allemands, détenus ou prisonniers pour quelque raison que ce soit, alors que le sort des soldats français prisonniers était lié la conclusion de la paix. Un article terrible pour ces 1 850 000 prisonniers qui devenaient ainsi les otages du gouvernement allemand. 

Art. 20. – Les membres des forces armées françaises qui sont prisonniers de guerre de l’armée allemande resteront prisonniers de guerre jusqu’à la conclusion de la paix.

Les articles suivants traitaient des modalités de mise en œuvre, notamment de la responsabilité du gouvernement français dans la bonne mise en œuvre de la commission d’armistice, qui agira « sous le contrôle du Haut-commandement Allemand ».

VI – Message du 25 juin 1940 : « C’est à un redressement intellectuel et moral que je vous convie »

L’armistice passait mal auprès d’une population bouleversée par la défaite et l’exode. Aussi, le 25 juin, le maréchal Pétain s’est adressé aux Français. Après avoir clôt sa démonstration par une analyse bien idéalisée en termes de souveraineté – « Le gouvernement reste libre, la France ne sera administrée que par des Français », le maréchal résumait son choix de l’armistice, moquant les « mal instruits des conditions de la lutte » qui entendaient poursuivre le combat.

Vous étiez prêts à continuer la lutte, je le savais. La guerre était perdue dans la métropole ; fallait-il la prolonger dans nos colonies ? Je ne serais pas digne de rester à votre tête si j’avais accepté de répandre le sang français pour prolonger le rêve de quelques Français mal instruits des conditions de la lutte. Je n’ai voulu placer hors du sol de France, ni ma personne, ni mon espoir. Je n’ai pas été moins soucieux de nos colonies que de la métropole. L’armistice sauvegarde les liens qui l’unissent à elles. La France a le droit de compter sur leur loyauté.

De fait, avec l’article 10 de la convention d’armistice, le gouvernement français s’était engagé à maintenir une neutralité stricte de l’empire, ce qui est un atout précieux pour les Allemands, comme que cela apparaîtra dès l’épisode de Dakar en septembre 1940, puis celui d’Alger en novembre 1942.

Le maréchal abordait alors sa vision de l’avenir : un ordre nouveau commence.

C’est vers l’avenir que, désormais, nous devons tourner nos efforts. Un ordre nouveau commence. Vous serez bientôt rendus à vos foyers. Certains auront à le reconstruire.

Vous avez souffert. Vous souffrirez encore. Beaucoup d’entre vous ne retrouveront pas leur métier ou leur maison. Votre vie sera dure. Ce n’est pas moi qui vous bernerai par des paroles trompeuses. Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal. La terre, elle, ne ment pas. Elle demeure votre recours. Elle est la patrie elle-même. Un champ qui tombe en friche, c’est une portion de la France qui meurt. Une jachère de nouveau emblavée, c’est une portion de France qui renaît. N’espérez pas trop de l’Etat qui ne peut donner plus qu’il ne reçoit. Comptez pour le présent sur vous-mêmes et, pour l’avenir, sur les enfants que vous aurez élevés dans le sentiment du devoir.

Nous aurons à restaurer la France. Montrez-la au monde qui l’observe, à l’adversaire qui l’occupe, dans tout son calme, tout son labeur, dans tout son calme. Notre défaite est venue de nos relâchements. L’esprit de jouissance détruit ce que l’esprit de sacrifice a édifié. C’est à un redressement intellectuel et moral que, d’abord, je vous convie. Français, vous l’accomplirez et vous verrez, je le jure, une France neuve surgir de votre ferveur.

Le gouvernement s’est installé à Vichy, avec la promesse faite par la convention d’armistice d’un prochain retour à Paris. La station thermale de l’Aller, ville sans histoire politique, disposant de nombreux hôtels, pouvait convenir à ce provisoire. Dans cette station destinée essentiellement à une clientèle estivale, les hôtels, pour la plupart, ne disposaient pas de chauffage. Cette question est restée ignorée, car le retour dans la capitale était prévu pour bien avant l’hiver. Elle fût par la suite source de difficultés considérables.

Dans son message du 11 juillet 1940, le jour où il s’était saisit des pleins pouvoirs, le maréchal Pétain avait fait preuve d’un bel optimisme :

Afin de régler plus aisément certaines questions dont la réalisation présente un caractère d’urgence, le gouvernement se propose de siéger dans les territoires occupés.

Nous avons demandé, à cet effet, au gouvernement allemand, de libérer Versailles et le quartier des ministères à Paris. »

Le maréchal n’effectuera qu’une seule visite à Paris, le 26 avril 1944, encadré par les Allemands, suite aux bombardements alliés sur Boulogne-Billancourt, pour atteindre des usines participant à l’effort de guerre allemand.

Le choix d’un changement de régime

En cette fin juin 1940, plusieurs solutions étaient possibles, même après l’armistice, et c’est délibérément qu’a été choisi le changement de régime

I – Les diverses solutions possibles 

La première solution était, alors que les armes s’étaient tues, la continuation pure et simple de la III° République, car il n’y avait pas crise institutionnelle : étaient en place le parlement, dont le mandat avait été prolongé jusqu’à juin 1942 par un décret-loi du 27 juillet 1939, et le président de la République. Le président du conseil, soutenu par l’opinion, avait constitué sans peine son gouvernement. Le parlement était prêt à voter la confiance, et la technique du décret-loi permettait au gouvernement d’exercer l’essentiel du pouvoir. Bref, les institutions de la IIIème République pouvaient manifestement gérer la phase nouvelle, ouverte par l’armistice. La signature de l’armistice apportait une sécurité à l’Allemagne, qui trouvait une France – et son empire – sans conflit, pouvant concentrer son effort militaire ailleurs… De fait, le pouvoir nazi n’avait aucune exigence d’un changement de régime. Bref, la IIIème république avait le temps de voir venir, et notamment, pourquoi pas, de préparer une nouvelle constitution. 

La deuxième solution, soutenue par Pierre-Etienne Flandin, reposait sur la démission d’Albert Lebrun et une élection solennelle du maréchal Pétain comme président de la République, mais celui-ci ne voulait plus de la République.

La troisième, peu républicaine mais très efficace, était une délégation de pouvoir accompagnée d’une mise en congé des Chambres. C’était en substance la proposition du groupe de sénateurs dit des Anciens Combattants, dirigés par Jean Taurines et Jean Jacquy, présentée le 7 juillet:

L’Assemblée nationale décide :

1°. – L’application des lois constitutionnelles des 24-25 février et 16 juillet 1875 est suspendue jusqu’à la conclusion de la paix ;

2°. – Monsieur le maréchal Pétain a tous les pouvoirs pour prendre, par décrets ayant force de loi, les mesures nécessaires au maintien de l’ordre, à la vie et au relèvement du pays, et à la libération du territoire ;

3°. – L’Assemblée nationale confie à Monsieur le maréchal Pétain la mission de préparer, en collaboration avec les commissions compétentes, les constitutions nouvelles, qui seront soumises à l’acceptation de la nation, dès que les circonstances permettront une libre consultation.

Pour l’équipe de Vichy, cette solution imposait de composer, si peu soit-il, avec le président de la République, et surtout, elle empêchait la refondation idéologique, qui était le vrai moteur : la défaite était une opportunité pour tout refonder.  

La volonté était de changer de régime se mettant en phase avec la fin des démocraties. La défaite militaire n’avait eu lieu que du fait du pouvoir politique, et il fallait profiter de l’effet de sidération causé par la débâcle et l’armistice pour instaurer un régime politique dans lequel les interlocuteurs allemands pourraient se reconnaître. Les motifs de la loi d’habilitation montraient la voie : « C’est dans la défaite militaire et dans le désordre intérieur que d’autres pays ont puisé la force de revivre et se transformer ».

Le projet politique, arrêté à Bordeaux fin juin, a été mis en œuvre début juillet. Le 2, un conseil restreint a arrêté le plan, et le 4, le projet de loi a été adopté lors du conseil des ministres. Le 7, le président de la République Albert Lebrun a convoqué les parlementaires pour le 9, en session extraordinaire, pour décider d’un changement de constitution. Puis, tout s’est joué à Vichy. Le 9, les deux chambres votaient la nécessité d’une réforme constitutionnelle, sans débattre du projet lui-même, le matin pour le Sénat, l’après-midi pour la Chambre des députés ; le 10 au matin, l’Assemblée nationale tenait une réunion secrète, censée permettre un débat plus libre et plus sincère, et dans l’après-midi, était votée la loi confiant les pleins pouvoirs « au gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain » à l’effet de promulguer « une nouvelle constitution », qui « sera ratifiée par la nation et appliquée par les Assemblées qu’elle aura créées. » Un habillage, pour permettre dès le lendemain à Pétain d’agir à titre personnel, et de s’attribuer tous les pouvoirs par l’acte constitutionnel n°1. 

Deux hommes pouvaient conduire cette rupture, le général Weygand et Pierre Laval.

Le général Weygand, dans une note du 28 juin 1940, avait fait connaître sa disponibilité au maréchal Pétain. 

L’ancien ordre des choses, c’est-à-dire, un régime politique de compromissions maçonniques, capitalistes et internationales, nous a conduit où nous en sommes : la France n’en veut plus. (…) La lutte des classes a divisé le pays, empêché tout travail profitable, permis toutes les surenchères de la démagogie. Le relèvement de la France par le travail ne peut être réalisé sans l’institution d’un nouveau régime social, fondé sur la confiance et la collaboration entre patrons et ouvriers. (…) Il faut revenir au culte et à la pratique d’un idéal résumé en ces quelques mots : Dieu, Patrie, Famille, Travail.

Mais le général Weygand illustrait trop l’idée du pouvoir militaire, et pour assurer la transition, il fallait mieux jouer la carte de Pierre Laval, ce parlementaire madré, qui a su jouer cette crainte : vous ne m’appréciez pas, mais c’est moi ou les militaires. 

Comme pour le départ de Paul Raynaud, le maréchal Pétain voulait un cadre de légalité. Au terme du processus, il y aurait nécessairement rupture, car il fallait s’emparer de la légitimité pour s’octroyer les pleins pouvoirs, mais il ne fallait pas agir frontalement. Aussi, la technique a constitué à utiliser le cadre constitutionnel pour obtenir un vote très favorable sur une loi habilitant à proposer un projet constitutionnel, pour ensuite passer le coup de force dans la foulée de ce vote, en comptant sur les faibles trois patrons de la IIIème République : le président de la république, Albert Lebrun, le président de la chambre des députés, Édouard Herriot, et le président du Sénat, Jules Jeanneney. Lesquels ont effectivement tout lâché, et en connaissance de cause. 

Sur le plan forme, il y avait deux contraintes constitutionnelles : la procédure de réforme de la constitution, et le rôle du Président de la République, pour convoquer l’assemblée (article 2) et promulguer les lois modifiant la constitution (article 36).

La III° République connaissait une représentation parlementaire avec deux assemblées, la Chambre des députés et le Sénat, qui réunies pour les révisions constitutionnelles, formaient l’Assemblée nationale. 

La procédure de révision était prévue par l’article 8 de la loi constitutionnelle du 25 févier 1875. Selon le texte, l’initiative devait venir des chambres ou du président de la République, mais cette règle n’avait jamais été respectée, et lors des 4 révisions constitutionnelles, l’initiative était venue du gouvernement.

Les chambres auront droit, par délibérations séparées prises chacune à la majorité absolue des voix, soit spontanément, soit sur la demande du Président de la République, de déclarer qu’il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles.

Après que chacune aura pris cette résolution, elles se réuniront en Assemblée nationale pour procéder à la révision.

Les délibérations portant révision des lois constitutionnelles, en tout ou partie, devront être prises à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale. La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une proposition de révision.

II -L’exposé des motifs du projet de loi d’habilitation

La mise en œuvre de ce plan, dans laquelle tout le monde s’accorde à reconnaître le rôle du conseiller d’État Raphaël Alibert, reposait sur un respect strict du texte constitutionnel avec des textes minimalistes, le tout reposant sur le fait que non seulement il n’y aurait pas de vraie opposition parlementaire, mais au contraire un parlement qui chercherait à se débarrasser de son pouvoir, devenu un insupportable fardeau. Les deux chambres allaient donner leur accord sur changement de constitution, puis réunis en Assemblée nationale, elle confierait un mandat au maréchal Pétain d’établir le texte. Il était donc hors de question de prendre des engagements avant le vote, car rien n’était possible si après le vote, le maréchal Pétain ne parvenait pas, du fait de la paralysie des responsables politiques, à s’emparer de l’effectivité du pouvoir. Si l’un des trois leaders de la IIIe République – Lebrun, Herriot, Jeanneney – avait résisté, Pétain n’aurait certes rien lâché, mais il aurait dû passer par une illégalité assumée, ce qu’il voulait par-dessus tout éviter.

Aussi, on ne trouve rien du projet politique dans les textes constitutionnels, mais sa philosophie se retrouve dans l’exposé des motifs, qui sera une véritable feuille de route pour la première période du régime de Vichy. 

Messieurs,

Il faut que nous tirions la leçon des batailles perdues : revenir sur les erreurs commises, déterminer les responsabilités, rechercher les causes de nos faiblesses. Cette œuvre sera accomplie, mais elle ne servirait à rien si elle n’était la condition première de notre relèvement, car il s’agit de refaire la France.

Ayant mesuré l’étendue de sa défaite, un pays comme le nôtre, quelle que soit sa douleur, quelles que soient ses souffrances, ne se perdra pas en des regrets inutiles. Il ne se lamentera pas sur le passé et n’entreprendra pas non plus de la faire revivre tel quel. C’est dans la défaite militaire et dans le désordre intérieur que d’autres pays ont puisé la force de revivre et se transformer.

Au moment le plus cruel de son histoire, la France doit comprendre et accepter la nécessité d’une révolution nationale. Elle doit y voir la condition de son salut dans l’immédiat et le gage de son avenir.

C’est dans cet esprit que le gouvernement s’est tourné vers les chambres en leur demandant de rendre possible par un vote solennel, dans l’ordre et la légalité républicaine, cet immense effort. Sénateurs et députés ont l’expérience, mieux que quiconque, des faiblesses et des lacunes de nos institutions législatives. Un grand nombre d’entre eux n’ont cessé d’appeler de leurs vœux une réforme profonde des mœurs politiques. De récentes et émouvantes déclarations émanant d’hommes de tous les anciens partis ont témoignés d’une conscience aigüe des grands devoirs qui incombent à la représentation nationale.

On a senti que, toutes les barrières factices étant tombées, la France se reconnaissait, se retrouvait dans un grand dessin fraternel. Le Parlement s’honorera devant l’Histoire et méritera la reconnaissance de la nation en ouvrant le premier les portes de l’avenir.

Il faut que le gouvernement ait tout pouvoir pour décider, entreprendre et négocier, tout pouvoir pour sauver ce qui peut être sauvé, pour détruire ce qui doit être détruit, pour construire ce qui peut être construit.

Le gouvernement demande donc au Parlement, réuni en Assemblée nationale, de faire confiance au maréchal Pétain, président du conseil, pour promulguer sous sa signature et sa responsabilité les lois fondamentales de l’Etat français.

Il importe, en premier lieu, de restaurer l’Etat dans sa souveraineté et le pouvoir gouvernemental dans son indépendance. L’autorité légitime sera affranchie de la pression des oligarchies. Le gouvernement présidera aux destinées du pays avec continuité et ordonnera au bien commun l’ensemble des activités françaises.

Ce gouvernement aura la collaboration d’une représentation nationale qui jouera auprès de lui son rôle normal. La fermeté sera sa loi, mais il s’appliquera à concilier l’autorité avec le respect des libertés nécessaires.

C’est dans ce même esprit, que rompant avec les abus et la routine, il reconstruira sur des bases modernes et simples les institutions administratives et judiciaires du pays désorganisées par l’invasion. Arbitre des conflits de tous les Français, il s’efforcera dans cette œuvre d’atténuer, dans la plus stricte économie, le fardeau des dépenses publiques qu’une guerre malheureuse a rendu écrasant.

L’éducation nationale, la formation de la jeunesse seront au premier rang des soucis. Conscient des dangers mortels de la perversion intellectuelle et morale que certains ont fait courir au pays à une heure décisive, il favorisera de tout son pouvoir les institutions propres à développer la natalité et à protéger la famille. Le gouvernement sait bien d’ailleurs que les groupes sociaux : famille, profession, communes, régions, existent bien avant l’Etat. Celui-ci n’est que l’organe politique de rassemblement national et d’unité ; il ne doit donc pas empiéter sur les activités légitimes de ces groupes, mais il les subordonnera à l’intérêt général et au bien commun. Il les contrôlera et les arbitrera.

Certes, la vie économique de notre pays va connaître une orientation nouvelle, intégrée au système continental de la production et des échanges ; la France redeviendra d’ailleurs, à son avantage, agricole et paysanne au premier chef et son industrie devra retrouver ses traditions de qualité. Il sera donc nécessaire de mettre fin au désordre économique actuel par une réorganisation rationnelle de la production et des institutions corporatives.

La transformation des cadres professionnels conduira tout naturellement le gouvernement à instaurer dans la justice un ordre social nouveau. Employeurs et salariés ont un droit égal à trouver dans l’entreprise qui les réunit les moyens d’assurer dignement leur vie et celle de leurs familles. L’organisation professionnelle, réalisée sous le contrôle de l’Etat d’après ce principe de collaboration, assurera une plus juste répartition du profit en écartant d’une part la dictature de l’argent et la ploutocratie, d’autre part, la misère et le chômage.

La restauration de la hiérarchie des valeurs restera dans tous les domaines la tâche la plus urgente. Chaque français de la Métropole ou de l’Empire doit être mis à la place où il servira le mieux notre pays. Une seule aristocratie sera reconnue ; celle de l’intelligence ; un seul mérite, le travail ; ils dirigeront le pays vers son nouveau destin, celui de la France éternelle, pour continuer l’œuvre sacrée des millénaires. Ainsi, notre pays, au lieu de se laisser abattre par l’épreuve, retrouvera par son effort et dans ses traditions, la fierté de sa race.

Suivait le projet de loi.

Article unique.

L’Assemblée nationale donne tous les pouvoirs au Gouvernement, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain, à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l’Etat français.

Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie.

Elle sera ratifiée par les Assemblées qu’elle aura créées.

Dans cette première version, l’objectif du régime s’affirmait : le mot « République » ne figurait pas, et la ratification proposée n’en était pas une : elle serait l’œuvre des chambres créées par le nouveau régime, ce qui court-circuitait la souveraineté populaire. Pour contenter quelques parlementaires, les rectificatifs seront ensuite apportés sur ces deux points, mais sans aucune sincérité. Le texte qui finalement a été mis en œuvre était ce projet d’origine.

III – Le message de Pétain du 8 juillet 1941 devant le Conseil national

Après l’entrée en guerre de l’Union soviétique contre l’Allemagne nazie, le régime de Vichy a compris que la partie devenait beaucoup plus difficile, et il a commencé à entretenir l’idée que les actes de juillet 1940 étaient provisoires. Conscient de la nécessité de regrouper tout autour de lui un réseau politique, il a cherché à entretenir l’illusion d’une future constitution, mais il exposait, même dans ce cadre trompeur, des conceptions rompant avec la démocratie et la république. 

Exemplaire à ce titre, a été le discours prononcé par le maréchal Pétain, le 8 juillet 1941, devant le Conseil national. Le Conseil national  était une sorte de chambre ad hoc, dont les membres étaient nommés par le gouvernement, et qui était censée permettre une institutionnalisation des liens entre le gouvernement et l’option. 

Le régime électoral, représentatif, majoritaire, parlementaire, qui vient d’être détruit par la défaite, était condamné depuis longtemps par l’évolution générale et accélérée des esprits et des faits dans la plupart des pays d’Europe et par l’impossibilité démontrée de se réformer.

Un peuple n’est pas un nombre d’individus arbitrairement comptés au sein du corps social et comprenant seulement des natifs du sexe masculin parvenus à l’âge de raison. L’expérience décisive et concluante montre que cette conception n’aura été qu’un intermède relativement court de l’histoire de notre pays, initiateur du système, beaucoup plus court encore dans celle de la plupart des pays européens qui l’ont imité par étapes successives. »

Le maréchal enchaînait, livrant la substance de sa démonstration : 

Il ne suffira plus de compter les voix ; il faudra peser leur valeur.

Un peuple est une hiérarchie de familles, de professions, de communes, de responsabilités administratives, de familles spirituelles, articulées et fédérées pour former une patrie animée d’un mouvement, d’une âme, d’un idéal moteur de l’avenir, pour produire à tous les échelons une hiérarchie des hommes qui se sélectionnent par les services rendus à la communauté, dont un petit nombre conseillent, quelques-uns commandent et, au sommet, un chef qui gouverne.

La solution consiste à rétablir le citoyen juché sur ses droits dans la réalité familiale, professionnelle, communale, provinciale et nationale.

C’est de cette réalité que doit procéder l’autorité positive et sur elle que doit se fonder la vraie liberté, car il n’y a pas et ne doit pas y avoir de liberté théorique et chimérique contre l’intérêt général et l’indépendance de la nation.

Je me propose de recomposer le corps social d’après ces principes. Il ne suffira plus de compter les voix ; il faudra peser leur valeur pour déterminer leur part de responsabilité dans la communauté.

Le maréchal en venait à ce qu’il entendait par l’Etat autoritaire et hiérarchique qu’il appelait de ses vœux, exposant ainsi la toile de fond des mesures prises. 

J’ai dit à maintes reprises que l’Etat issu de la Révolution nationale doit être autoritaire et hiérarchique. De quelle autorité doit-il s’agir ? Que faut-il entendre par hiérarchie ? Hier, l’autorité procédait du nombre incompétent, périodiquement tourbillonnant : elle s’obtenait par le moyen d’une simple addition. Aujourd’hui, majorité et minorité gisent sous les mêmes décombres. L’autorité au nom de laquelle la Constitution déléguera le pouvoir et le commandement doit procéder d’abord du principe immuable qui est le fondement de la formation, du développement, de la grandeur et de la durée de tous les groupes naturels, et sans lesquels il n’y a ni peuple, ni Etat, ni nation.

L’autorité doit procéder en second lieu de tout ce qui, dans un peuple, représente la durée qui relie le passé à l’avenir et assure la transmission de la vie, du nom, des biens, des œuvres, en même temps qu’un idéal et une volonté communs et constants. Cette source de l’autorité au second degré, vous la trouverez dans la famille, dans la commune, qui est une fédération de familles, dans les métiers ; dans les professions organisées, dans les pays fédérés en provinces, qui ont marqué l’esprit français d’une empreinte indélébile au point que chacun se vante d’être de celle-ci et non de celle-là.

Par Etat hiérarchique, j’entends le remembrement organique de la société française. Ce remembrement doit s’opérer par la sélection des élites à tous les degrés de l’échelle sociale. Cette sélection doit être exprimée par la restauration de l’honneur, du métier et la restauration dans l’honneur de toutes les catégories nationales.

La sélection des chefs peut se faire, et elle a lieu en réalité dans toutes les conditions les plus humbles comme les plus hautes.

La Constitution devra la favoriser et le fixer en déterminant sa fonction dans tous les rouages de la société de la base au sommet. 

Elle rétablira cette qualification générale des Français qui a donné à notre pays la plus solide structure en fondant le droit de citoyenneté  non pas sur l’individu épars et abstrait, mais sur la position et les mérites acquis, sur le groupe familial, communal professionnel, provincial et national, sur l’émulation dans l’effort, sur l’intelligence tendue vers le bien de la communauté, sur les services rendus dans tous les cadres de l’activité humaine. »

L’organisation sociale supplantait toute idée de représentativité démocratique. Le maréchal Pétain poursuivait :

La question capitale qui se pose pour nous aujourd’hui est de savoir quel type de structure sociale nous devons et nous voulons imposer pour servir de soubassement à une construction politique qui doit affronter un avenir redoutable. Ne nous contentons pas d’abroger ce qui fut nocif et qui est mort ».

A l’occasion de la séance du Conseil national du 15 octobre 1941, consacrée à l’organisation des futures assemblées, le maréchal a adressé un nouveau message posant le problème comme étant non celui de la légitimité, mais de « l’organisation du circuit continu entre l’autorité de l’Etat et la confiance du peuple.

Ce que je désire, c’est une représentation réelle des forces vives du pays.

Les assemblées nationales, régionales, départementales et municipales ne représenteront plus une poussière inorganique d’individus, mais la nation elle-même, avec ses cadres traditionnels ; elles seront la représentation aussi exacte que possible des forces spirituelles, morales et économiques du pays.

Je voudrais qu’on y trouvât l’écho et le reflet du cabinet du penseur, du bureau de l’écrivain, de l’établi de l’artisan, de l’atelier de l’artiste, de la boutique du commerçant, de l’usine de l’ouvrier, du champ surtout, où le patient cultivateur sème le blé, taille la vigne, récolte les moissons.

Ainsi conçues, ces Assemblées ne seront plus ces arènes où l’on se battait pour conquérir le pouvoir, où se nouait des intrigues et des combinaisons d’intérêt ; elles seront, dans l’Etat autoritaire et hiérarchique où chacun se trouve mis à sa place, les conseils éclairés du chef qui, seul, est responsable et commande.

Les faits ont confirmé cette théorisation : tout processus électoral réel sera anéanti, jusque dans les communes et cantons, sans oublier les ordres et les chambres professionnelles. Quand il sera maintenu ou rétabli, ce sera dans des conditions anecdotiques. Et pour ce qui est des assemblées, mises en sommeil, leurs bureaux, qui subsistaient, seront dissous lors de l’été 1942, le président de la chambre des députés.

Le vote des parlementaires

sur le principe de la revision de la constitution

I – Décrets des 6 et 7 juillet : convocation des assemblées

Albert Lebrun a joué le jeu, et a accepté, en connaissance de cause, de convoquer les assemblées en session extraordinaire. Il a signé deux décrets, le premier, du 6 juillet, publié au Journal officiel n° 163 du 7 juillet, pour clore la session ordinaire, et le second, du 7 juillet, publié au Journal officiel n° 164 du 8 juillet 1940, pour convoquer les deux assemblées en session extraordinaire. 

Le Président de la République française

Vu l’article 2 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics,

Décrète :

Art. 1er. – Le Sénat et la Chambre des députés sont convoqués en session extraordinaire pour le mardi 9 juillet 1940.

Art 2. – Le maréchal de France, président du conseil et le ministre de l’intérieur sont chargés, chacun en ce qui le concerne, l’exécution du présent décret.

Fait à Vichy, le 7 juillet 1940

Albert Lebrun

Les deux chambres se sont réunies comme prévu, le 9 juillet à Vichy. Les sources sont ici le Journal officiel des débats parlementaires, qui regroupe les travaux des deux assemblées. Le n° 42 de la 16° législature, page 814, rend compte des débats de cette session extraordinaire. 

En droit, il revenait au président du conseil de se présenter devant les parlementaires pour défendre un projet constitutionnel, mais par un message du 7 juillet, le Maréchal Pétain avait donné un mandat à Pierre Laval :

Monsieur le Président,

Le projet d’ordre constitutionnel, déposé par le gouvernement que je préside, viendra en discussion les mardi et mercredi 9 et 10 juillet devant les Assemblées. Comme il m’est difficile de participer aux séances, je vous demande de m’y représenter. Le vote du projet que le gouvernement soumet à l’Assemblée nationale me paraît nécessaire pour assurer le salut du pays.

Veuillez agréer, …

II – Débats de la Chambre des députés, le 9 juillet 1940

C’est la Chambre des députés, présidée par Edouard Herriot, qui s’est réunie la première, à 9 heures et demie. 

Edouard Herriot (1872-1957), professeur d’université, avait été élu maire de Lyon en 1905. Responsable du parti radical-socialiste en 1919, plusieurs fois ministre, chef du gouvernement issu de la victoire du Cartel des gauches en 1924, il avait poursuivi sa carrière comme parlementaire ou comme ministre. Hostile à la l’alliance politique constituée par le Front Populaire, il avait vu Daladier lui succéder à la tête du parti radical en 1935. Annoncé comme favorable au départ du gouvernement en Afrique du Nord, il s’était rangé à l’avis dominant et avait fait revenir ses affaires qui étaient embarquées sur Le Massilia, après avoir obtenu de Pétain le statut de Lyon comme « ville ouverte », et le maintien de son poste. Il est ensuite resté président de la chambre jusqu’en octobre 1942, après la dissolution du bureau des chambres, puis a été placé en résidence surveillée d’abord chez lui dans l’Isère, puis dans la région de Nancy. Lors du procès de Riom, sollicité pour produire les comptes-rendus des comités secrets tenus lors la drôle de guerre, il n’a soulèvé aucune critique contre la légalité de la Cour suprême, ne serait-ce que s’agissant de sa rétroactivité, ou contre la demande, qui était une violation fragrante de la séparation des pouvoirs. S’affirmant « très désireux de seconder l’œuvre de vérité », et en lien avec Jeanneney, il a transmis les éléments visant à accuser ses collègues parlementaires. En août 1944, Pierre Laval l’a fait libérer et les deux se sont rencontrés à Paris, cherchant à trouver une transition avec la III° république, mais en vain. Après la Libération, Edouard Herriot redevenu maire de Lyon, président de l’assemblée nationale et président du parti radical. 

Olivier Wieviorka analyse:

« Jules Jeanneney et Edouard Herriot, le 10 juillet 1940, n’avaient brillé ni par leur courage, ni par leur clairvoyance. Sacrifiant à un juridisme pointilleux, les deux présidents s’étaient résolus à immoler la République sur l’autel de l’unité nationale. Sans adhérer aux principes de la révolution nationale, ils admettaient la légalité d’un régime qu’ils n’aimaient guère, sans chercher pour autant à le combattre. Jules Jeanneney rendait visite au maréchal Pétain (24 juillet 1940) et s’entretenait posément de la question constitutionnelle. Et les deux hommes refusaient de construire les chambres en foyers d’opposition. »

Le 9 juillet au matin, Edouard Herriot ouvrait les débats devant la chambre des députés, par une brève allocution écoutée debout par les députés, sans faire mention, même d’un mot, de l’armistice ou de la fin programmée de la République.

Mes chers collègues,

depuis notre dernière réunion, un immense malheur a frappé notre patrie. Chacun d’entre nous a éprouvé une douleur plus forte que toutes celles qu’un Français a jamais eu à connaître. La dignité que nous entendons garder ne nous empêche pas d’avouer la profondeur de cette souffrance ».

A suivi un hommage à trois députés morts au cours des évènements – Félix Gras, Paul Saint-Martin et Emile Laurens – ainsi qu’à des membres du personnel de l’Assemblée, avant un salut à « l’ensemble de nos soldats morts » et au « courage de nos armées».

Edouard Herriot poursuivait, en appelant au rassemblement autour du maréchal Pétain, parlant de « vénération », avant de critiquer une République devenue « trop facile ».

Mes chers collègues, si l’on veut bien méditer sur de tels sacrifices, comme on se sent éloigné des passions qui pourraient tendre encore à se manifester ! Celui qui est mort à la guerre est mort pour tous. Ce serait lui manquer de respect d’élever sur sa tombe à peine fermée des récriminations, des controverses de nature à diviser la famille française pour laquelle il a donné son sang. Et comment, alors que le sol français n’est pas libre, ne serions-nous pas contraint de nous imposer à nous-même la discipline la plus rude ?

Au lendemain des grands désastres, on cherche des responsabilités. Elles sont de divers ordres. Elles se dégageront. L’heure de la justice viendra. La France la voudra sévère, exacte, impartiale. Cette heure-ci n’est pas l’heure de la justice : elle est celle du deuil. Elle doit être celle de la réflexion, de la prudence.

Autour de M. le maréchal Pétain, dans la vénération que son nom inspire à tous, notre nation s’est regroupée dans sa détresse. Prenons garde à ne pas troubler l’accord qui s’est établi sous son autorité.

Nous aurons à nous réformer, à rendre plus austère une République que nous avions faite trop facile. Nous avons à refaire la France. Le destin de cette œuvre dépend de l’exemple de sagesse que nous allons donner.

Notre pays, notre grand pays, notre cher pays renaîtra, je le crois de toute mon âme.

Messieurs, vive la France ! » (Vifs applaudissements prolongés sur tous les bancs.)

Edouard Herriot a alors annoncé que la Chambre avait été saisie par le président du conseil d’un projet de résolution tendant à réviser les lois constitutionnelles, avec demande de discussion immédiate. Rappelant les termes de l’article 96 du règlement de la Chambre relatif à cette procédure d’urgence, qui permettait une discussion immédiate du projet de résolution, il a prononcé une suspension d’une heure pour permettre l’examen par la commission du suffrage universel. 

Edouard Herriot disposait pourtant de toutes les informations, et notamment de la résolution rédigée par un groupe de 27 parlementaires opposés au projet en cours, et réunis autour de Vincent Badie :

Les parlementaires soussignés, après avoir entendu lecture de l’exposé des motifs du projet concernant les pleins pouvoirs à accorder au maréchal Pétain, tiennent à affirmer solennellement : 

– qu’ils n’ignorent rien de ce qui est condamnable dans l’état actuel des choses et des raisons qui ont entraîné la défaite de nos armes, 

– qu’ils savent la nécessité impérieuse d’opérer d’urgence le redressement économique de notre malheureux pays et de poursuivre les négociations en vue d’une paix durable dans l’honneur. 

A cet effet, estiment qu’il est indispensable d’accorder au maréchal Pétain qui, en ces heures graves, incarne si parfaitement les vertus traditionnelles françaises, tous les pouvoirs pour mener à bien cette œuvre de salut public et de paix. Mais se refusent à voter un projet qui non seulement donnerait à certains de leurs collègues un pouvoir dictatorial mais aboutirait inéluctablement à la disparition du régime républicain. 

Les soussignés proclament qu’ils restent plus que jamais attachés aux libertés démocratiques pour la défense desquelles sont tombés les meilleurs fils de notre patrie.

La séance, suspendue à 9 heures 50 était reprise à 10 heures 50, avec les explications du rapporteur de la commission du suffrage universel, Jean Mistler.

Messieurs, 

Dans la stupeur qui a suivi nos désastres, la conscience du pays a senti la nécessité, si nous voulons refaire la France, de réformer profondément les institutions politiques, dont la marche, déjà difficile en temps de paix, s’est révélée tragiquement insuffisante à l’épreuve.

De nombreuses propositions avaient été faites avant la guerre en vue d’une réforme de l’Etat. Elles n’ont jamais abouti.

Aujourd’hui, c’est sur le principe même d’une révision des lois constitutionnelles que la Chambre est appelée à se statuer à la demande du gouvernement que préside la maréchal Pétain, ce grand soldat qui, dans notre deuil national, porte, sur son visage, le reflet de nos victoires d’hier, l’espoir de notre renaissance de demain (Vifs applaudissements unanimes.)

Il ne s’agit pas pour la Chambre, en ce moment de discuter le fond de la proposition qui nous est soumise et dont l’article unique est ainsi conçu :« La Chambre des députés déclare qu’il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles. »

Cette discussion de fond aura lieu demain devant l’Assemblée nationale qui, dans sa souveraineté, déterminera la forme de ce débat.

En ce moment, la question qui nous est posée est plus simple. Chaque Français estime qu’il faut bien de que des choses changent dans notre pays. C’est à nous, parlementaires, de donner force légale à cet espoir.

Aussi, la commission du suffrage universel m’a-t-elle donnée, à l’unanimité de ses vingt-deux membres présents, mandat de rapporter favorablement l’article unique du projet gouvernemental.

Le Parlement, dont la souveraineté, devenue de plus en plus théorique, était en fait ligotée par mille entraves, a été, hier comme aujourd’hui, chargé par certains de toutes les responsabilités.

Il en est, à coup sûr, qui sont les siennes. Il en est d’autres, et plus graves, qui ne lui sont aucunement imputables. Nous voulons qu’elles soient toutes recherchées. Nous voulons que leur châtiment soit impitoyable. 

Mais, c’est là une partie de l’œuvre de demain.

Et l’orateur de conclure en soulignant la légalité du processus en cours :

Aujourd’hui, en permettant, comme le Gouvernement le lui demande, l’immense effort de reconstruction du pays, dans l’ordre et la légalité républicaine, le parlement donne un exemple que tous, dans toutes les classes de la nation, et dans toutes nos provinces, celles qui sont libres et celles qui supportent le poids de l’occupation, devront suivre s’ils veulent que, de nouveau, elle soit égale à son magnifique passé, à son millénaire destin. » (Vifs applaudissements.)

Après avoir vérifié qu’il n’y avait pas d’opposition à la discussion immédiate, le président Edouard Herriot donnait alors la parole à Pierre Laval. Celui-ci, par une très brève intervention, a expliqué que c’est à son initiative que la commission du suffrage universel avait accepté de ne pas débattre du fond, pour reporter cette discussion au lendemain. De main de maître, la banalisation était en œuvre.

Messieurs,

J’ai été invité à assister, il y a quelques instants, à la séance de la commission du suffrage universel. J’ai fait une suggestion que la commission a acceptée à l’unanimité et que je désire soumettre à la chambre qui, je l’espère, voudra bien l’adopter à son tour.

Je désire qu’aucun débat sur le fond ne s’institue aujourd’hui et que vous acceptiez que, demain matin à neuf heures, dans une réunion générale préliminaire, à laquelle assisteraient à la fois le Sénat et la Chambre, on aborde le fond.

Je répondrai à toutes les questions, à toutes les objections. Ceux d’entre vous qui étaient inscrits ou qui voudraient se faire inscrire pourront demain exprimer librement leur opinion.

Je crois que cette procédure est la meilleure. Si vous la rejetiez, vous m’obligeriez à instituer cet après-midi et recommencer demain le même débat.

Il s’agit donc uniquement d’une question de procédure, sur laquelle, je pense, aucun désaccord ne s’élèvera entre nous.

Je remercie la commission du suffrage universel d’avoir accepté à l’unanimité le projet du Gouvernement. J’y vois le présage que, sur le fond, du projet qui a été déposé et qui sera soumis demain à l’Assemblée nationale, la même unanimité se manifestera, ce dans l’intérêt de la France. » (Applaudissements.)

Sur divers bancs : Aux voix !

Le président Edouard Herriot reprenait alors la parole pour inviter les orateurs inscrits à renoncer à leur intervention.

M. le président.  Vous venez d’entendre la proposition de M. le vice-président du conseil. Dans ces conditions, les orateurs inscrits voudront-ils renoncer à la parole ? (Assentiment)

M. le président. En conséquence, la discussion générale est close.

Je consulte la Chambre sur le passage à la discussion du projet de résolution.

(La Chambre, consultée, décide de passer à la discussion du projet de résolution.)

M. Pierre Laval. Le Gouvernement demande le scrutin.

M. le président. Je mets aux voix par scrutin, le projet de résolution.

Sur 398 votants, 395 votèrent pour l’adoption et 3 contre : Mrs Roche, Biondi, et Margaine. Ceux qui, le lendemain, s’opposèrent au projet de loi d’habilitation lors de la séance du 10 juillet à l’Assemblée nationale, avaient ainsi voté le principe de la réforme. Vincent Badie, fer de lance de cette opposition, a ensuite expliqué comment il s’était associé, le 9 à l’hommage à la personne du maréchal Pétain. « On a paru nous reprocher par la suite d’avoir donné un coup de chapeau au maréchal Pétain. Mais il nous semblait que Pétain, avec son glorieux passé, méritait encore l’estime du pays. Le témoignage de gratitude que nous lui apportions paraissait conforme à la vérité historique, et je ne renie rien de ce que j’ai pensé et écrit. » 

L’Assemblée a poursuivi ses travaux, devant traiter d’un incident initié par Jean-Louis Tixier-Vignancour tendant à ce que soit voté une motion stigmatisant les responsabilités publiques dans le désastre subi par le pays. 

M. Jean-Louis Tixier-Vignancour. J’ai déposé sur le bureau de la Chambre, au début de la présente séance, une proposition de résolution prenant les termes de l’ordre du jour qu’une assemblée privée, qui s’est tenue précédemment à celle-ci, a adopté à l’unanimité.

Cet ordre du jour concerne les responsabilités politiques, administratives et militaires qui ont conduit la France au désastre.

Je désire que cette motion soit votée par la Chambre en séance plénière, comme elle a été votée en assemblée privée, afin que le pays ne croie pas qu’ici, en jetant un voile de deuil sur son malheur, nous couvrons la fois les victimes et les bourreaux. Le désastre ne doit jamais faire oublier les responsables du désastre.

Le vote de cet ordre du jour est d’autant plus nécessaire, à mon avis, qu’à Bordeaux les responsables fuyaient et qu’ici ils reviennent. Ceux qui ont emporté leur patrie à la semelle de leurs souliers, ceux qui ont voulu prolonger une guerre inutile sont revenus ici en portant beau. Ce spectacle est une provocation au pays meurtri.

 Je demande le vote de ma proposition de résolution.

Cette demande a été rejetée par Edouard Herriot, pour les motifs tenant au respect du règlement, se permettant d’emprunter la rhétorique du parlementaire intransigeant :

M. le président. Monsieur Tixier-Vignancour, je ne puis qu’appliquer le règlement. Je fais appel à votre sang-froid pour entendre les observations suivantes.

Vous avez, en effet, déposé une proposition de résolution avec demande de discussion immédiate. 

Il y a un règlement, plus spécialement un article 96 qui fixe la procédure à adopter en la matière.  

Quant à moi, jusqu’à la dernière minute, j’observerai le règlement dont vous m’aviez confié la garde. (Très bien ! très bien).

Votre proposition devrait être, suivant la formule que vous connaissez bien, imprimée, distribuée, enregistrée au Journal officiel, afin de faire courir les délais et renvoyée à la commission (Mouvements divers). C’est cela, messieurs. Je suis ici le serviteur de ce règlement et je le serai jusqu’à la fin. (Très bien ! très bien ! et applaudissements). Cette procédure n’a pas été suivie.

Il vous était possible, d’autre part, monsieur Tixier-Vignancourt, de vous entendre avec la commission, et alors aurait joué une partie de l’article 96 : votre proposition aurait été renvoyée immédiatement à une commission et aurait été rapportée.

Cette procédure, qui vient précisément de jouer avec la résolution que la Chambre vient d’adopter, n’ayant pas été demandée pour la votre, je suis obligé de déclarer que l’incident est clos.

M. Jean-Louis Tixier-Vignancour. Je vais, monsieur le président, m’incliner devant le règlement qui interdit à une assemblée siégeant dans les conditions où la nôtre siège, de voter un ordre du jour demandant le châtiment des responsables de notre désastre.

Je constate qu’ici, on applique le règlement qui empêche de désirer le châtiment des responsables (Exclamations), tandis qu’à l’extérieur, on continue probablement à appliquer le même règlement qui a permis à M. Paul Reynaud de venir parader dans cette assemblée (Nouvelles exclamations), qui a permis à Louis Louis-Dreyfus, qui avait fui son pays lorsque le danger s’approchait, de revenir ici également.

Je dis que ces procédés sont l’expression d’une époque qui finit et que ceux qui ne savent pas changer de méthodes ne sauront peut-être pas on plus trouver demain les méthodes qui seront nécessaires en face de l’envahisseur pour donner aux français un peu plus de confiance en l’avenir et que les leçons du passé, un passé douloureux, seront peut-être appliquées par la peuple, puisque le Gouvernement ne semble pas devoir le faire.

La séance suivait son cours avec la procédure, formelle, d’enregistrement de nombreux projets de loi restés en attente. Le premier concernait le décret du 1° septembre 1939 réprimant la publication d’informations de nature à exercer une influence fâcheuse sur l’esprit de l’armée et des populations…

III – Débats devant le Sénat, le 9 juillet 1940

La séance a été ouverte le même jour à 16 heures, sous la présidence de Jules Jeanneney. Sans aucune allusion à l’armistice, le président a ouvert les débats… par la vénération au maréchal Pétain : 

Depuis le 21 mai, où le Sénat tint, à Paris, sa dernière séance, si poignante déjà, que de journées cruelles et, parmi elles, que d’heures atroces.

Pour la première fois depuis l’entrée en guerre, le cri de « la Patrie en danger » avait, ce jour, retenti à nos oreilles.

J’y avais répondu, sous vos applaudissements, en attestant notre foi commune dans le destin de la France, et dans ses armées.

A peine plus de trente jours plus après, la France était en état d’armistice, désarmée, soumise, sur les deux tiers de son territoire, à l’occupation du vainqueur.

Un tel désastre a pu consterner. Qu’il ne puisse abattre aucun Français, moins encore aucun d’entre nous.

L’instant est, pour chacun, de s’offrir à tous les devoirs, puis s’y appliquer avec discipline et d’un cœur ardent.

Il en est qu’à cette place, vous me reprocheriez de ne point tenir déjà.

Avant tout autre, celui de l’incliner bien bas devant nos combattants tombés au champ d’honneur et de saluer avec tendresse tant d’autres dont l’intrépidité dans les combats a sauvé magnifiquement l’honneur de nos drapeaux. Je le remplis pieusement envers eux.

Un second est celui qu’appellent de toutes parts nos populations meurtries et, en tant d’endroits, ravagées effroyablement par la guerre, l’exode, les privations. Vous ne leur avez pas ménagé vos efforts pour leur ravitaillement matériel et moral, pour les moyens de retrouver leurs foyers, d’y subsister, d’y rendre vie à la nation, cette tâche digne de primer toute autre. Souhaitons que s’y exprime toute notre solidarité, plus que jamais fraternelle.

J’atteste enfin à M. le maréchal Pétain notre vénération et la pleine reconnaissance qui lui est due pour un don nouveau de sa personne (Vifs applaudissements).

Il sait mes sentiments envers lui, qui sont de longue date. Nous savons la noblesse de son âme. Elle nous a valu des jours de gloire. Qu’elle ait carrière en ces jours de terrible épreuve et nous prémunisse, au besoin, contre toute discorde.

Le sort de la France semble être de se régénérer dans le malheur. En aucun temps, son malheur ne fut si grand.

A la besogne ! Pour forger à notre pays une âme nouvelle, pour y faire croire force créatrice et foi, la muscler fortement aussi, y rétablir enfin, avec l’autorité des valeurs, morales, l’autorité tout court.

Ce n’est point aujourd’hui seulement que je réclame, devant le Sénat, les droits de celle-ci.

Il eut fallu épargner à nos enfants le lamentable héritage que nous allons leur laisser. Ils expieront nos fautes ; comme ma génération expia, puis répara, celles d’un autre régime.

J’ose dire qu’ils ne pourront avoir plus d’attachement que nous en avons donné à la terre de France, à ses libertés, à son génie propre, comme au patrimoine d’honneur et de grandeur qui est celui de son peuple entier.

Qu’ils y mettent plus de vigilance que nous n’avons fait. Il y va de la France éternelle (Vifs applaudissements répétés).

Le président a alors annoncé l’objet de la réunion du Sénat à savoir l’examen du projet de révision des lois constitutionnelles, pour lequel le Gouvernement avait demandé la discussion immédiate. La parole était alors donnée à Pierre Laval, qui a formalisé le dépôt du projet de résolution tendant à réviser les lois constitutionnelles, et il a été décidé de soumettre le projet à la commission de législation civile et criminelle, présidée par Pierre de Courtois, qui aussitôt fait savoir que « la délibération de la commission sera très brève. »

Il a alors été fait mention d’une résolution déposée par le sénateur Charles Reibel, tendant à la recherche judiciaire des responsabilités, proposition renvoyée pour examen en commission spéciale.

La séance, suspendue à 16 heures 15, reprenait à 17 heures 10, avec l’exposé du rapporteur de la commission, Jean Boivin-Champeaux (1887-1954), sénateur du Calvados depuis 1928, qui a souligné la légalité du processus de révision. Au passage, il développait l’idée que c’est parce qu’il avait été sous-informé par le gouvernement, que le Parlement avait voté les crédits militaires pour la guerre. Jean Boivin-Champeaux prendra très vite ses distances avec le gouvernement de Vichy, au motif qu’étaient reniés les engagements pris auprès de parlementaires. Après la Libération, il a été relevé de l’inéligibilité qui le frappait en raison de son vote du 10 juillet au motif qu’il avait « très vite marqué son opposition ouverte aux hommes de Vichy en s’efforçant de faire tenir les engagements pris par eux envers les assemblées parlementaires. »

M. Boivin-Champeaux. Messieurs, l’article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 décide que les Chambres auront le droit, par délibération séparée, prise dans chacune, à la majorité absolue des voix, de déclarer, soit spontanément, soit sur demande de M. le Président de la République, qu’il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles.

Les Chambres, après s’être prononcées, se réunissent en Assemblée nationale. La révision peut porter soit sur une partie, soit sur l’ensemble de la constitution.

La Chambre, ce matin, a déclaré, sur la demande de M. le président de la République, qu’il y avait lieu de réviser les lois constitutionnelles.

Vous êtes appelés à vous prononcer à votre tour. La procédure est légale ; elle est conforme aux précédents, avec cette différence toutefois, que les révisions de 1879, 1884 et 1926 n’ont été que des révisions partielles, et qu’aujourd’hui c’est une refonte totale que vous avez à envisager.

Il ne s’agit pas, à l’heure actuelle, d’aborder le fond du débat. Le texte ne nous y autorise pas.

Il s’agit de se prononcer sur le principe, et sur ce principe, je crois pouvoir vous dire que nous sommes tous d’accord. 

Après l’effroyable drame où notre pays a été jeté, il faut lui donner une raison de vivre et une espérance. Il faut qu’il ait la certitude que les erreurs passées ne se renouvelleront pas ; il faut surtout qu’il ait le sentiment que, contrairement à ce qui est advenu après la guerre de 1914-1918, les immenses sacrifices n’auront pas été vains.

Ce n’est pas sans tristesse que nous disons adieu à la constitution de 1875.

Elle avait fait de la France un pays libre, un pays où l’on respirait à l’aise, où l’on se sentait à la fois fort et dispos. Elle meurt, moins de ses imperfections que de la faute des hommes qui avaient été chargés d’en assurer la marche et le fonctionnement. (Vifs applaudissements.)

M. Jean Odin. Le Parlement meurt de ses dessaisissements et de ses carences.

M. Boivin-Champeaux.  On peut se demander même si la Constitution de 1875 ne meurt pas de ne pas avoir été plus strictement appliquée (Nouveaux applaudissements).

Je crois traduire un sentiment unanime en disant que cette assemblée qui, jusqu’au dernier jour, a accompli son devoir, a gardé l’estime et la confiance du pays. Le Sénat n’a cessé de servir la France, ni de consentir aux sacrifices qui lui ont été demandés dans l’intérêt de la patrie. (Très bien ! très bien !) Il a été, au sens plein du mot, l’assemblée de l’intérêt général, et je souhaite que les instituions nouvelles en retrouvent son image. (Très bien ! très bien !)

Il n’y a pas si longtemps que sa modération, sa sagesse et sa clairvoyance évitaient au pays des divisions intestines et la guerre civile. Je ne doute pas que, mieux informé, il n’ait évité à la nation les horreurs et les dévastations de la guerre. (Vifs applaudissements.)

M. Paul Bénazet. Le Sénat a été mal informé par les gouvernements responsables.

M. Boivin-Champaux. Vous avez raison, par les gouvernements responsables. Messieurs, votre commission vous demande un dernier geste, celui d’adopter le texte proposé. Ce ne sera pas payer trop cher la sauvegarde et le relèvement de la patrie. » (Vifs applaudissements prolongés.)

Pierre Laval reprenait la parole, précisant qu’avant le débat du lendemain après-midi devant l’Assemblée nationale, sur le fond, il souhaitait que se tienne une réunion officieuse avec les deux chambres, le matin. 

M. Pierre Laval. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à monsieur le vice-président du conseil.

M. Pierre Laval. Mes chers collègues, j’ai demandé la parole simplement pour une question de procédure et de méthode.

Ce matin, au cours de la séance de la chambre des députés, il a été convenu qu’une réunion du Sénat et de la Chambre des députés, ayant un caractère privé, réunion préliminaire à celle de l’Assemblée nationale, aurait lieu demain mercredi à 9 heures.

Nous pourrions ainsi échanger des observations et il me serait possible de faire un exposé, puis de répondre aux questions susceptibles de m’être posées.

 Je demande au Sénat de bien vouloir prendre la même décision que la Chambre. Ensuite, demain après-midi, se tiendrait l’Assemblée nationale.

Sur le texte qui vous est présentement soumis, il vous apparaîtra, après le magnifique rapport que j’ai applaudi avec vous,…

M. Joseph Caillaux. Oui !

M. Pierre Laval. … que toute discussion est inutile, puisqu’il s’agit simplement de décider qu’il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles.

Quant au débat dur le fond, c’est demain qu’il serait abordé. C’est donc pour faciliter la discussion en séance publique de l’Assemblée nationale, que j’ai demandé et obtenu de la Chambre comme je le demande et espère obtenir du Sénat, la décision de tenir une réunion officieuse des deux chambres qui précéderait celle de l’Assemblée nationale. 

M. le président. Messieurs, je n’ai aucune opposition à formuler contre la suggestion qui vient de vous être faite et contre la décision qui est sollicitée de vous.

Afin qu’il n’y ait pas de méprise, je précise que cette réunion du Sénat et de la Chambre des députés, qui se tiendra demain matin,…

M. Pierre Laval. Aura un caractère officieux !

M. le président. … sera en marge de la délibération officielle de l’Assemblée nationale.

M. Pierre Laval. Parfaitement !

M. le président. Je mets aux voix la déclaration d’urgence.

L’urgence est déclarée.

Je consulte le Sénat sur la discussion immédiate.

(La discussion immédiate est ordonnée.)

M. le président. Quelqu’un demande-t-il la parole dans la discussion générale ?

M. Pierre Laval. Je demande au Sénat de se prononcer par scrutin.

M. Alfred Brard. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. Brard.

M. Alfred Brard. Je désire poser une question à M. le vice-président du conseil. Est-il possible de décider que, demain matin, en séance privée, les discussions et les réponses du Gouvernement figureront en procès-verbal qui sera scellé et déposé aux archives nationales ?

M. Pierre Laval. Si l’Assemblée le désire.

M. le président. Ceci est étranger à la délibération.

M. Pierre Laval. La demande de M. Brard pourra faire l’objet d’une discussion. Pour ma part, je ne vois pas d’inconvénient à accepter cette suggestion.

M. le comte Louis de Blois. Il s’agit bien du vote d’un principe et seulement d’un principe, les modalités pouvant être réservées ?

Voix nombreuses. Oui ! oui !

M. le président. S’il n’y a pas d’autre observation, je consulte le Sénat sur le passage à la discussion de l’article unique du projet de résolution ?

(Le Sénat décide de passer à la discussion de l’article unique.)

M. le président. Je donne lecture de l’article unique :« Article unique. Le Sénat déclare qu’il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles. »

Avant de mettre aux voix le projet de résolution, je donne la parole à M. Maupoil pour expliquer son vote.

M. Henri Maupoil. Pour répondre à l’appel de M. le vice-président du conseil, je renonce à la parole.

Le seul orateur inscrit s’étant désisté, il était aussitôt passé au vote, acquis par 229 voix pour l’adoption et une voix contre, le marquis de Chambrun, député de la Lozère. Il restait à clore la séance.

M. le président. Par suite du vote qui a été émis par la Chambre des députés et par le Sénat, il y a lieu de réunir l’Assemblée nationale.

J’avise le Sénat que cette réunion se tiendra demain mercredi 10 juillet, à quatorze heures.

J’en informe M. le président de la Chambre des députés.

Personne ne demande la parole ?

La séance est levée.

La séance du Sénat, qui s’était ouverte à 16 heures, est levée à 17 heures trente. 

Après le vote des deux chambres, le principe de la révision est acquis, dans une légalité parfaite, mais avec un risque politique considérable.

10 juillet 1940 : l’Assemblée nationale vote 

la loi constitutionnelle d’habilitation

Passé l’accord sur la nécessité de la révision, est venu le débat sur le contenu, qui pour respecter les termes de l’alinéa 2 de l’article 8 de la loi constitutionnelle, devait avoir lieu devant l’Assemblée nationale, c’est-à-dire les deux chambres réunies. La réunion était fixée au lendemain, le 10 juillet à 14 heures, après la réunion officieuse du matin. 

Les débats ont été retranscrits par le Journal Officiel des débats parlementaires, n° 43, du 11 juillet 1940. Cette dernière séance du parlement de la III° République s’est tenue dans la salle de théâtre du Grand Casino de Vichy, la seule salle pouvant contenir tous les parlementaires.

La séance s’est ouverte à 14 heures, sous la présidence de Jules Jeanneney.

Lors du procès du Maréchal Pétain, celui-ci a fait une lecture très critique des conditions dans lesquelles s’étaient déroulés des débats, par un plaidoyer pro domo assez pitoyable au vu de son rôle réel, tout en connivence.

Malgré les représentations que je devais et que je fis à l’Assemblée nationale sur le devoir qu’elle avait d’observer son règlement et d’observer la règle constitutionnelle qui allait être violée, rien n’y fit. Successivement, on décida contrairement au règlement, que le projet du gouvernement aurait priorité sur tous les autres contre-projets qui ne seraient par conséquent pas appelés et qui demeureraient ignorés.

Deuxièmement, quand vint l’heure de la discussion générale : on proclama qu’elle était superflue et qu’elle n’aurait pas lieu.

Enfin, en troisième lieu, à l’heure où avec insistance pourtant, certains membres demandèrent à expliquer leur vote, on décida encore qu’il n’y aurait pas d’explications de vote et que la parole serait refusée à tout le monde. On alla même jusqu’à changer la majorité constitutionnelle.

Voilà comment, entre 17 heures et 19 heures, les pleins pouvoirs ont été donnés pour que la France reçoive une constitution nouvelle. Il n’y a aucun doute pour personne qu’un pareil vote a été véritablement extorqué.

Constatant l’existence des deux résolutions du 9 juillet, Jules Jeanneney a ouvert les débats en rappelant les dispositions régissant la tenue de l’Assemblée nationale, telles que prévues par l’alinéa 2 de l’article 11 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875. Il a ensuite vérifié la régularité du bureau, et déclaré l’Assemblée nationale constituée.

Les débats s’ouvrirent par un incident quand le président Jules Jeanneney donna lecture du télégramme reçu la veille d’Alger, où se trouvaient les parlementaires qui avaient embarqué sur le Massilia:

Vous adressons protestation suivante que vous prions de bien vouloir lire séance publique. Venus Afrique du Nord avec services questure et commandement militaire du Palais-Bourbon sur décisions présidences Sénat et Chambre en accord avec Gouvernement et pour le rejoindre. Essayons vainement depuis le 24 juin de rentrer pour collaborer relèvement de la patrie. (Interruptions.) En sommes d’autant plus surpris que Gouvernement avait fait savoir par presse et radio que toutes mesures étaient prises pour faciliter le retour des parlementaires. Or, tandis que collègues Algérie peuvent rentrer, gouvernement général nous fait savoir qu’aucune instruction n’est donnée pour notre retour. Nous élevons contre obstacle apporté exercice notre mandat et exprimons regrets ne pouvoir participer aux débats et aux scrutins. Vous prions constituer nos collègues juges dès la situation qui nous est ainsi faite. Avec tous nos sentiments distingués et respectueusement dévoués ».

C’est Edouard Herriot qui répondit rappelant que ces parlementaires avaient embarqué dans un cadre organisé par le Gouvernement, regrettant de n’avoir pu obtenir leur retour et faisant silence sur la duplicité du Gouvernement qui, tout en faisant semblant d’agir, avait en réalité fait le nécessaire pour empêcher ce retour, et exclure des débats ceux qui étaient alors des opposants. Edouard Herriot connaissait parfaitement la situation, car il avait décidé de partir pour Alger, et suis de manœuvres de Raphaël Alibert, il s’était empressé de renoncer et avait fait débarquer avait renoncé embarquer ses bagages. Quoiqu’il en soit, le Massilia n’a pu embarquer le 21 juin dans l’après-midi qu’avec l’accord du gouvernement, qui y a vu une occasion pour éloigner et discréditer ces députés actifs et influents.

M. Edouard Herriot. (Applaudissements sur quelques bancs.) Je demande à l’Assemblée de bien vouloir m’écouter quelques instants sans passion. Je voudrais l’empêcher de commettre une injustice. Je manquerai de courage et personne ne m’en estimerai si je ne venais pas apporter ici aux collègues dont on a donné les noms le témoignage auquel ils ont droit.

J’atteste sur l’honneur et je suis prêt à démontrer par les pièces les plus précises, par les documents les plus incontestables, que nos collègues sont partis sur instructions régulières du Gouvernement,…

M. Georges Scapini. Je demande la parole.

M. Pierre Laval. Je la demande également.

M. Edouard Herriot. … instructions qui leur ont été transmises par moi et dont je garde le texte.

M. Georges Cousin. Mais nous, nous n’avons pas accepté.

M. Edouard Herriot. Ils ont été munis de bons d’embarquement réguliers. Le bon sens, du reste, suffit à démontrer que, s’ils se sont embarqués sur un paquebot de l’importance du Massilia, c’est que ce paquebot avait été affrété et mis à leur disposition par le Gouvernement.

J’ai fait toutes les démarches possibles pour leur permettre de nous rejoindre. Je n’y ai pas réussi. Je m’en excuse auprès d’eux, mais je suis, ou j’ai été le président de la Chambre des députés et, jusqu’au bout, quel qu’il soit, je remplirais mon devoir, préférant à un silence habile des paroles de droiture. (Applaudissements sur divers bancs.)

M. le président. Je tiens à confirmer entièrement les paroles de M. le président de la Chambre des députés en ce qui concerne les conditions d’embarquement du seul sénateur présentement en Algérie, mon collègue M. Tony Révillon.

La parole est à Monsieur le vice-président du conseil.

M. Pierre Laval. Je regrette que, dans le débat d’aujourd’hui, cet incident ait été soulevé.

Je n’étais pas membre du Gouvernement au moment où les faits se sont passés et où le départ a eu lieu ; mais j’ai le souvenir précis que, s’il est exact que des membres du Gouvernement et le Gouvernement avaient envisagé le transfert du siège du Gouvernement de Bordeaux à Perpignan, une parole de sagesse et de noblesse – et cela ne vous surprend pas – avait été prononcée par le maréchal Pétain, qui avait dit : « Quoi qu’il arrive, moi, je resterai au milieu de mes concitoyens. » (Applaudissements.)

J’ai eu moi-même l’occasion de dire que ce n’est pas en quittant la France qu’on peut la servir. (Applaudissements.)

Mais, cela étant rappelé, il est vrai qu’un bateau ne peut appareiller sans un ordre du Gouvernement.

Sur le fond, je ne conteste aucune des paroles, soit de M. le président de la Chambre, soit de M. le président du Gouvernement.

Comme membre du Gouvernement actuel, j’indique que lorsque les parlementaires ont demandé à rentrer, la commission de Wiesbaden, en vertu même des clauses de l’armistice, a été saisie d’une demande de moyen de transport. Je ne vous apprends rien, à vous qui connaissez ces clauses, en disant que la France est obligée d’accomplir cette formalité.

Aucune réponse n’est présentement parvenue. En droit parlementaire, l’attitude du Gouvernement est donc correcte.

Je vous demande, messieurs, de ne pas passionner ce débat. (Très bien ! très bien.) de ne rien ajouter. La tâche que nous avons à remplir est trop importante ; les décisions que nous avons à prendre sont trop graves, puisqu’il s’agit de l’avenir du pays. Ce n’est point de mes lèvres que tomberont les paroles qui pourraient provoquer en un moment aussi douloureux pour la France des passions qui troubleraient notre assemblée. (Applaudissements.)

Il restait à Edouard Herriot à conclure, sans répliquer aux mensonges flagrants de Pierre Laval, et en transformant la protestation des parlementaires évincés en de simples regrets. 

M. le président. Déférant au désir que M. le vice-président du conseil vient l’exprimer, je propose à l’Assemblée de clore l’incident en agréant les regrets de nos collègues et leur donnant acte de leur protestation. (Assentiment.)

L’incident est clos.

Le président put alors aborder l’ordre du jour, en commençant par la question du règlement de l’Assemblée.

M. le président. Pour la procédure de ses délibérations et la discipline de la séance, je propose au congrès d’adopter le règlement de l’Assemblée nationale précédente.

M. Fernand Bouisson. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. Fernand Buisson.

M. Fernand Bouisson. Messieurs, je crois qu’après le débat de la séance de ce matin, l’Assemblée sera d’avis d’appliquer une disposition réglementaire que nous avons adoptée à la chambre des députés et qui permet d’éviter les longueurs d’un débat.

L’article 50 bis du règlement de la Chambre dit qu’on doit mettre aux voix, sur la demande du Gouvernement, d’abord les projets du Gouvernement.

Je demande donc, pour éviter un débat très long et inutile, puisque chacun est fixé, de bien vouloir appliquer à l’Assemblée nationale l’article 50 bis du règlement de la Chambre indiquant que le projet du Gouvernement doit être mis d’abord aux voix. (Applaudissements sur divers bancs.)

M. le président. Je donne connaissance de l’article 50 bis du règlement de la Chambre des députés.

«  Avant l’examen des contre-projets ou avant l’examen de l’article premier, le Gouvernement peut demander la prise en considération en faveur de son texte régulièrement déposé. Il peut, au cours de la discussion faire la même proposition pour un ou plusieurs articles.

« Cette demande a la priorité sur les contre-projets ou sur les amendements.

« Le débat sur cette demande ne pourra être limité ni pour le nombre des orateurs, ni pour la durée du temps de parole, mais la clôture pourra toujours être prononcée. Sur la clôture, la parole ne peut être accordée qu’à un seul orateur, qui ne pourra la garder pendant plus de cinq minutes. » (Très bien ! très bien !).

La parole est à M. le vice-président du conseil.

M. Pierre Laval. Le Gouvernement demande l’application à l’Assemblée nationale du texte réglementaire dont M. le président vient de donner lecture.

Il demande, en outre, conformément à ce texte, que la prise en considération du projet de loi constitutionnelle dont l’Assemblée nationale est saisie.

Cela ne signifie pas que les membres de l’Assemblée qui ont déposé un contre-projet n’auront pas le droit de s’expliquer librement à la tribune.

M. le président. Le Gouvernement donne son adhésion à la proposition de M. Fernand Bouisson.

Il n’y pas d’opposition ?…

La proposition est adoptée.

Le règlement est ainsi modifié et adopté.

A ensuite été examinée l’effectif présent de l’Assemblée nationale, le but étant d’assurer la meilleure majorité, en prenant pour référence non pas le nombre des parlementaires mais celui des présents. A quatre reprises, l’Assemblée nationale s’était déjà réunie pour des révisions constitutionnelles, et en vertu de l’article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, était pris en compte le nombre légal des membres de l’Assemblée. De telle sorte, la Chambre des députés comportant 618 membres et le Sénat 314, le chiffre de référence devait être de 932, avec une majorité à 467. Revenant sur cette interprétation, pourtant peu discutable, l’Assemblée décida de prendre pour référence le nombre des présents soit 546 députés et 304 sénateurs, pour un chiffre total de 850 membres et une majorité acquise à 426. L’argument était posé sans ambages par Pierre Laval.

Au surplus, de quoi s’agit-il ?

Le quorum est atteint ; il est même largement dépassé.

Il s’agit donc simplement du calcul de la majorité. N’estimez-vous pas, dans l’intérêt du pays, qu’il vaut mieux montrer à la France et au monde que la majorité que le Gouvernement va recueillir tout à l’heure est importante et digne de l’objet de vos débats ? (Applaudissements.)

Est alors venu l’examen du projet de loi constitutionnelle.

M. Pierre Laval. J’ai l’honneur de déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale le projet de loi constitutionnelle suivant :

Article unique.

« L’Assemblée nationale donne tous les pouvoirs au Gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain, à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l’Etat français.

« Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie.

«  Elle sera ratifiée par la Nation et appliquée par les Assemblées qu’elle aura créées. »

Voix nombreuses. Aux voix !

A la suite de la réunion secrète du matin deux ajouts avaient été apportés au texte adopté en conseil des ministres : à propos du gouvernement, il était précisé « de la République », et la dernière phrase qui évoquait une ratification « par les assemblées créées » disposait désormais que la ratification serait le fait de la Nation. Littéralement, ces deux ajouts étaient décisifs car il garantissait le maintien dans la république, et la ratification par le peuple. Le général Weygand s’en plaindra auprès de Pierre Laval. Dans la réalité, le gouvernement avait accepté ces ajouts sans aucune sincérité, déterminé à n’en tenir aucun compte, mais voulant tout faire pour obtenir le vote le plus large des parlementaires

Le président consulta l’Assemblée sur l’urgence, et en l’absence d’opposition, il déclara l’urgence. Le projet a alors été soumis à l’examen des deux commissions compétentes, celle de la législation civile et criminelle pour le Sénat et celle du suffrage universel pour la Chambre des députés, qui devaient se réunir ensemble et rendre compte avec un seul rapporteur. La discussion, essentiellement technique, souligne la volonté de l’Assemblée de se mêler du minimum, et de donner carte blanche au maréchal Pétain… sous la garantie d’une ratification par le peuple. 

M. le président. Je dois d’abord consulter l’Assemblée sur l’urgence.

Il n’y a pas d’opposition…

L’urgence est déclarée.

Aux termes du règlement, le projet de loi devrait être renvoyé aux bureaux.

M. de Courtois. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. de Courtois.

M. de Courtois. Messieurs, ainsi qu’il résulte d’un précédent de l’Assemblée nationale en 1926, et dans le but de gagner du temps et de simplifier, il conviendrait, je pense, de désigner, pour examiner le projet de loi constitutionnelle qui vient d’être déposé une commission spéciale composée de trente membres. (Mouvements divers).

Sur nombre de bancs. Aux voix !

M. Piétri. Ne vous semble-t-il pas, messieurs, que nous perdrions un temps précieux à nommer une commission spéciale de trente membres et qu’il serait infiniment plus expédiant de renvoyer le projet de loi devant la commission civile du Sénat et la commission du suffrage universel de la Chambre des députés réunies ? (Très bien ! très bien !).

M. de Courtois. Mon cher collègue, vous êtes allé au-devant de ma pensée. Je voulais demander à l’Assemblée de désigner une commission de trente membres, lesquels seraient choisis vingt parmi les membres de la commission du suffrage universel de la Chambre des députés, et dix parmi les membres de la commission de législation civile du Sénat.

Si vous en décidez ainsi, les deux commissions pourraient se réunir dès maintenant, afin de désigner les membres de la commission constitutionnelle.

M. Antoine Cayrel. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. Cayrel.

M. Antoine Cayrel. Messieurs, je crois que, dans les circonstances que nous vivons, notre Assemblée ne doit pas s’embarrasser d’un formalisme périmé. (Applaudissements). Et autant, après consultation avec M. le président de la commission de législation civile du Sénat, avant notre réunion, j’étais prêt, au nom de la commission du suffrage universel, à accepter la proposition qu’il me faisait, autant je pense qu’il est utile que notre assemblée délibère rapidement ; et je suis certain que j’interprète la pensée de mes collègues, membres de la commission que je préside, en vous demandant de renoncer à ces prérogatives inutiles et puériles (Applaudissements.) et en priant l’Assemblée nationale de se prononcer immédiatement. (Nouveaux applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le vice-président du Conseil.

M. Pierre Laval. Je remercie mon ami M. Cayrel de son intervention, mais je pense que nous pourrions purement et simplement adopter la proposition qui a été faite par M. Piétri (Très bien ! très bien !) et soutenue par notre ami M. de Courtois, et décider, sans plus attendre, que la commission spéciale chargée d’examiner et de rapporter le projet, comprendra les membres de la commission de législation civile du Sénat et de la commission du suffrage universel de la Chambre.

Pourquoi ?

Parce que l’une et l’autre de ces commissions, devant l’une et l’autre assemblée, ont déjà examiné notre projet, et qu’il leur suffira de désigner, d’un commun accord, un rapporteur unique.

Je demande à l’Assemblée d’adopter cette procédure qui permettra de gagner du temps. (Applaudissements.)

M. le président. Aux termes de la proposition que vous venez d’entendre, le projet de loi constitutionnelle serait renvoyé à une commission composée de la commission du suffrage universel de la Chambre des députés et de la commission de la législation du Sénat.

Monsieur de Courtois, vous ralliez-vous à cette proposition ?

M. de Courtois. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix cette proposition.

(La proposition, mise aux voix, est adoptée.)

M. le président. J’invite, en conséquence, les deux commissions à se réunir sans délai.

M. Jean Taurines. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. Taurines.

M. Jean Taurines. Messieurs, ce matin, vous avez eu connaissance du contre-projet présenté par les sénateurs anciens combattants. Dans le but d’obtenir certaines précisions, et indépendamment de la concession qui nous a été accordée par le Gouvernement, nous demandons que la commission de la législation civile du Sénat et la commission du suffrage universel de la Chambre des députés veuillent bien entendre nos délégués (Mouvements divers) qui s’efforceront d’obtenir que figurent dans le rapport certaines précisions qui nous ferons un devoir de soutenir le Gouvernement. (Applaudissements).

M. le président. La parole est à M. le vice-président du conseil.

M. Pierre Laval. J’appuie la proposition de M. Taurines qui demande, afin de simplifier le débat…

M. de Courtois. Evidemment !

Pierre Laval. … que les auteurs du contre-projet puissent être entendus par la commission, dans l’espoir, d’ailleurs exprimé par M. Taurines, que nous n’aurons pas ensuite à la discuter en séance publique.

M. le président. J’invite donc les membres des deux commissions à vouloir bien se réunir pour l’examen du projet de loi constitutionnelle.

La séance a été levée à 14 heures 50, pour reprendre à 17 heures 15, avec l’exposé de Jean Boivin-Champeaux, désigné rapporteur par la commission spéciale. Ce sénateur influent du groupe des anciens combattants, entendait défendre le légalisme. L’analyse de la commission, bien retranscrite de M. Boivin-Champeaux, reposait sur une donnée-clé : la délégation était valable car l’habilitation prévoyait une ratification. Cette analyse était juridiquement juste, mais politique naïve : elle accordait au projet la crédibilité juridique de nature à faire céder les dernières résistances politiques, alors que rien dans le processus ne permettait d’accorder la moindre valeur aux concessions du gouvernement sur cette question essentielle.

L’orateur a pu expliquer le partage de compétence, entre le pouvoir législatif et exécutif confié au maréchal Pétain, et le pouvoir constituant confié au gouvernement, tenant pour acquis des propos tenus en réunion secrète, sans que la loi d’habilitation n’en dise un mot.

M. Boivin-Champeaux. Messieurs, le texte soumis à vos délibérations tend, dans sa brièveté, à régler à la fois le présent et l’avenir de la France.

Il donne au Gouvernement du maréchal Pétain les pleins pouvoirs exécutif et législatif. Il les lui donne sans restriction, de la façon la plus étendue.

La tâche à accomplir est immense. Nous sommes assurés qu’avec le grand soldat qui préside aux destinées du pays, elle sera menée à bien.

Le texte donne en second lieu, au Gouvernement, les pouvoirs constituants. Je crois devoir faire ici, au nom de mes collègues, une déclaration solennelle.

L’acte que nous accomplissons aujourd’hui, nous l’accomplissons librement. Si nous vous demandons une réforme, c’est, ainsi que les chambres l’ont manifesté à une immense majorité, nous avons la conviction profonde qu’elle est indispensable aux intérêts de la patrie.

Il n’y a rien à ajouter à ce que nous avons dit hier, les uns et les autres, sur cette nécessité absolue.

La nécessité de la réforme posée, vint l’examen des modalités, avec les deux points en débats : la constitution ne serait pas être ratifiée par les institutions qu’elle créerait, comme le prévoyait le projet d’origine, mais par la nation, et la promulgation suivrait la ratification par la Nation. Sur ce point, l’Assemblée nationale allait être totalement dupée… et dans les vingt-quatre heures. 

En ce qui concerne les modalités, nous avons deux observations à formuler. Il faut aboutir rapidement. Nous admettons que la constitution soit étudiée et promulguée sous l’égide et l’autorité de M. le maréchal Pétain.

Le seul problème est celui de la ratification des institutions nouvelles. La souveraineté nationale est, à nos yeux, non pas une fiction mais une réalité vivante. (Applaudissements.) Il suffit de jeter les yeux sur notre histoire pour voir qu’une constitution ne peut vivre si les institutions nouvelles ne sont pas l’expression, je ne dis pas seulement des besoins, mais de la volonté du pays.

La ratification des institutions par ceux-là même qui devaient en être les bénéficiaires était manifestement insuffisante. Nous savons gré au gouvernement, se ralliant à la thèse soutenue par les anciens combattants, d’avoir modifié son texte et décidé que la constitution serait ratifiée par la nation.

Il est expressément entendu que le texte du Gouvernement doit être interprété en ce sens que la ratification de la constitution et l’élection des assemblées devra faire l’objet de deux votes distincts.

Vient alors l’examen du second point, le contenu de la constitution. Il est, là encore, fait preuve d’un bel optimisme dans une véritable ode à la personne du maréchal Pétain.

Quelle sera cette nouvelle constitution ? Nous ne savons que ce qui nous a été dit par un exposé des motifs dont nous ne pouvons d’ailleurs qu’approuver les termes ; patrie, travail et famille. L’image de la France ne serait pas complète s’il n’y figurait pas certaines libertés pour lesquelles tant de générations ont combattu. (Applaudissements.)

Une constitution, quelle qu’elle soit, s’écroulerait si elle ne respectait pas les traditions et le génie de la France. C’est une France libre, monsieur le Maréchal que, il y a vingt ans, vous avez conduite à la victoire. Vous nous demandez un acte sans précédent dans notre histoire. Nous l’accomplissons comme un acte de foi dans les destinées de la patrie, persuadés que c’est une France forte qui sortira de vos mains. L’œuvre ne serait pas complète si le Gouvernement n’y ajoutait une action spirituelle et morale. La France est tombée moins à cause de l’insuffisance des textes que par la déficience des énergies et des âmes. (Applaudissements.)

Ancien combattant, je me souviens avec quel amour, quelle humanité, quelle énergique douceur, à une période douloureuse de notre histoire, en 1917, le maréchal Pétain s’est penché sur nos armées meurtries et en a refait des armées victorieuses. C’est la France toute entière, aujourd’hui, qui est meurtrie.

L’orateur abordait enfin le statut des chambres, et laissait pointer l’inquiétude. Juridiquement les assemblées furent suspendues, mais politiquement elles étaient anéanties. En aucune circonstance, sera requis l’avis de leurs présidents ou de leurs bureaux, de même que jamais il ne sera envisagé de les restaurer, le nouveau régime étant opposé au principe électif. Il fallait beaucoup de crédulité ou de faiblesse pour donner de la valeur à un tel engagement.

M. Pierre Laval, vice-président du conseil, a fait à la commission spéciale la promesse que, dès cette semaine, serait promulguée un acte laissant subsister les deux Chambres jusqu’au fonctionnement des institutions nouvelles. Etant donné la délégation de pouvoirs, leur activité sera néanmoins réduite. Je suis persuadé, néanmoins, que, dans les circonstances tragiques que nous traversons, leur existence sera, pour le Gouvernement, à la fois une force et un soutien.

C’est dans ces conditions que nous vous demandons d’adopter le texte qui a été approuvé par votre commission spéciale.

Messieurs, permettez-moi un dernier mot avant de quitter cette tribune.

J’appartiens, comme beaucoup d’entre vous, aux régions actuellement occupées. Comme je n’aurai peut-être plus l’occasion de le faire, j’adresse dès maintenant un appel au Gouvernement. Je lui demande de favoriser de toute son énergie, de toute sa diligence, notre retour parmi nos compatriotes.

Que l’on nous permette de participer à leurs souffrances, à la réorganisation matérielle et morale de notre pays, à la sauvegarde de la vie française dans la zone occupée.

Nous avons encore, mes chers collègues, une belle, une noble, une dernière mission à accomplir.

Le parlementarisme tel que nous l’avons connu va peut-être mourir ; les parlementaires demeurent au service de la nation. » (Vifs applaudissements prolongés.)

Le président annonça l’ouverture de la discussion générale, et donna la parole au premier parlementaire inscrit, alors que de nombreuses voix appelaient à la clôture immédiate des débats. Vincent Badie, opposé au texte, chercha à s’emparer de la parole, en tentant d’escalader la scène du théâtre, pour y prendre la parole, avant d’être maîtrisé, sous l’œil indifférent du président Jules Jeanneney, par l’ancien président de la Chambre, Fernand Bouisson. La suppression de la discussion générale a ainsi été adoptée par consensus, et il a été décidé de passer au vote du texte. La séance durera trente minutes : de 17 heures 15 à 17 heures 45.

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Margaine.

Voix nombreuses. La clôture ! Aux voix !

M. le président. J’entends demander la clôture, ce qui signifie la suppression de la discussion générale.

Voix nombreuses. Oui ! Oui !

M. le président. Je mets aux voix la suppression de la discussion générale.

(L’assemblée décide que la discussion générale est supprimée.)

M. le président. La discussion générale est supprimée.

Je consulte l‘Assemblée sur l’article unique.

Auparavant, j’en rappelle les termes.

Article unique.

« L’Assemblée nationale donne tous les pouvoirs au Gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain, à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l’Etat français.

« Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie.

« Elle sera ratifiée par la Nation et appliquée par les Assemblées qu’elle aura créées (…)

Avant de mettre aux voix l’article, je dois donner la parole aux membres de l’Assemblée qui l’ont demandée pour expliquer leur vote.

Voix nombreuses. La clôture ! Aux voix !

Survint alors un incident relatif au comptage des abstentionnistes, peu signifiant en soit, mais qui obligea le président de séance à admettre qu’ont été comptés présents des parlementaires absents. 

M. Fernand Bouisson. Je demande qu’on publie au Journal officiel les noms des abstentionnistes.

M. le président. Ceci est une autre question.

On a demandé la suppression des explications de vote.

(L’Assemblée, consultée, décide la suppression des explications de vote.)

M. le président. Nous allons procéder au scrutin dans les conditions réglementaires.

M. Fernand Bouisson. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. Fernand Bouisson.

M. Fernand Bouisson. Il y a deux sortes de votants : ceux qui votent pour et ceux qui votent contre. Mais il y a aussi les abstentionnistes. Je veux parler non de ceux qui n’assistent pas à cette séance, mais de ceux qui, étant présents, ne votent ni pour, ni contre. Je demande que les noms de ces derniers soient publiés au Journal officiel.

Sur de nombreux bancs. Aux voix !

M. le président. L’Assemblée désire-t-elle discuter la proposition de M. Fernand Buisson ou passer au vote ?

Voix nombreuses. Aux voix !

Pourquoi cette question d’organisation ? Jules Jeanneney du apporter cette précision invraisemblable à savoir que la liste des présents était fausse, ce que tentait de cacher Fernand Bouisson.

M. le président. En fait, messieurs, le bureau de l’Assemblée ne possède pas la liste rigoureuse des présents.

M. Fernand Bouisson. Si, monsieur le président. Je demande la parole.

M. le président. Je veux tout d’abord indiquer à l’Assemblée un moyen pratique, et peut-être le seul, de donner satisfaction à M. Fernand Bouisson : c’est que les abstentionnistes viennent en faire la déclaration, qui serait mentionnée au Journal officiel. (Très bien ! très bien !)

La parole est à M. Fernand Bouisson.

M. Fernand Bouisson. Je n’avais demandé la parole que pour dire, contrairement à ce que vous venez d’indiquer, monsieur le président, que les noms des membres présents peuvent être parfaitement connus du bureau, puisque, en nous remettant une enveloppe, on nous a fait signer sur un registre. (Applaudissements.)

M. le président. Je suis obligé de dire que des émargements ont été donnés pour des collègues absents.

Un membre. On n’aurait pas dû le tolérer.

M. le président. L’Assemblée paraît désirer que les abstentionnistes volontaires fassent au bureau une déclaration qui serait mentionnée au Journal officiel. (Assentiment.)

Il en est ainsi décidé.

Je vais mettre aux voix l’article unique du projet de loi constitutionnelle.

M. Jacques Masteau. Je demande la parole pour expliquer mon vote.

M. le président. L’Assemblée a décidé qu’il n’y aurait pas d’explications de vote. Je mets aux voix l’article unique du projet de loi constitutionnelle

Il est procédé au vote, puis à l’opération de pointage. La séance est reprise à 18 heures 55 pour la lecture du vote.

M. le président. La séance est reprise.

Voici, messieurs, le résultat du dépouillement du scrutin sur l’article unique du projet de loi constitutionnelle.

Nombre des votants 649 

Majorité absolue 325

Pour l’adoption 569

Contre 80

L’Assemblée nationale adopté. (Applaudissements.)

M. Pierre Laval. Je vaudrais dire un simple mot, monsieur le président.

M. le président. La parole est à Monsieur le vice-président du conseil.

M. Pierre Laval.  Messieurs, au nom du maréchal Pétain, je vous remercie pour la France ! » (Vifs applaudissements) 

Marcel Astier : Vive la République quand même !

Voix nombreuses. Vive la France. 

M. le président. L’Assemblée nationale a épuisé son ordre du jour. Je déclare la session close.

Le Journal officiel n° 167 du 11 juillet 1940 a publié, page 4513, la loi constitutionnelle sous la forme de l’article unique ainsi adoptée. La loi, datée du 10 juillet – jour du vote – était promulguée, depuis Vichy, par Albert Lebrun, président de la République. 

L’assemblée nationale a adopté ;

Le président de la République promulgue la loi constitutionnelle dont la teneur suit :

Article unique. – L’Assemblée nationale donne tous pouvoirs au Gouvernement de la République, sous l’autorité du maréchal Pétain, à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l’Etat français. Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie.

Elle sera ratifiée par la Nation et appliquée par les Assemblées qu’elle aura créées.

En continuité, le Journal officiel publiait de décret signé d’Albert Lebrun portant clôture de la session extraordinaire des assemblées. Ce sera son dernier acte du président de la République.

Le président de la République française

Vu l’article 2 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics,

Décrète :

Art. 1°. – La session extraordinaire du Sénat et de la Chambre des députés, ouverte le 9 juillet 1940, est et demeure close.

Art. 2. – Le Maréchal de France, président du conseil, et le ministre de l’intérieur sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent arrêté.

Lors de son procès, Pierre Laval s’est expliqué sur les circonstances de ce vote, et l’analyse qu’il en faisait.

Comment se fait-il qu’on attende le mois d’octobre 1945 pour élever une protestation, contre les conditions dans lesquelles a été obtenu le vote de l’Assemblée nationale. Comme cela aurait été plus clair de la faire en moment de l’Assemblée nationale.

On me dit : il y avait les Allemands. Il y avait Doriot, je ne l’ai pas vu. On me dit : il y avait Weygand avec sa division à Clermont-Ferrand. Bon, mais on pouvait parler, on pouvait d’autant mieux parler qu’on faisait des réunions secrètes. (…)

Mais M. Jeanneney n’a rien dit, mais M. Herriot n’a rien dit ; il a parlé du Massilia, tandis que M. Jeanneney a parlé du quorum. Aucun n’a dit qu’on étranglait la République. Aucun n’a élevé la moindre protestation et n’a formulé la moindre réserve.

Vous parlez d’armistice, Monsieur le président. Je voudrais qu’on apporte du sérieux à ce débat qui est pour moi dramatique.

Comment ! L’Assemblée nationale se réunit le 9 juillet, la Chambre d’une part, le Sénat d’autre part et puis, le lendemain, les deux Chambres ensemble, en Assemblée nationale : eh bien – j’ai une mémoire fidèle, je vous le prouve par mes propos – est-ce qu’une protestation, une réserve, une allusion, un rien qui pouvaient mettre en doute la nécessité de l’armistice se produisirent ? Rien du tout.

Les actes constitutionnels du 11 juillet 1940

Après ce vote, on attendait les actes constitutionnels. Les trois premiers actes constitutionnels furent pris le 11 et publiés au Journal officiel du 12 juillet 1940, page 4517 : le premier relatif à la prise de fonction du maréchal Pétain comme chef de l’Etat – l’acte qui a constitué le coup d’Etat juridique – le second aux pouvoirs du nouveau chef de l’Etat, et le troisième à la suspension des assemblées. L’acte constitutionnel n° 4, du 12 juillet 1940, relatif à la suppléance du maréchal Pétain fut publié au Journal officiel du 13 juillet, page 4521.

Le contenu de ces actes ne se déduisait ni des discussions devant l’Assemblée nationale, ni de la loi d’habilitation, et l’acte constitutionnel n° 1 était en rupture avec la loi d’habilitation.

I – Acte constitutionnel n° 1 du 11 juillet 1940 : fin de la République, et prise du pouvoir par le maréchal Pétain 

1/ Le texte de l’acte n° 1

Avec l’acte n° 1, on revenait à la version d’origine de la loi d’habilitation, et même à son amplification : le maréchal s’emparait du pouvoir, devant un Albert Lebrun inexistant. Il abrogeait l’article 2 de la loi constitutionnelle de 1875, connu sous le nom d’amendement Wallon, qui avait institué la République en créant la fonction du président de la République : « Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible ». C’était un changement constitutionnel effectif, et promulgué par le maréchal. 

Acte constitutionnel n° 1

Nous, Philippe Pétain, maréchal de France,

Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,

Déclarons assumer les fonctions de chef de l’Etat français.

En conséquence, nous décrétons :

L’article 2 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 est abrogé.

Fait à Vichy, le 11 juillet 1940.

Ph. Pétain

Cet acte n° 1 a été le pilier du régime. Pour preuve, l’acte n° 2, qui s’ouvrait par la formule : « Nous, maréchal de France, chef de l’Etat français, vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940, … ». Tout était écrit… et il restait encore à savoir si Albert Lebrun, président de la République, allait s’incliner. Et il s’est incliné sans la moindre résistance, alors qu’il ne pouvait se tromper sur la portée du texte. La République n’a pas été défendue par son président. Elu président de la République en mars 1932 et réélu le 5 avril 1939, Albert Lebrun aurait dû rester en fonction jusqu’en avril 1946.  

C’était une double rupture.

Le plus visible était la rupture avec la loi d’habilitation, adoptée la veille.

Les parlementaires n’avaient pas habilité le maréchal pour abroger la nature républicaine des institutions, car le texte de l’article 8 de la loi constitutionnelle du 25 févier 1875 l’interdisait. Or, le maréchal s’emparait du pouvoir, destituait le président de la république, et abrogeait la forme républicaine : il n’était pas le nouveau président de la république, mais « chef de l’État ». Or, par leur vote, les parlementaires avaient accepté la fin de la III° République, et non pas la fin de la République. Ensuite, la loi avait habilité « le gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain », et non pas « le maréchal Pétain ». Seul le gouvernement pouvait délibérer. Enfin, la loi avait autorisé « le gouvernement » à promulguer une nouvelle constitution, mais précisait que cette constitution « sera ratifiée par la Nation », et il fallait donc la ratification avant la promulgation. Or, l’acte 1 était promulgué, et changement de régime était opposable. 

Lors des débats, ces questions avaient été centrales. Le projet de loi adopté en conseil des ministres avait été modifié en ce sens. L’acte constitutionnel n° 1 établit qu’il s’agissait seulement de ménager les susceptibilités, ce sans aucune sincérité. 

Tout était dans cet acte un, et la violence avec il était mis fin à la forme républicaine du pouvoir. C’éait le passage de la démocratie à l’autorité d’un homme, rompant avec l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » La légitimité démocratique était effacée par une légitimité d’autorité, et ce sera une constante du régime : le chef, qui incarne la souveraineté, et la seule source de l’autorité, et il organise ensuite le pouvoir comme il lui parait bon. La légitimité n’est plus dans la Nation, mais dans un homme : c’est le sens de la phrase issue du discours prononcé le lendemain : « Je fais à la France le don de la personne. » Joseph Barthélemy, le garde des sceaux, a rapporté les propos du maréchal : « Le pouvoir constituant, c’est moi seul et seul, et sans contreseing ».

Et Joseph Barthélemy, professeur de droit de son état, d’ajouter : « La loi du 10 juillet 1940 est loin d’être un modèle de rédaction. Mais la mission donnée au gouvernement de promulguer une constitution sous la signature du maréchal est certaine. Il ne s’en est pas acquitté. » A ceci près qu’il ne pouvait y avoir de promulgation qu’après ratification par le peuple, ce qui était clairement un leurre.

Dans ses mémoires, Pierre Laval déplorera le caractère trop personnel du pouvoir, mais sans remettre pas en cause le processus : « Le Maréchal a commis une première faute, qu’il renouvela sans cesse depuis, en ne soumettant jamais ses actes constitutionnels aux délibérations du conseil des ministres ».

Cette incarnation de la fonction constitutionnelle était indiscutable dans l’esprit du maréchal, et on la retrouvera en toutes lettres dans le communiqué du 17 novembre qui accompagnait l’acte constitutionnel n° 12 accordant à Pierre Laval le pouvoir de promulguer les lois : 

Le maréchal, qui continue, comme chef de l’Etat à incarner la souveraineté française et la permanence de la patrie, a décidé…

2/ Les explications d’Albert Lebrun

L’acte étant écrit, Albert Lebrun pouvait s’opposer, politiquement et juridiquement, car exerçant en fonction des textes dont il était le gardien, il lui restait de n’accepter de transition que dans leur respect. Or, il a été incapable de la moindre répartie pour défendre la République.

Dans sa déposition lors du procès du Maréchal Pétain, Albert Lebrun expliqua ainsi la transmission de pouvoir.

Le lendemain je reçois la visite du Maréchal Pétain. Je le revois toujours entrant dans mon cabinet. Monsieur le Président, me dit-il, le moment pénible est arrivé ; vous avez toujours bien servi le pays. L’Assemblée Nationale a créé une situation nouvelle. D’ailleurs je ne suis pas votre successeur ; un nouveau régime commence.

Le nouveau régime constitutionnel avait commencé, mettant fin à la République, en violation de la loi votée la veille ? Albert Lebrun a cherché à se justifier avec un invraisemblable argumentaire. Rappelant que la loi du 10 juillet donnait les pouvoirs au gouvernement « sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain », il a expliqué :

Sous la signature ! Quel est donc l’office essentiel dans la hiérarchie des obligations du Président de la République ? Signer les lois et ensuite les promulguer. C’est l’article 3 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875. Eh bien, puisqu’on m’enlevait la signature de cette loi qui allait être la constitution future, j’ai pensé, et je ne crois pas m’être trompé, que c’était là une façon indirecte de me dire que je n’avais plus de place dans les pouvoirs publics, à partir du moment où on donnait la signature à un autre homme.

Argumentaire bien indigent pour celui qui, à la Libération, tentera de retrouver ses fonctions, expliquant que son mandat n’était pas échu !  Albert Lebrun devait être d’autant plus attentif qu’il avait été impliqué dans tout le processus préparatoire. Il s’était trouvé au cœur des tractations, et le 16 juin, il s’était opposé à la volonté du maréchal Pétain de nommer Pierre Laval comme ministre des affaires étrangères. Surtout, il connaissait parfaitement l’exposé des motifs, qui avait écrit à l’avance ce processus d’abdication de la République au profit du pouvoir personnel : 

Il faut que le gouvernement ait tout pouvoir pour décider, entreprendre et négocier, tout pouvoir pour sauver ce qui peut être sauvé, pour détruire ce qui doit être détruit, pour construire ce qui doit être construit.

Le gouvernement demande donc au Parlement, réuni en Assemblée nationale, de faire confiance au maréchal Pétain, président de conseil, pour promulguer sous sa signature et sous sa responsabilité les lois fondamentales de l’Etat français. »

Il lui revenait d’appliquer l’article 3 de la loi du 3 février 1875 ne limitait pas la fonction du président à ce rôle, formaliste, de promulgation des lois. 

Art. 3. – Le Président de la République a l’initiative des lois, concurremment avec les membres de deux chambres. Il promulgue les lois lorsqu’elles ont été votées par les deux chambres ; il en surveille et en assure l’application. 

Il a le droit de grâce ; les amnisties ne peuvent être accordées que par une loi.

Il dispose de la force armée.

Il nomme à tous les emplois civils et militaires.

Il préside aux solennités nationales ; les envoyés et les ambassadeurs des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui.

Chacun des actes du Président de la République doit être contresigné par un ministre.

Ainsi, Albert Lebrun devait rejeter l’acte constitutionnel n° 1, qui se plaçait en rupture avec la loi votée et le principe républicain dont il était gardien, par le dernier alinéa de l’article 8 de la loi constitutionnelle, selon lequel la forme républicaine ne pouvait être révisée. 

En s’inclinant, Albert Lebrun apportait sa caution à la légitimité du nouveau régime, alors que, sans même parler d’une opposition politique, il pouvait juridiquement empêcher le Maréchal Pétain de revendiquer une légitimité sans tâche. 

Dans ses Mémoires, de Gaulle écrit : 

Tandis qu’était posé le problème, dont dépendaient pour la France tout le présent et tout l’avenir, le parlement ne siégeait pas, le gouvernement se montrait hors d’état de prendre en corps une solution tranchée, le Président de la République s’abstenait d’élever la voix, même au sein du conseil des ministres, pour exprimer l’intérêt supérieur du pays. En définitive, cet anéantissement de l’Etat était au fond le drame national. A la lueur de la foudre, le régime paraissait, dans son affreuse infirmité, sans nulle mesure et sans nul rapport avec la défense, l’honneur, l’indépendance de la France.

3/ Message du 11 juillet 1940 : L’Assemblée nationale m’a investi de pouvoirs étendus…

L’opinion n’avait assurément pas le loisir de décrypter les manœuvres politico-constitutionnelles de ces deniers jours. Le maréchal Pétain a pris la parole dans un message du 11 juillet 1940, écartant toute discussion : « L’Assemblée nationale m’a investi de pouvoirs étendus… ». 

Français !

L’Assemblée nationale m’a investi de pouvoirs étendus. J’ai à vous dire comment je les exercerai.

Le gouvernement doit faire face à une des situations les plus difficiles que la France ait connues : il lui faudra rétablir les communications du pays, rendre chacun à son foyer, à son travail, assurer le ravitaillement.

Il lui faut négocier et conclure la paix. (…)

Pour accomplir la tâche immense qui nous incombe, j’ai besoin de votre confiance. Vos représentants me l’ont donnée en votre nom. Ils ont voulu, comme vous et comme moi-même, que l’impuissance de l’Etat cesse de paralyser la nation.

J’ai constitué le nouveau gouvernement.

Douze ministres se répartiront l’administration du pays. Ils seront assistés par des secrétaires généraux qui dirigeront les principaux services de l’Etat.

Des gouverneurs seront placés à la tête des grandes provinces françaises. Ainsi, l’administration sera à la fois concentrée et décentralisée.

Les fonctionnaires ne seront plus entravés dans leur action par des règlements trop étroits et par des contrôles trop nombreux. Ils seront responsables de leurs fautes. (…)

Notre programme est de rendre à la France les forces qu’elle a perdues.

Elle ne les retrouvera qu’en suivant les règles simples qui ont, de tout temps, assuré la vie, la santé et la prospérité des nations. (…)

Dans une lettre du 4 décembre 1940 adressée à Jules Jeanneney, le sénateur radical-socialiste Paul Benazet déplore, un peu benoîtement, que sa crédulité ait été trompée et demande, que son vote soit rectifié. Lui a au moins le mérite de reconnaître.

En émettant notre vote, aucun de nous n’a pensé que pourrait jamais disparaître la forme républicaine de l’Etat – ni que le nouveau gouvernement pourrait considérer comme aboli l’indispensable contrôle du Parlement, base du régime démocratique. La République est supprimée en fait, sinon en droit. Une dictature lui est substituée, dont nous ne pouvons plus méconnaître les intentions : elle nous conduit fatalement à la pire des servitudes.

Considérant en définitive que les engagements pris le 10 juillet 1940 envers les membres de l’Assemblée nationale n’ont pas eu d’autre but que de les amener à un vote en contradiction formelle avec leur volonté, que les promesses faites à cette occasion concernant le maintien de la République, ont été successivement violées au profit d’un pouvoir abusif, je tiens dès aujourd’hui à protester contre tout ce qui a été fait à cette époque et depuis cette époque.

Un commentateur très écouté de l’époque, Roger Bonnard, Doyen de la faculté de Droit de l’université de Bordeaux, a théorisé cette surprenante théorie de l’Etat autoritaire:

La valeur, l’autorité et la légitimité du pouvoir ne résultent pas d’une délégation du peuple ; elle procèdent essentiellement de la personne du chef, de ce que ce chef vaut par lui-même. A l’origine de l’Etat autoritaire, le chef s’est imposé comme tel à raison des circonstances, de sa valeur personnelle, de son prestige, de son autorité et parce qu’il s’est trouvé à ce moment-là l’homme nécessaire. (…) Dans l’Etat autoritaire, le pouvoir politique est transcendant par son titulaire, c’est-à-dire qu’il est extérieur et supérieur aux gouvernés ».

Le 19 août 1941, devant l’assemblée générale du Conseil d’Etat réuni en présence du Maréchal Pétain, pour la prestation de serment, Joseph Barthélemy, professeur de droit, et alors garde des sceaux, a développé la même analyse:

C’est ici par excellence la maison du droit.

La devise du Conseil, c’est la vôtre : servir. Servir la France qui le mérite à un si haut degré ; il est peut-être et sans doute d’autres patries plus peuplées, plus fortes et plus riches ; il n’en est pas de plus belle et qui mérite mieux d’être aimée. Servir l’Etat, qui est la forme politicojuridique de la patrie. Servir le Chef, en qui la patrie s’incarne. Vous servir, Monsieur le Maréchal. 

La prestation de serment confirmait le lien à la personne, non à l’institution : « Je jure fidélité à la personne du chef de l’Etat et je m’engage à exercer ma charge pour le bien de l’Etat, selon les lois de l’honneur et de la probité. ».

II – Acte constitutionnel n° 2 du 11 juillet 1940 : les pouvoirs du Maréchal Pétain

L’obstacle que créait la présidence de la République étant levé, l’acte constitutionnel n° 2 fixait ce que serait l’organisation des pouvoirs, c’est-à-dire les pouvoirs du chef de l’Etat.

Acte constitutionnel n° 2

fixant les pouvoirs du chef de l’Etat français

Nous, maréchal de France, chef de l’Etat français,

Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,

Décrétons :

Art. 1er. – § 1 – Le chef de l’Etat français a la plénitude du pouvoir gouvernemental. Il nomme et révoque les ministres et secrétaires d’Etat, qui ne sont responsables que devant lui.

§ 2 – Il exerce le pouvoir législatif, en conseil des ministres :

  Jusqu’à la formation de nouvelles assemblées ;

  Après cette formation, en cas de tension extérieure ou de crise intérieure grave, sur sa seule décision et dans la même forme. Dans les mêmes circonstances, il peut édicter toutes dispositions d’ordre budgétaire et fiscal.

§ 3 – Il promulgue les lois et assure leur exécution.

§ 4 – Il nomme à tous les emplois civils et militaires pour lesquels la loi n’a pas prévu d’autre mode de désignation.

§ 5 – Il dispose de la force armée.

§ 6 – Il a le droit de grâce et d’amnistie.

§ 7 – Les envoyés et les ambassadeurs des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui.

Il négocie et ratifie les traités.

§ 8 – Il peut déclarer l’état de siège dans une ou plusieurs portions du territoire.

§ 9 – Il ne peut déclarer la guerre sans l’assentiment préalable des assemblées législatives.

Art. 2. – Sont abrogées toutes dispositions des lois constitutionnelles des 24 février 1875, 25 février 1875 et 16 juillet 1875, incompatibles avec le présent acte.

Fait à Vichy, le 11 juillet 1940

Ph. Pétain

C’est l’exemple rare d’une loi de pleins pouvoirs, avec l’affichage de l’autorité d’un homme, incarnation du pouvoir : « Nous, maréchal de France, chef de l’Etat français… »

Le maréchal Pétain avait déjà pris beaucoup de liberté avec l’acte n° 1. Le mouvement s’amplifiait, sur deux points principaux, qui apparaissaient au § 1° de l’article 1 et à l’article 2.

D’abord le § 1° de l’article 1° : « Le chef de l’Etat français a la plénitude du pouvoir gouvernemental », alors que la loi du 10 juillet attribuait compétence « au gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain ». 

Ensuite, l’article 2 abrogeait toutes dispositions constitutionnelles incompatibles avec cet acte, c’est-à-dire tout. A partir de la mauvaise loi d’habilitation du 10 juillet, le maréchal Pétain prenait une liberté totale, profitant de l’absence de réaction des responsables politiques, à commencer par le président de la République et les présidents de deux chambres. 

Ceci n’a pas empêché Edouard Herriot de se faire donneur de leçons lors du procès du maréchal, le 30 juillet 1945 : 

C’est à l’intérieur de la République, c’est dans les limites de la République, sous la tutelle de la République, sous son contrôle, que la réforme constitutionnelle doit être faite.

L’acte constitutionnel numéro 1 dit : Nous déclarons assumer les fonctions de chef de l’Etat. Entre le premier texte voté par l’assemblée et le premier acte constitutionnel, il y a le coup d’Etat ; c’est là qu’il se place.

Les premières protestations de Edouard Herriot… attendront le 31 aout 1942, en réaction à la loi du 25 août 1942 qui mettait fin aux bureaux des chambres, comme il l’admettra lors de sa déposition.

Quant à Jules Jeanneney, il s’est contenté ne pas présenter ses félicitations officielles, comme il s’en est vanté lors du procès :

Quant au Maréchal Pétain j’avais, dès le 12 juillet, malgré un usage bien consacré, et les instances qu’avaient faites les membres du Bureau, résolu de m’abstenir de lui porter mes félicitations officielles.

Que disait cet acte n° 1 ?

Le chef de l’Etat a « la plénitude du pouvoir gouvernemental ». Le maréchal était le gouvernement, et les ministres ne seraient que ses délégataires.

Loin de cette posture martiale, le régime connaîtra une grande instabilité. Entre le 11 juillet 1940 et le 26 novembre 1942, la constitution sera modifiée à dix-sept reprises, et l’acte n° 4 relatif à la désignation du « dauphin », connaîtra 5 versions successives. Quatre vice-présidents du conseil se sont succédés en 18 mois : Laval le 11 juillet 1940 ; Flandin le 13 décembre 1940, Darlan le 8 février 1941, et re-Pierre Laval le 18 avril 1942. Au cours de douze premiers mois, on a compté quatre ministres aux affaires étrangères, cinq à l’intérieur et six à la production industrielle. A l’éducation nationale, ce fut 5 ministres en 8 mois : Albert Rivaud, professeur de philosophie à la Sorbonne, a été nommé le 12 juillet, mais dès le 18, il a été remplacé par Emile Mireaux, professeur agrégé d’histoire, puis suivront Georges Ripert, doyen de la faculté de droit de Paris, en septembre 1940, Jacques Chevalier le 13 décembre et enfin Jérôme Carcopino en février 1941. 

Selon le texte, les ministres n’étaient responsables « que devant lui », ce qui n’empêchera pas le maréchal Pétain, avec l’acte constitutionnel n° 5 du 30 juillet 1940 de créer une Haute Cour de justice, compétente notamment pour juger les ministres.

Trait caractéristique du nouveau régime, le chef de l’Etat, au titre du § 2 exerçait le pouvoir législatif en conseil des ministres. Toutes les lois furent signées du maréchal Pétain jusqu’au 17 novembre 1942, lorsqu’après débarquement américain du 8 novembre et la trahison de Darlan le 10, la modification constitutionnelle par l’acte n° 12 confira le pouvoir législatif à Pierre Laval. D’ailleurs, la véritable discussion sur les lois avait lieu en conseil de cabinet, ce qui deviendra une règle constitutionnelle, avec l’acte n° 12 bis du 26 novembre 1942.

Attire l’attention le § 9, comme une entame dans les pleins pouvoirs, aux termes duquel le chef de l’Etat ne pouvait déclarer la guerre sans l’assentiment préalable des chambres. Hypothèse bien ténue, alors que l’article 4 de la convention d’armistice imposait le désarmement des troupes. Ne subsistait que la modeste armée d’armistice, dont les effectifs ne dépassèrent pas 100.000 hommes et qui fut démobilisée en novembre 1942, suite à l’occupation de la zone Sud par les Allemands. 

Dans le contexte de cette centralisation extrême des pouvoirs, la question judiciaire apparaît presque comme un oubli. Attributaire de tout le pouvoir gouvernemental, le Maréchal Pétain disposait ainsi de l’autorité sur toute la magistrature. 

En comblement de cette réserve, suivront trois modifications constitutionnelles :

  • acte n° 5 du 30 juillet 1940 créant la Cour suprême de justice, célèbre par le célèbre procès de Riom, lequel tournera au fiasco et devra être suspendu par une loi ;
  • acte n° 7 du 17 janvier 1941 confiant au Maréchal Pétain le pouvoir de juger, sur le plan civil et pénal, les responsables politiques « ayant trahi les devoirs de leur charge », ce qui permettra au Maréchal de juger et faire incarcérer les responsables politiques de la III° République par un « jugement » du 16 octobre 1941 ;
  • acte n° 9 du 14 août 1941 sur le serment dans la magistrature. 

Le maréchal s’accordait le droit d’amnistie et le droit de grâce, pourvoir régalien de tradition, mais la mise en œuvre ne fut pas linéaire. Dans la douloureuse « affaire de la section spéciale », soit la première session de cette formation de la cour d’appel de Paris en août 1941, au cours de laquelle, en application d’une loi rétroactive rédigé à la hâte, la loi du 23 août 1941, trois personnes furent condamnées à mort, le maréchal avait délégué son droit de grâce au ministre de l’intérieur, Pierre Pucheu. Par ailleurs, le maréchal refusera de gracier une mère de famille, condamnée à mort pour avortement par le tribunal d’Etat, en application de la loi du 15 février 1942. Lorsqu’il faudra répondre à la demande d’un dignitaire nazi, industriel condamné à l’issue de la première guerre mondiale pour le pillage des entreprises sidérurgiques d’Alsace-Lorraine, la solution sera le recours à la loi pour annuler le jugement, avec une loi du 18 mai 1942. 

III – Acte constitutionnel n° 3 du 11 juillet 1940 : suspension des assemblées

L’acte n° 3, « relatif au chef de l’Etat », traitait en réalité de la suspension des assemblées : la République, et avec elle, le parlementarisme a pris fin, mais l’illusion, et quelques avantages, seront entretenus pendant encore deux ans.

Acte constitutionnel n° 3

Relatif au chef de l’Etat français 

Nous, maréchal de France, chef de l’Etat français,

Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,

Décrétons :

Art. 1er. – Le Sénat et la Chambre des députés subsisteront jusqu’à ce que soient formées les Assemblées prévues par la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940.

Art. 2. – Le Sénat et la Chambre des députés sont ajournés jusqu’à nouvel ordre. 

Ils ne pourront désormais se réunir que sur convocation du chef de l’Etat.

Art. 3. – L’article 1er de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 est abrogé.

Fait à Vichy, le 11 juillet 1940.

Ph. Pétain

Un acte pour une illusion : après les actes n° 1 et n° 2 que restait-t-il des assemblées ? Elles devaient rendre un vote favorable et préalable, si le chef de l’Etat envisage de déclarer la guerre… Mesure pratique et d’importance : les assemblées conservent leur bureau, les présidents leur titre, et les parlementaires leur indemnité.

La marginalisation des chambres de la III° République est une illustration de la théorie des petits pas :

  • le 10 juillet, décret prononçant la clôture de la session extraordinaire du parlement ;
  • le 11 juillet, acte constitutionnel n° 4 ajournant les chambres ;
  • le 1° décembre 1940, acte constitutionnel n° 6 permettant au maréchal de prononcer la déchéance des parlementaires ;
  • le 22 janvier 1941, loi créant du Conseil national ; 
  • le 11 août 1941, loi supprimant l’indemnité parlementaire ;
  • le 16 août 1941, loi supprimant la gratuité de déplacement par chemin de fer ;
  • le 28 août 1941, loi transférant les services des Chambres à Chatelguyon, à 50 Km de Vichy ;
  • le 25 août 1942, suppression du bureau des chambres.

IV – Acte constitutionnel n° 4 du 12 juillet 1940 : succession du chef de l’Etat

Le dernier acte constitutionnel du « régime de base » est publié au Journal officiel du 13 juillet 1940, page 4521. Toute l’autorité procède du chef, qui est la seule source de légitimité du pouvoir. Lui seul peut ainsi organiser sa succession, … ce qui ne sera pas simple : l’acte devra être modifié à cinq reprises.

Acte constitutionnel n° 4

Relatif à la suppléance et à la succession du chef de l’Etat

Nous maréchal de France, chef de l’Etat français

Vu la loi du 10 juillet 1940,

Décrétons :

Art. 1er. Si pour quelque cause que ce soit avant la ratification par la Nation de la nouvelle constitution, nous sommes empêchés d’exercer la fonction de chef de l’Etat, M. Pierre Laval, vice-président du conseil des ministres, l’assumera de plein droit.

Art. 2. Dans le cas où M. Pierre Laval serait empêché pour quelque cause que ce soit, il serait à son tour remplacé par la personne que désignerait, à la majorité de sept voix, le conseil des ministres. Jusqu’à l’investiture de celle-ci, les fonctions seraient exercées par le conseil des ministres.

Fait à Vichy, le 12 juillet 1940  

Ph. Pétain

Le maréchal désignait son dauphin : inévitable dans un régime de pouvoir personnel incarné. Le chef de l’Etat n’exerçant pas ses pouvoirs au nom du peuple, mais de manière initiale, lui seul était la source permettant de transmettre le relais.

L’idée ne sera simple qu’en apparence. D’abord, elle ouvrira vers de tragiques destins pour les deux « dauphins » qui eurent l’honneur d’être désignés : Pierre Laval, condamné à mort et exécuté le 15 octobre 1945, et l’Amiral Darlan, assassiné le 24 décembre 1942, à Alger.

Ensuite, il faudra sans cesse modifier cet acte, au gré des évolutions politiques :

  • acte n° 4 bis du 24 septembre 1940 prévoyant, si Pierre Laval était lui empêché,  un vote à la majorité simple ;
  • acte n° 4 ter du 13 décembre 1940 faisant suite au renvoi de Pierre Laval, et prévoyant – entorse à la théorie – un vote en conseil des ministres, Pierre-Etienne Flandin nouveau vice-président du conseil n’étant manifestement pas assez homme de confiance pour être désigné dauphin ;
  • acte n° 4 quater du 10 février 1941 nommant l’Amiral Darlan dauphin, celui-ci venant de succéder à Pierre-Etienne Flandin ;
  • acte n° 4 quinquies du 17 novembre 1942  renommant Pierre Laval alors que l’amiral Darlan, accusé de trahison pour avoir signé un cessez-le-feu avec les Américains, passe du statut de dauphin à celui de déchu de la nationalité française, … le décret étant signé par Pierre Laval, le nouveau dauphin.

V – Les actes constitutionnels ultérieurs

1/ Les autres actes

Avec les actes du 11 juillet 1940, les bases sont posées, et ne bougeront plus, jusqu’à la crise de novembre 1942. Les actes qui intervinrent pendant cette période, ne seront que des mesures d’adaptation :

  • acte n° 5 du 30 juillet 1940 créant la cour suprême de justice  ;
  • acte n° 6 du 1° décembre 1940 sur la déchéance des sénateurs et des députés ;
  • acte n° 7 du 27 janvier 1941  sur la Justice du maréchal et le serment des fonctionnaires ;
  • acte n° 8 du 14 août 1941 sur le serment dans l’armée ;
  • acte n° 9 du 14 août 1941  sur le serment dans la magistrature;
  • acte n° 10 du 4 octobre 1941  sur le serment des fonctionnaires.

Avec la crise de novembre 1942, c’est une autre phase qui s’est ouverte :

  • acte n° 12 du 17 novembre 1942  accordant à Pierre Laval le pouvoir de promulguer les lois ;
  • acte n° 12 bis du 26 novembre 1942 permettant à Pierre Laval d’exercer le pouvoir législatif en cabinet.

2/ Loi du 16 juillet 1940 : formule exécutoire

L’avènement de « l’Etat français » n’a pas fait l’objet d’une déclaration solennelle. Le Journal officiel de la République française ne verra son intitulé devenir Journal officiel de l’Etat français que le 4 janvier 1941, et seul le lecteur attentif put s’en apercevoir, car aucun signe n’était venu marquer ce changement de dénomination. 

La loi du 16 juillet 1940 relative à la formule exécutoire témoignait de cette ambigüité : la justice était toujours rendue dans le cadre de la République française, et les procureurs, ayant prêté serment de fidélité à la personne du Maréchal Pétain, n’en restaient pas moins « de la République ».

Art. 1°. – Les expéditions des arrêts, jugements, mandats de justice, ainsi que les grosses et expéditions des contrats et de tous autres actes susceptibles d’exécution forcée, seront institués ainsi qu’il suit :

«  REPUBLIQUE FRANCAISE »

« Au nom du peuple français »

et terminées par la formule suivante :

« En conséquence, le maréchal de France, chef de l’Etat français, mande et ordonne à tous huissiers sur ce requis de mettre ledit arrêt (ou ledit jugement, etc.) à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de première instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main forte lorsqu’ils y seront requis. En foi de quoi le présent arrêt (ou jugement, etc.) a été signé par… ».

IV – III° République/Etat français : Analyse 

1/ De l’armistice au changement de régime

En quelques jours, l’armistice, si lourd de conséquences et le changement de régime : une manœuvre politique d’une rare efficacité, et l’on s’accorde à reconnaître sur cette phase la main du Conseiller d’Etat, Raphaël Alibert. 

Pour la France de mai 1940, la question essentielle était le choix entre l’armistice ou la poursuite de la  guerre, par fidélité aux alliés, et s’engageant hors du sol métropolitain. Paul Reynaud a constaté qu’il avait perdu, ce qui a conduit le 16 juin le maréchal Pétain à la présidence du conseil, avec le 17, la demande d’armistice, et l’appel à cesser le combat. Les alliances étaient rompues, le territoire française et l’empire neutralisé, permettant aux Allemands de se déployer sur d’autres fronts. Ce qui sera l’accusation de trahison, au centre du procès du maréchal, a été évacuée par consensus des politiques présent à Vichy. Et dans la foulée, a été enclenchée la réforme constitutionnelle, que rien n’imposait. 

La méthode a été de toujours s’en tenir à une régularité formelle : démission de Reynaud, convocation des parlementaires par les présidents des chambres, vote d’une loi d’habilitation aménagée faisant référence à la République et à une ratification populaire, signature de Lebrun, et maintien des chambres, juste « suspendues ». 

L’acte n° 1 constitue un coup d’Etat juridique au regard de la loi d’habilitation, avec la fin de la République et le pouvoir d’un homme, incarnation de la nation. Mais en métropole, plus personne n’était en mesure de réagir. 

La suite sera moins maîtrisée, et les évènements se poursuivront en devenant destructeurs. Ce sera quelques mois plus tard, le 13 novembre 1940, le renvoi rocambolesque de Pierre Laval, suivi du passage éphémère de Pierre-Etienne Flandin et l’arrivé deux mois plus tard de l’amiral Darlan. Lors de l’été 1941, avec l’ouverture des hostilités entre les Allemands et les soviétiques, ce sera le cap du « discours du vent mauvais » avec la reconnaissance d’une résistance antérieure, à réprimer. En avril 1942, le maréchal devra rappeler de Pierre Laval, alors que l’amiral Darlan, dépassé mais qui restait l’homme de confiance,… et restait dauphin… jusqu’en novembre 1942, où celui-ci devait trahir Pétain, ce qui, par un effet de levier, allait renforcer Pierre Laval, qui acquit le pouvoir législatif. Et en novembre 1943, vient le temps de la Milice de Joseph Darnand comme axe du gouvernement. 28 mois de pleins pouvoirs du maréchal Pétain, et 21 mois de pouvoirs partagés avec Pierre Laval. Le fracas des évènements…

Lors du procès du maréchal Pétain, Léon Blum fait une description, où pointe les regrets, voire l’autocritique, et qui semble bien s’approcher du réel.

Il y avait en juin 1940 un pays que j’ai vu, que vous avez tous vu, un pays qui, sous le coup de sa défaite et de ce qu’elle avait de brutal, de démesuré, d’incompréhensible, restait comme stupide et abasourdi sous le coup, qui restait dans l’état de commotion où les bombardements mettent certains grands nerveux, et qui n’a pas encore retrouvé complètement, si j’en juge bien, sa capacité de réaction physique. Ce peuple ; il était là, atterré, immobile, et en effet se laissant tomber à terre dans sa stupeur et dans son désespoir. Et on a dit à ce pays : Eh bien, non, non l’armistice que nous te proposons, qui te dégrade, et qui te livre, ce n’est pas un acte déshonorant, c’est un acte naturel. C’est un acte conforme à l’intérêt de la patrie. Et un peuple qui n’en connaissait pas les termes, qui ne l’avait pas lu, qui ne le comprenait pas, qui n’en a saisi la portée peu à peu qu’à l’épreuve, a cru ce qu’on lui disait parce que l’homme qui lui tenait ce langage parlait au nom de son passé de vainqueur, au nom de la gloire et de la victoire, au nom de l’armée, au nom de l’honneur.

Eh bien, cela qui, pour moi, est essentiel, cette espèce d’énorme et atroce abus de confiance moral, cela, oui, je pense c’était la trahison.

2/ La preuve de novembre 1942

Les choix du régime se sont rarement mieux exprimés qu’à l’occasion du débarquement anglo-saxon en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942. L’événement était prévisible, et ne pouvait laisser le régime de Vichy au dépourvu. S’il s’agissait de préparer la Libération du pays, l’occasion était unique : les américains à Alger, de Gaulle encore bien éloigné, et des anglo-saxons qui se seraient réjoui de pouvoir considérer le maréchal Pétain comme légitime responsable de l’Etat : n’avaient-ils pas conclu en quelques heures l’accord avec l’amiral Darlan ? 

L’échange de messages du président Roosevelt et le maréchal Pétain est explicite. 

Dans un message notifié à Vichy aux premières heures du 8 novembre, le président Franklin Roosevelt justifiait auprès du Maréchal Pétain l’arrivée des troupes américaines sur le sol de l’Empire français, en stigmatisant les convoitises de l’Allemagne et de l’Italie pour le continent africain.

A la lumière de toutes les informations relatives aux intentions et aux plans de notre ennemi, j’ai, en conséquence, décidé d’envoyer en Afrique du Nord de puissantes forces d’armées américaines, afin qu’elles coopèrent avec les délégations gouvernementales d’Algérie, de Tunisie et du Maroc, pour repousser ce dernier acte de la longue litanie des crimes internationaux de l’Allemagne et de l’Italie.

Ces indomptables forces américaines sont munies d’un armement massif adapté à la guerre moderne, qui sera à la disposition de vos compatriotes en Afrique du Nord dans notre combat commun contre l’ennemi commun.

J’explique tout cela aux autorités françaises en Afrique du Nord et je fais appel à leur coopération pour repousser les menaces de l’Axe. Mon dessein bien net est d’assister et d’aider les autorités françaises et leurs administrations. Tel est l’objectif immédiat de ces armées.

Je n’ai pas besoin de vous dire que le but ultime, et le plus grand, est la libération de la France et de son Empire du joug de l’Axe. En agissant ainsi, nous assurons automatiquement la sécurité des Amériques.

Je n’ai pas besoin de vous affirmer à nouveau que les Etats-Unis d’Amérique ne veulent aucun territoire et se souviennent toujours de l’amitié historique et de l’aide mutuelle que nous nous nous sommes si largement donnés l’un à l’autre. (…).

La réponse du maréchal Pétain a été adressée à 7 h. 35.

C’est avec stupeur et tristesse que j’ai appris, cette nuit, l’agression de vos troupes contre l’Afrique du Nord.

J’ai lu votre message. Vous y invoquez des prétextes que rien ne justifie. Vous prêtez à vos ennemis des intentions qui ne se sont jamais traduites en actes. J’ai toujours déclaré que nous défendrions notre Empire s’il était attaqué. Vous saviez que nous le défendrions contre tout agresseur quel qu’il soit. Vous saviez que je tiendrais ma parole. 

Dans notre malheur, j’avais, en demandant l’armistice, préservé notre Empire, et c’est vous qui agissant au nom d’un pays auquel tant de souvenirs et de liens nous unissent, venez de prendre une initiative si cruelle.

La France et son honneur sont en jeu. Nous sommes attaqués. Nous nous défendrons. C’est l’ordre que je donne.

Quelques jours plus tard, le gouvernement décida du sabordage de la flotte à Toulon,  et seuls quelques navires rebelles parvinrent à quitter Toulon pour Alger.

Les messages d’octobre 1940

Le mois d’octobre 1940 est marqué par deux importants messages celui du 11 octobre 1940, publié au Journal Officiel, qui est le véritable programme de la révolution nationale, et celui du 30 octobre 1940, quelques jours après l’entrevue de Montoire. 

I – Message du Maréchal du 11 octobre 1940

Le maréchal communiquera beaucoup, par discours et message, mais seulement deux seront publiés au Journal officiel, celui du 11 octobre 1940, et celui du « vent mauvais, du 12 aout 1941. Le discours du 11 octobre 1940 est un vrai discours programme, comme l’avait été l’exposé des motifs de la loi d’habilitation. Après l’armistice et le changement de régime, c’est la révolution nationale, et ce discours du 11 octobre signe l’ambition du régime. Le ton est positif et conquérant, mais le discours laisse de côté la liste déjà impressionnante es mesures répressives, xénophobes et antisémites prises par le régime. 

Message du chef de l’Etat

Français,

La France a connu, il y a quatre mois, l’une des plus grandes défaites de son histoire. 

Cette défaite a de nombreuses causes, mais toutes ne sont pas d’ordre technique. Le désastre n’est, en réalité, que le reflet, sur le plan militaire, des faiblesses et des tares de l’ancien régime politique.

Ce régime, pourtant, beaucoup d’entre vous l’aimaient. Votant tous les quatre ans, vous vous donniez l’impression d’être des citoyens libres d’un Etat libre. Aussi, vous étonnerai-je en vous disant que, jamais dans l’histoire de la France, l’Etat n’a été plus asservi qu’au cours des vingt dernières années. Asservi de diverses manières : successivement, et parfois simultanément, par des coalitions d’intérêts économiques et par des équipes politiques ou syndicales, prétendant fallacieusement représenter la classe ouvrière.

Selon la prédominance de l’une ou de l’autre de ces deux servitudes, des majorités se succédaient au pouvoir, animées trop souvent du souci d’abattre la minorité rivale . Ces luttes provoquaient des désastres. L’on recourait alors à ces vastes formations dites « d’Union nationale », qui ne constituaient qu’une duperie supplémentaire.

Ce n’est pas en effet en réunissant des divergences que l’on parvient à la cohérence. Ce n’est pas en totalisant des « bonnes volontés » que l’on obtient « une volonté ».

De ces oscillations et de ces vassalisations, la marque s’imprimait, profondément, dans les mœurs. Tout criait l’impuissance d’un régime qui ne se maintenait au travers des circonstances les plus graves, qu’en se renonçant à lui-même par la pratique des pleins pouvoirs. Il s’acheminait à grands pas vers une révolution politique que la guerre et la défaite ont seulement hâtée.

Prisonnier d’une telle politique intérieure, ce régime ne pouvait le plus souvent pratiquer une politique extérieure digne de la France.

Inspirée tour à tour par un nationalisme ombrageux et par un pacifisme déréglé, faite d’incompréhension et de faiblesse – alors que notre victoire nous imposait la force et la générosité – notre politique étrangère ne pouvait que nous amener aux abîmes. Nous n’avons pas mis plus de quinze ans à descendre la pente qui y conduisait.

Un jour de septembre 1939, sans même que l’on osât consulter les chambres, la guerre, une guerre presque perdue d’avance, fut déclarée. Nous n’avions su ni l’éviter, ni la préparer.

C’est sur cet amas de ruines qu’il faut reconstruire la France.

L’ordre nouveau ne peut, en aucune manière, impliquer un retour, même déguisé, aux erreurs qui nous ont coûté si cher. On ne saurait davantage y découvrir les traits d’un « ordre moral » ou d’une revanche des évènements de 1936.

L’ordre nouveau ne peut être une imitation servile d’expériences étrangères. Certaines de ces expériences ont leur sens et leur beauté. Mais chaque peuple doit concevoir un régime adapté à son climat et à son génie. 

L’ordre nouveau est une nécessité française. Nous devons tragiquement réaliser, dans la défaite, la révolution que, dans la victoire, dans la paix, dans l’entente volontaire de peuples égaux, nous n’avons même pas su concevoir. 

Politique extérieure : un régime national

Indépendante du revers de ses armes, la tâche que la France doit accomplir l’est aussi, et à plus forte raison, des succès et des revers d’autres nations, qui ont été dans l’histoire ses amies ou ses ennemies.

Le régime nouveau, s’il entend être national, doit se libérer de ces amitiés ou de ces inimités dites « traditionnelles », qui n’ont, en fait, cessé de se modifier à travers l’histoire, pour le plus grand profit des émetteurs d’emprunts et de marchands d’armes. 

Le régime nouveau défendra, tout d’abord, l’unité nationale, c’est-à-dire l’étroite union de la métropole et de la France d’outre-mer.

Il maintiendra les héritages de sa culture grecque et latine et leur rayonnement dans le monde.

Il remettra en honneur le véritable nationalisme, celui qui, renonçant à se concentrer sur lui-même, se dépasse pour atteindre la collaboration internationale. Cette collaboration, la France est prête à la rechercher dans tous les domaines, avec tous ses voisins. Elle sait d’ailleurs que, quelle que soit la carte politique de l’Europe et du monde, le problème des rapports franco-allemands, si criminellement traité dans le passé, continuera de déterminer son avenir.

Sans doute l’Allemagne peut-elle, au lendemain de sa victoire sur nos armes, choisir entre une paix traditionnelle d’oppression et une paix toute nouvelle de collaboration.

A la misère, aux troubles, aux répressions et sans doute aux conflits que susciterait une nouvelle paix faite « à la manière du passé », l’Allemagne peut préférer une paix vivante pour le vainqueur, une paix génératrice de bien-être pour tous.

Le choix appartient d’abord au vainqueur ; il dépend aussi du vaincu.

Si toutes les voies sont fermées, nous saurons attendre et souffrir.

Si un espoir, au contraire, se lève sur le monde, nous saurons dominer notre humiliation, nos deuils, nos ruines. En présence d’un vainqueur qui aura su dominer sa victoire, nous saurons dominer notre défaite.

Politique intérieure : un régime hiérarchique et social

Le régime nouveau sera une hiérarchie sociale.

Il ne reposera plus sur l’idée fausse de l’égalité naturelle des hommes, mais sur l’idée nécessaire de l’égalité des « chances » données à tous les Français de prouver leur aptitude à « servir ».

Seuls le travail et le talent deviendront le fondement de la hiérarchie française. 

Aucun préjugé défavorable n’atteindra un Français du fait de ses origines sociales, à la seule condition qu’il s’intègre dans la France nouvelle et qu’il lui apporte un concours sans réserve. On ne peut faire disparaître la lutte des classes, fatale à la nation, qu’en faisant disparaître les causes qui ont formé ces classes et les ont dressées les unes contre les autres.

Ainsi renaîtront les élites véritables que le régime passé a mis des années à détruire et qui constitueront les cadres nécessaires au développement du bien-être et de la dignité de tous.

Certains craindront peut-être que la hiérarchie nouvelle détruise une liberté à laquelle ils tiennent et que leurs pères ont conquise au prix de leur sang.

Qu’ils soient sans inquiétudes.

L’autorité est nécessaire pour sauvegarder la liberté de l’Etat, garantie des libertés individuelles, en face des coalitions d’intérêts particuliers. Un peuple n’est plus libre, en dépit de ses bulletins de vote, dès que le Gouvernement, qu’il a librement porté au pouvoir, devient le prisonnier de ces coalitions.

Que signifierait, d’ailleurs, en 1940, la liberté – l’abstraite liberté – pour un ouvrier chômeur ou pour un petit patron ruiné, sinon la liberté de souffrir sans recours, au milieu d’une nation vaincue ?

Nous ne perdrons, en réalité, certaines apparences trompeuses de la liberté que pour mieux en sauver la substance.

L’histoire est faite d’alternance entre des périodes d’autorité dégénérant en tyrannie et des périodes de liberté engendrant la licence. L’heure est venue pour la France de substituer à ces alternances douloureuses une conjonction harmonieuse de l’autorité et des libertés.

Le caractère hiérarchique du nouveau régime est inséparable de son caractère social.

Mais ce caractère social ne peut se fonder sur des déclarations théoriques. Il doit apparaître dans les faits. Il doit se traduire par des mesures immédiates et pratiques.

Tous les Français, ouvriers, cultivateurs, fonctionnaires, techniciens, patrons, ont d’abord le devoir de travailler. Ceux qui méconnaîtraient ce devoir ne mériteraient plus leur qualité de citoyen. Mais tous les Français ont également droit au travail. On conçoit aisément que, pour assurer l’exercice de ce droit, et la sanction de ce devoir, il faille introduire une révolution profonde, dans notre vieil appareil économique.

Après une période de transitoire, pendant laquelle les travaux d’équipement devront être multipliés et répartis sur tout le territoire, nous pourrons, dans une économie organisée, créer des centres durables d’activité où chacun trouvera la place et le salaire que ses aptitudes lui méritent.

Les solutions, pour être efficaces, devront être adaptées aux divers métiers. Telle solution qui s’impose pour l’industrie n’aurait aucune raison d’être pour l’agriculture familiale, qui constitue la principale base économique et sociale de la France.

Mais il est des principes généraux qui s’appliqueront à tous les métiers.

Ces métiers seront organisés et leur organisation s’imposera à tous. Les organisations professionnelles traiteront de tout ce qui concerne le métier, mais se limiteront au seul domaine professionnel. Elles assureront, sous l’autorité de l’Etat, la rédaction et l’exécution des conventions de travail. Elles garantiront la dignité de la personne du travailleur, en améliorant ses conditions de vie, jusque dans sa vieillesse. Elles éviteront enfin les conflits, par l’interdiction absolue des « lock out » et des grèves, par l’arbitrage obligatoire des tribunaux du travail.

Politique économique : l’économie coordonnée

et la monnaie au service de l’économie

Le régime économique de ces dernières années faisait apparaître les mêmes imperfections et les mêmes contradictions que les régimes politiques.

Sur le plan parlementaire : apparence de liberté.

Sur le plan de la production et des échanges : apparence de libéralisme, mais en fait, asservissement aux puissances de l’argent et recours de plus en plus large aux interventions de l’Etat.

Cette dégradation du libéralisme économique s’explique d’ailleurs aisément.

La libre concurrence était à la fois le ressort et le régulateur du régime libéral. Le jour où les coalitions et les trusts brisèrent ce mécanisme essentiel, la production et les prix furent livrés, sans défense, à l’esprit de lucre et de spéculation.

Ainsi se déroulait le spectacle révoltant de millions d’hommes manquant du nécessaire, en face de stocks invendus et même détruits, dans le seul dessein de soutenir les cours des matières premières.

Ainsi s’annonçait la crise mondiale.

Devant la faillite universelle de l’économie libérale, presque tous les peuples se sont engagés dans la voie d’une économie nouvelle. Nous devons nous y engager à notre tour et, par notre énergie et notre foi, regagner le temps perdu.

Deux principes essentiels nous guideront.

L’économie doit être organisée et contrôlée. La coordination par l’Etat des activités privées doit briser la puissance des trusts et leur pouvoir de corruption. Bien loin, donc, de brider l’initiative individuelle, l’économie doit la libérer de ses entraves actuelles, en la subordonnant à l’intérêt national.

La monnaie doit être au service de l’économie. Elle doit permettre le plein essor de la production, dans la stabilité des prix et des salaires.

Une monnaie saine est, avant tout, une monnaie qui permet de satisfaire aux besoins des hommes. Notre nouveau système monétaire ne devra donc affecter l’or qu’à la garantie des règlements extérieurs. Il mesurera la circulation intérieure aux nécessités de la production.

Un tel système implique un double contrôle.

Sur le plan international, contrôle du commerce extérieur et des changes, pour subordonner aux nécessités nationales l’emploi des signes monétaires sur les marchés extérieurs.

Sur le plan intérieur, contrôle vigilant de la consommation et de prix afin de maintenir le pouvoir d’achat de la monnaie, d’empêcher des dépenses excessives et d’apporter plus de justice dans la répartition des produits.

Ce système ne porte aucune atteinte à la liberté des hommes, si ce n’est à la liberté de ceux qui spéculent, soit par intérêt personnel, soit par intérêt politique.

Il n’est conçu qu’en fonction de l’intérêt national. Il devra, dans les dures épreuves que nous traversons, s’exercer avec une particulière rigueur.

Que la classe ouvrière et la bourgeoisie fassent, ensemble, un immense effort, pour échapper aux routines de paresse et prennent conscience de leur intérêt commun de citoyen dans une nation désormais unie.

Conclusion

Telle est aujourd’hui, Français, la tâche à laquelle je vous confie.

Il faut reconstruire.

Cette reconstruction, c’est avec vous que je veux la faire.

La Constitution sera l’expression juridique de la révolution déjà commencée dans les faits, car les institutions ne valent que par l’esprit qui les anime.

Une révolution ne se fait pas seulement à coups de lois et de décrets. Elle ne s’accomplit que si la Nation la comprend et l’appellent que si le peuple accompagne le Gouvernement dans la voie de la rénovation nécessaire.

Bientôt, je vous demanderai de vous grouper pour qu’ensemble, réunis autour de moi, en communion avec les anciens combattants, déjà formé en légion, vous meniez cette révolution jusqu’à son terme, en ralliant les hésitants, en brisant les forces hostiles et les intérêts coalisés, en faisant régner, dans la France nouvelle, la véritable fraternité nationale.

Philippe Pétain

Des enseignements ? Innombrables, au regard de la diversité des domaines traités : politique, relations internationales, société, économie. Plusieurs points émergent.

Le plus évident est l’appel à la collaboration. Le jour du message, à savoir le 11 octobre, la rencontre de Montoire, qui aura lieu le 24, n’était pas encore fixée, mais le processus était en place. Après avoir le 17 juin demandé l’armistice, le maréchal n’avait cessé de réclamer la collaboration. La communication alliaitun registre d’équilibre – « en présence d’un vainqueur qui aura su dominer sa victoire, nous saurons dominer notre défaite » – et beaucoup de révérence vis-à-vis du pouvoir nazi : rien sur les pays agressés et rien sur le régime lui-même – « L’ordre nouveau ne peut être une imitation servile d’expériences étrangères. Certaines de ces expériences ont leur sens et leur beauté. Mais chaque peuple doit concevoir un régime adapté à son climat et à son génie ».

Pour obtenir cette collaboration, il fallait épargner le pouvoir nazi, ce qui revenait à prendre pour seules causes des malheurs le régime ancien, avec ses travers et sa licence morale. A lire ce texte, l’Allemagne avait gagné par mégarde ; quant à la France, elle avait fauté et avait été punie. 

Par ailleurs, l’ambition qui se dégageait de ce message impressionne. Il ne s’agissait pas d’assurer la sauvegarde des infrastructures et des services pendant une phase difficile – ce qui sera à la fin de la guerre présenté comme intégrant la stratégie du bouclier – mais de profiter de cette déstabilisation pour fonder un régime nouveau. Et le régime ne manquait pas de volonté : tout devrait être refondé, de la famille française aux flux financiers internationaux ! Cette proclamation s’affirmait aussi en négatif : rien sur la guerre qui se poursuivait. La conviction de la victoire de l’Allemagne était le socle, un point qui ne se discutait pas.

II – Message du 30 octobre 1940 sur l’entrevue de Montoire

Montoire était mal passé dans une opinion non préparée, encore marquée par la défaite de mai 1940, les pertes humaines, les prisonniers en masse. Le maréchal Pétain devait s’expliquer, ce d’autant plus qu’au-delà des discours confiants, il avait pu constater de lui-même les réticences allemandes à la politique voulue par Vichy. Il s’agissait aussi d’inviter les Français à rompre avec « leurs nobles scrupules… ».

J’ai rencontré, jeudi dernier, le Chancelier du Reich. Cette rencontre a suscité des espérances et provoqué des inquiétudes. Je vous dois à ce sujet quelques explications.

Une telle entrevue n’a été possible, quatre mois après la défaite de nos armes, que grâce à la dignité des Français devant l’épreuve, grâce à l’immense effort de régénération auquel ils se sont prêtés, grâce aussi à l’héroïsme de nos marins, à l’énergie de nos chefs coloniaux, au loyalisme de nos populations indigènes. La France s’est ressaisie. Cette première rencontre entre le vainqueur et le vaincu marque le premier redressement de notre pays.

C’est librement que je me suis rendu à l’invitation du Führer. Je n’ai subi de sa part aucun diktat, aucune pression. Une collaboration a été envisagée entre nos deux pays. J’en ai accepté le principe. Les modalités en seront discutées ultérieurement. A tous ceux qui attentent aujourd’hui au salut de la France, je tiens à dire que le salut est d’abord entre nos mains. A tous ceux que de nobles scrupules tiendraient éloignés de notre pensée, je tiens à dire que le premier devoir de tout Français est d’avoir confiance. A ceux qui doutent comme à ceux qui s’obstinent, je rappellerai qu’en se raidissant à l’excès, les plus belles attitudes de réserve et de fierté risquent de perdre leur force. Celui qui a pris en main les destinées de la France a le devoir de créer l’atmosphère la plus favorable à la sauvegarde des intérêts de la France.

C’est dans l’honneur et pour maintenir l’unité française – une unité de dix siècles – dans le cadre d’une activité constructive du nouvel ordre européen que j’entre aujourd’hui dans la voie de la collaboration.

Ainsi, dans un avenir prochain, pourrait être allégé le poids des souffrances de notre pays, amélioré le sort de nos prisonniers, atténuée la charge des frais d’occupation. Ainsi pourrait être assouplie la ligne de démarcation, et facilités l’administration et le ravitaillement du territoire. Cette collaboration doit être sincère. Elle doit être exclusive de toute pensée d’agression. Elle doit comporter un effort patient et confiant. L’armistice, au demeurant, n’est pas la paix. La France est tenue par des obligations nombreuses vis-à-vis du vainqueur. Du moins reste-elle souveraine. Cette souveraineté lui impose de défendre son sol, d’éteindre les divergences de l’opinion, de réduire les dissidences de ses colonies. Cette politique est la mienne. Les ministres ne sont responsables que devant moi. C’est moi seul que l’Histoire jugera.

Je vous ai tenu jusqu’ici le langage d’un père. Je vous tiens aujourd’hui le langage du chef. Suivez-moi. Gardez confiance en la France éternelle.

Le vent mauvais

I – Le discours

La séquence ponctuée par le retour de Pierre Laval le 18 avril 1942, est scindée par le discours du « vent mauvais », prononcé le 12 août 1941, et publié au Journal officiel du 14. Après une première année qui avait été celle de toutes les difficultés liées à l’armistice, du mépris allemand, cachés par une sérénité proclamée, venait la reconnaissance que la guerre allait durer, et qu’il fallait affronter des ennemis de l’intérieur : « Français, j’ai des choses graves à vous dire. De plusieurs régions de France, je sens se lever, depuis quelques semaines, un vent mauvais ». Discours de référence, avec l’annonce de douze mesures qui allaient marquer le basculement vers l’Etat milicien.

Sans doute, la situation intérieure n’était-elle pas bonne, mais ce tour nouveau était surtout une réponse à l’évolution internationale : la victoire n’était pas pour demain et s’annonçait incertaine. Trois événements se cumulaient : l’agression allemande contre l’URSS le 22 juin, la première défaite des troupes de l’Etat français devant une coalition des troupes britanniques et des forces françaises libres en Syrie le 14 juillet, et la perspective de la signature de la Charte de l’Atlantique entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, finalisée le 14 août. Vichy qui avait parié sur la victoire nazie perdait son assise, et les revers subi par le pouvoir nazi soulignaient la vulnérabilité du régime qui avait choisi la collaboration. D’où la reprise en main, à la fois criminelle et pathétique.

En réalité, le fidèle lecteur du Journal officiel savait presque tout sur le « discours du vent mauvais » publié le 14 août, car l’essentiel de mesures annoncées avait déjà été publié, quelques jours plutôt. 

D’abord trois lois du 18 juillet, publiées le 1° août, limitant les réunions publiques et les manifestations, et permettant l’éloignement des personnes estimées dangereuses. Ensuite, cinq lois du 11 août, publiées le 12, avec la consécration du préfet régional, la création d’un corps de commissaire du pouvoir, le plan contre les sociétés secrètes, l’interdiction des réunions privées organisées par les partis politiques, et la suppression l’indemnité parlementaire. Seuls deux des textes annoncés dans le discours furent publiés après coup, à savoir les actes constitutionnels n° 8 et 9, datés du 14 et publiés le 16, instituant la prestation de serment dans l’armée et dans la magistrature.

Joseph Barthélemy raconte que le discours avait été diffusé au Grand Casino, où le Tout-Vichy était réuni pour une représentation de Boris Godounov, lui-même le découvrait en direct. Alors que le procès devant la Cour suprême de justice avait été engagé, le maréchal annonçait – c’était le point 11 – qu’il allait juger lui-même les accusés, usant des pouvoirs juridictionnels que lui allouait l’acte constitutionnel n° 7 ! Un témoignage saisissant des méthodes de gouvernement.

Une des attractions de cette soirée, c’était qu’au dernier entracte un haut-parleur devait diffuser un message du maréchal. J’écoutais sans passion ce document qui apparaissait au premier abord de la meilleure confection Du Moulin de Labarthète, lorsque, tout à coup j’eu un sursaut : le message annonçait la création d’un Conseil de justice politique, chargé d’assister le maréchal dans l’exercice de son pouvoir juridictionnel, et informait en même temps le public que l’affaire des responsables de la guerre serait portée devant ce conseil… Il est difficile d’imaginer pire désordre. Lesdits responsables étaient devant la Cour suprême ; le jour des débats était fixé ; et voilà que l’on crée une nouvelle juridiction, pour les mêmes accusés, à raison des mêmes infractions ! Sans perdre une minute, je fis entendre au Maréchal une vigoureuse protestation. Que le garde des Sceaux soit laissé en dehors de la rédaction d’un message sur la politique générale, passe encore ! Mais qu’une intervention aussi directe dans la plus importante des affaires judiciaires du pays se produise sans que le garde des Sceaux en soit même informé, c’était intolérable. Je dépeignis en outre l’inutile désordre allait résulter de cette initiative. Du Moulin de la Labarthète se rendit sans peine à toutes mes raisons, mais il m’objecta que, du point de vue technique, il était impossible de faire disparaître des disques le passage incriminé. Je n’acceptais pas cette raison, me doutant bien qu’avec un métal chaud il ne devait pas être impossible de créer une lacune sur un disque. On me riposta enfin que les disques étaient déjà partis pour les divers postes de radio d’où ils devaient être diffusés. Du Moulin ajouta qu’en définitive, il n’y avait qu’à ne pas donner suite à ce paragraphe. 

Intolérable,… et pourtant pas si mal toléré. Joseph Barthélemy ne démissionna pas. Entré au gouvernement avec Pierre-Etienne Flandin en décembre 1940, il restera en fonction un an après le retour de Pierre Laval, qui ne le renvoya que le 26 mars 1943 pour le remplacer par Maurice Gabolde, procureur de Paris sans scrupule. Quant au conseil de justice politique, il fut bien constitué, et le Maréchal décida de la détention de Léon Blum, d’Edouard Daladier, du général Gamelin, de Paul Reynaud et de Gorges Mandel. 

Voici donc ce fameux discours.

Français,

J’ai des choses graves à vous dire.

De plusieurs régions de France, je sens se lever, depuis quelques semaines, un vent mauvais.

L’inquiétude gagne les esprits : le doute s’empare des âmes. L’autorité de mon Gouvernement est discutée : les ordres sont souvent mal exécutés.

Dans une atmosphère de faux bruits et d’intrigues, les forces de redressement se découragent. D’autres tentent de se substituer à elles, qui n’ont ni leur noblesse, ni leur désintéressement. Mon patronage est invoqué trop souvent, même contre le Gouvernement, pour justifier de prétendues entreprises de salut, qui ne sont en fait, que des appels à l’indiscipline. Un véritable malaise atteint le peuple français.

Les raisons de ce malaise sont faciles à comprendre. Aux heures cruelles succèdent, toujours, des temps difficiles.

Lorsqu’aux frontières d’une nation, que la défaite a mise hors de combat – mais que son empire laisse vulnérable – la guerre continue, ravageant chaque jour de nouveaux continents, chacun s’interroge sur l’avenir du pays.

Les uns se sentent trahis, d’autres se croient abandonnés. Certains se demandent où est leur devoir, d’autres cherchent d’abord leur intérêt.

La radio de Londres et certains journaux français ajoutent à ce désarroi des esprits. Le sens de l’intérêt national finit par perdre de sa justesse et de sa vigueur.

De ce désordre des idées naît le désordre des choses. Est-ce vraiment le sort, après treize mois de calme, de travail, d’incontestable reprise, que la France a mérité ?

Français, je vous pose la question. Je vous demande d’en mesurer l’ampleur et d’y répondre dans le secret de vos consciences.

Nos relations avec l’Allemagne sont définies par une convention d’armistice, dont le caractère ne pouvait être que provisoire. La prolongation de cette situation la rend d’autant plus difficile à supporter qu’elle régit les rapports entre deux grandes nations.

Quant à la collaboration, offerte au mois d’octobre 1940 par le chancelier du Reich, dans des conditions dont j’ai apprécié la grande courtoisie, elle est une œuvre de longue haleine et n’a pu porter encore tous ses fruits.

Sachons surmonter le lourd héritage de méfiance, légué par des siècles de dissensions et de querelles, pour nous orienter vers les larges perspectives que peut ouvrir à notre activité un continent réconcilié.

C’est le but vers lequel nous nous dirigeons. Mais c’est une œuvre immense, qui exige de notre part autant de volonté que de patience. D’autres tâches absorbent le gouvernement allemand, des tâches gigantesques où se développe, à l’Est, la défense d’une civilisation et qui peuvent changer la face du monde.

A l’égard de l’Italie, nos rapports sont également régis par une convention d’armistice. Ici encore, nos vœux sont d’échapper à ces relations provisoires, pour créer des liens plus stables, sans lesquels l’ordre européen ne pourrait se construire.

Je voudrais, enfin, rappeler à la grande république américaine les raisons qu’elle a de ne pas craindre le déclin de l’idéal français. Certes, notre démocratie parlementaire est morte. Mais elle n’avait que peu de traits communs avec la démocratie des Etats-Unis. Quant à l’instinct de liberté, il vit toujours en nous, fier et rude. La presse américaine nous a souvent fort mal jugés. Qu’elle fasse un effort pour comprendre la qualité de notre âme, et le destin d’une nation dont le territoire fut, au cours de l’histoire, périodiquement ravagé, la jeunesse décimée, le bonheur troublé, par la fragilité d’une Europe à la reconstruction de laquelle elle entend aujourd’hui participer.

Nos difficultés intérieures sont faites surtout du trouble des esprits, de la pénurie des hommes et de la raréfaction des produits.

Le trouble des esprits n’a pas sa seule origine dans les vicissitudes de notre politique étrangère.

Il provient, surtout, de notre lenteur à construire un ordre nouveau, ou plus exactement à l’imposer. La Révolution nationale, dont j’ai, dans mon message du 11 octobre, dessiné les grandes lignes n’est pas encore entrée dans les faits.

Elle n’y a pas pénétré, parce qu’entre le peuple et moi, qui nous comprenons si bien, s’est dressé le double écran de l’ancien régime et des serviteurs des trusts.

Les troupes de l’ancien régime sont nombreuses. J’y range sans exception ceux qui ont fait passer leurs intérêts personnels avant les intérêts permanents de l’Etat-maçonnerie, partis politiques dépourvus de clientèles mais assoiffés de revanche, fonctionnaires attachés à un ordre dont ils étaient les bénéficiaires et les maîtres – ou encore ceux qui ont subordonné les intérêts de la patrie à ceux de l’étranger. Un long délai sera nécessaire pour vaincre la résistance de tous ces adversaires de l’ordre nouveau, mais il nous faut, dès à présent, briser leurs entreprises, en décimant les chefs.

Si la France ne comprenait pas qu’elle est condamnée, par la force des choses, à changer de régime, elle verrait s’ouvrir devant elle l’abîme où l’Espagne de 1936 a failli disparaître, et dont elle n’est sauvée que par la foi, la jeunesse et le sacrifice.

Quant à la puissance des trusts, elle a cherché à s’affirmer, de nouveau, en utilisant, pour ses fins particulières, l’institution des comités d’organisation économique.

Ces comités avaient été créés, cependant, pour redresser les erreurs du capitalisme. Ils avaient, en outre pour objet de confier à des responsables l’autorité nécessaire, pour négocier avec l’Allemagne et pour assurer une équitable répartition des matières premières indispensables à nos usines.

Les choix des membres de ces comités ont été difficiles. On n’a pas pu toujours trouver réunies, sur les mêmes têtes, l’impartialité et la compétence. Ces organismes provisoires, créés sous l’empire d’une nécessité pressante, ont été trop nombreux, trop centralisés, trop lourds. Les grandes sociétés s’y sont arrogées une autorité excessive et un contrôle souvent inadmissible.

A la lumière de l’expérience, je corrigerai l’œuvre entreprise et je reprendrai contre un capitalisme égoïste et aveugle la lutte que les souverains de France ont engagée, et gagnée contre la féodalité. J’entends que notre pays soit débarrassé de la tutelle la plus méprisable : l’argent.

Des organisations professionnelles sans responsabilités et guidées par des soucis mercantiles ont, trop longtemps, dirigé notre ravitaillement. J’ai déjà pris des sanctions et frappé dans la personne d’un homme tout un système : celui de ces bureaux nationaux de répartition qui assuraient aux grossistes, au détriment du producteur et du consommateur, un contrôle exclusif et usuraire sur toute la filière du ravitaillement.

Nous souffrirons encore. Mais je ne veux pas que nos souffrances s’étalent devant le scandale de fortunes bâties sur la misère générale.

Ce serait d’autant plus révoltant que ce peuple a, depuis un an, accompli un travail immense, malgré les privations de toutes sortes et dans des conditions les plus difficiles. Je songe à nos paysans qui, sans main d’œuvre, sans engrais, sans sulfate, ont réussi à obtenir des résultats supérieurs à ceux de l’an passé. Je songe aux mineurs, qui ont travaillé sans répit, de jour et de nuit, à nous procurer du charbon. Je songe à tous ces ouvriers qui, au retour de leur travail, ne trouvent que des foyers sans feu et des tables pauvrement garnies.

C’est grâce à leurs efforts de tous les instants que la vie du pays a pu être maintenue malgré la défaite. C’est avec eux et par eux que nous pourrons construire demain une France libre, puissante et prospère. Qu’ils attendent, avec moi, les temps meilleurs : l’épreuve de la France prendra fin.

Quant à la pénurie des hommes, elle est due surtout à l’absence des prisonniers. Tant que plus d’un million de français, comprenant les éléments jeunes et vigoureux de la nation, et la meilleure fraction de son élite, demeureront en marge des activités du pays, il sera difficile de construire un édifice neuf et durable. Leur retour permettra de combler un grand vide dont nous souffrons. Leur esprit, fortifié par la vie des camps, mûri par de longues réflexions, deviendra le meilleur ciment de la Révolution nationale.

Et pourtant, malgré ces difficultés, l’avenir de notre pays se construit, avec une précision chaque jour mieux assurée.

Familles, communes, métiers, provinces, seront les piliers de la constitution, à laquelle les meilleurs ouvriers de notre redressement travaillent sans relâche et dont le préambule ouvrira sur le « futur français » de claires perspectives.

Nos réformes les plus récentes sont l’objet d’une révision méthodique, dont les grandes lignes apparaîtront plus nettement, lorsque les textes législatifs auront été simplifiés et codifiés.

Mais il ne suffit pas de légiférer et de construire. Il faut gouverner. C’est une nécessité et c’est le vœu du peuple tout entier.

La France ne peut être vraiment gouvernée que de Paris. Je ne puis encore y rentrer et je n’y rentrerai que lorsque certaines possibilités m’y seront offertes.

La France ne peut être gouvernée qu’avec l’assentiment de l’opinion, assentiment plus nécessaire encore en régime d’autorité. Cette opinion est, aujourd’hui, divisée.

La France ne peut être gouvernée que si à l’impulsion du chef correspondent l’exactitude et la fidélité des organes de transmission. Cette exactitude et cette fidélité font encore défaut.

La France, cependant, ne peut attendre. Un peuple comme le nôtre, forgé au creuset des races et des passions, indocile et courageux, prompt au sacrifice comme à la violence et toujours frémissant lorsque son honneur est en jeu, a besoin de certitudes, d’espace et de discipline.

Après ces mots inquiétants, mêlant l’éloge de la race, l’espace « vital » et autorité, le Maréchal en vient à la seconde partie du message, consacrée aux mesures à prendre. Elles sont d’abord identifiées à la théorie du régime – la légitimité de l’autorité – et s’exposent avec méthode et froideur.

Le problème du Gouvernement dépasse donc en ampleur le cadre d’un simple remaniement ministériel. 

Il réclame, avant tout, le maintien rigide de certains principes.

L’autorité ne vient pas d’en bas. Elle est proprement celle que je confie ou que je délègue.

Je la délègue, en premier lieu, à l’amiral Darlan, envers qui l’opinion ne s’est pas toujours montrée ni très favorable, ni toujours équitable, mais qui n’a cessé de m’aider de sa loyauté et de son courage.

Je lui ai confié le ministère de la défense nationale, pour qu’il puisse exercer sur l’ensemble de nos forces de terre, de mer et d’air, une action plus directe.

Au Gouvernement qui m’entoure, je laisserai l’initiative nécessaire. J’entends toutefois lui tracer, dans certains domaines, une ligne très nette et voici ce que j’ai décidé.

1° L’activité des partis politiques et des groupements d’origine politique est suspendue, jusqu’à nouvel ordre, en zone libre. Ces partis ne pourront plus tenir ni réunion publique, ni réunion privée. Ils devront renoncer à toute distribution de tracts ou d’affiches. Ceux qui ne se conformeraient pas à ces dispositions seraient dissous.

2° L’indemnité parlementaire est suspendue à dater du 30 septembre.

3° Les premières sanctions disciplinaires contre les fonctionnaires publics coupables de fausses déclarations, en matière de sociétés secrètes, ont été prises. Les noms de ces fonctionnaires ont été publiés ce matin au Journal officiel. Les titulaires des hauts grades maçonniques – dont une première liste vient également d’être publiée – ne pourront plus exercer aucune fonction publique.

4° La Légion demeure en zone libre le meilleur instrument de la Révolution nationale. Mais elle ne pourra remplir utilement sa tâche civique qu’en restant subordonnée au Gouvernement.

5° Je doublerai les moyens d’action de la police, dont la discipline et la loyauté doivent garantir l’ordre public.     

6° Il est créé un cadre des commissaires du pouvoir.

Ces hauts fonctionnaires seront chargés d’étudier l’esprit dans lequel sont appliqués les lois, décrets, arrêtés et instructions du pouvoir central.

Ils auront mission de déceler et de briser les obstacles que l’abus de la réglementation, la routine administrative, ou l’action des sociétés secrètes peuvent opposer à l’œuvre de redressement national.

7° Les pouvoirs des préfets régionaux – première esquisse des provinces dans la France de demain – sont renforcés. Leur initiative vis-à-vis des administrations centrales est accrue ; leur autorité sur tous les chefs de service locaux sera directe et entière.

8° La charte du travail, destinée à régler, selon les principes de mon discours de Saint-Etienne, les rapports des ouvriers, des artisans, des techniciens et des patrons, dans la concorde et la compréhension mutuelles, vient de faire l’objet d’un accord solennel. Elle sera promulguée incessamment.

9° Le statut provisoire de l’organisation économique sera remanié, sur la base de l’allègement et du regroupement des comités, d’une représentation plus large, dans leur sein, de la petite industrie et de artisans, d’une révision de leur gestion financière, de leur articulation, avec les organismes provinciaux d’arbitrage ;

10° Les pouvoirs, le rôle et l’organisation des bureaux nationaux de ravitaillement seront modifiés selon des modalités qui, sauvegardant les intérêts des consommateurs, permettront à l’autorité de l’Etat de s’exercer à la fois sur le plan national et sur le plan régional.

11° J’ai décidé d’user des pouvoirs que me donne l’acte constitutionnel n° 7 pour juger les responsables de notre désastre. Un conseil de justice politique est créé à cet effet. Il me soumettra ses propositions avant le 15 octobre.

12° En application du même acte constitutionnel, tous les ministres et hauts fonctionnaires devront me prêter serment de fidélité et s’engager pour le bien de l’Etat, selon les lois de l’honneur et de la probité.

Cette première série de mesures rassurera les Français qui ne pensent qu’au salut de la patrie.

Prisonniers qui attendez encore dans les camps et vous préparez en silence à l’œuvre de restauration nationale ; paysans de France qui faites la moisson dans des conditions particulièrement difficiles ; habitants de zone interdite, qui mettez toute votre confiance dans l’intégrité de la France ; ouvriers de nos banlieues, privés de viande, de vin et de tabac cependant si courageux, c’est à vous tous que je pense.

C’est à vous que j’adresse ces paroles françaises.

Je sais, par métier, ce qu’est la victoire : je vois aujourd’hui ce qu’est la défaite. J’ai recueilli l’héritage d’une France blessée. Cet héritage, j’ai le devoir de le défendre, en maintenant vos aspirations et vos droits.

En 1917, j’ai mis fin aux mutineries. En 1940, j’ai mis un terme à la déroute. Aujourd’hui c’est de vous même que je veux vous sauver.

A mon âge, lorsqu’on fait à son pays le don de sa personne, il n’est plus de sacrifice auquel on veuille se dérober. Il n’est plus d’autre règle que celle du salut public.

Rappelez-vous ceci :

Un pays battu, s’il se divise, est un pays qui meurt.

Un pays battu, s’il sait s’unir, est un pays qui renaît.

Vive la France !

PH. PETAIN

2. La mise en œuvre

Ce discours fut mis en œuvre méthodiquement. 

Sur le plan de l’activité politique, les mesures avaient déjà été nombreuses pour combattre l’influence des partis politiques et de leurs responsables et de leurs élus. Parmi les plus importantes :

  • acte constitutionnel n° 3 du 11 juillet 1940 suspendant les assemblées ; 
  • acte constitutionnel n° 5 du 30 juillet 1940 instituant la Cour suprême de justice destinée à juger les responsables de la III° République ;
  • mise à l’écart du gouvernement des anciens parlementaires par le premier remaniement du 6 septembre 1940 ; 
  • loi du 20 août 1940 faisant du Conseil d’Etat le corps législatif, prélude à la réforme du Conseil d’Etat par la loi du 18 décembre 1940 ;
  • loi du 29 août 1940 créant la Légion française des combattants, placée sous la direction de Xavier Vallat, et destinée à devenir le relais d’opinion du régime ;
  • loi du 12 octobre 1940 suspendant les conseils généraux ;
  • loi du 16 novembre 1940portant création d’un Comité budgétaire ;
  • loi du 16 novembre 1940 refondant la loi municipale ;
  • loi du 22 janvier 1941 créant un Conseil national.

Le régime poursuivait avec les deux lois du 11 août 1941 relative au régime des réunions publiques et à la suppression de l’indemnité parlementaire. La loi du 18 juillet 1941 avait ouvert la voie, modifiant le régime des réunions publiques, et la loi du 11 août assimilait réunions publiques et privées. L’essentiel était dans l’article 2 qui, bouleversant le régime issu de la loi du 30 juin 1881, instituait un régime de déclaration préalable.

Art. 2. – Toute réunion publique sera précédée d’une déclaration indiquant le lieu, le jour, l’heure de la réunion. Toutefois, en sont dispensées les réunions que comporte l’exercice d’un culte.

La déclaration fait connaître les noms, prénoms et domiciles des organisateurs et est signée par trois d’entre eux, justifiant qu’ils jouissent de leurs droits civils et politiques et faisant élection de domicile dans le département. La déclaration est faite à la mairie de la commune sur le territoire de laquelle la réunion publique doit avoir lieu. A Paris et pour les communes du département de la Seine, la déclaration est faite à la préfecture ou à la sous-préfecture en ce qui concerne les communes où est instituée la police d’Etat.

Elle doit intervenir cinq jours francs au plus tard avant la date de la réunion.

L’autorité qui reçoit la déclaration en délivre immédiatement un récépissé. Dans le cas où le déclarant n’aurait pu obtenir de récépissé, l’empêchement ou le refus pourra être constaté par acte extrajudiciaire ou par attestation signée de deux citoyens domiciliés dans la commune.

Dans le cas où la déclaration est faite à la préfecture, l’autorité qui la reçoit en transmet dans les vingt-quatre heures une copie au préfet.

Si la réunion publique est de nature à troubler l’ordre public, l’autorité investie des pouvoirs de police peut l’interdire par un arrêté qu’elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu. Le maire doit transmettre sans retard au préfet copie de son arrêté d’interdiction. Le préfet peut annuler cet arrêté ou prononcer lui-même, le cas échéant, l’interdiction.

Les arrêtés d’interdiction doivent être motivés.

A ne lire que la loi, la situation n’était pas inextricable : les réunions privées étaient soumises à déclaration. Mais le maréchal Pétain avait annoncé que toute réunion en zone libre serait interdite, de telle sorte que le maintien d’une activité politique ne pouvait s’envisager que dans la clandestinité.

Le champ devenait réservé à la Légion Française des Combattants qui alors regroupait environ 900.000 membres, mais en réalité était loin de suppléer un grand parti de gouvernement. Sa réforme annoncée par le point 4 du discours, fut le fait de la loi du 18 novembre 1941. La Légion première version, créée par la loi du 29 août 1940, était censée refuser le parti unique ; la Légion seconde version s’approchait du parti unique : elle devait être le « mouvement unique d’action civique des citoyens ». 

Art. 1°. – La légion française des combattants et des volontaires de la révolution nationale est :

  L’organe unique par lequel s’exerce sur les plans civique, social et moral l’action des anciens combattants et leur collaboration à l’œuvre des pouvoirs publics ;

2° Le mouvement unique d’action civique ouvert aux citoyens désireux de s’associer aux anciens combattants pour servir les principes de la révolution nationale et assurer leur application dans tous les domaines.

L’article 2 reconduisait la structure antérieure : la Légion était placée sous la présidence du maréchal Pétain, qui était maître de l’organisation interne. Disposition ancienne, mais signification nouvelle vu l’ouverture de la Légion à l’ensemble de la population.

Art. 2. – Le Maréchal de France, chef de l’Etat, assure la présidence de la légion. Il détermine les conditions d’admission à la légion, en nomme le directeur général, règle l’organisation de son commandement et les principes de son administration.

Les commissaires du pouvoir

La loi n° 3434 du 11 août 1941 portant création d’un corps de commissaires du pouvoir, a été publiée au Journal officiel du 12 août 1941, page 3365. Placés sous l’autorité directe du vice-président du conseil, les commissaires du pouvoir avaient pour mission d’exercer un contrôle général des services publics. Ambiance ! L’idée, ambitieuse, était de l’influent directeur du cabinet civil du maréchal, Henri du Moulin de la Labarthète. Il s’agissait de charger « une dizaine d’hommes de haute culture administrative, d’une large intuition politique, de vrai sens social de parcourir les villes et les campagnes, à la recherche des abus, des redressements, des simplifications. Des hommes que l’on pourrait aborder librement, qui ne dépendraient que du Maréchal. Des missi dominici, des représentants en mission, de hauts fonctionnaires, largement payés, pourvus d’une ou plusieurs voitures, et que le conseil des ministres pourrait convoquer à sa barre. »

La loi créait un nouveau corps de fonctionnaires de douze personnes, dont un commissaire général. Sous l’autorité directe du vice-président du conseil, ils se voyaient confier un contrôle général de l’activité des services publics. L’article 2 leur conférait des pouvoirs aussi peu ordinaires que mal définis : recueillir les doléances des administrés, déceler et supprimer les abus, veiller à l’application des textes dans l’esprit de la Révolution nationale.

Art. 2. – Les commissaires du pouvoir exercent, sous l’autorité directe du vice-président du conseil, le contrôle général des services publics de l’Etat, des collectivités locales et des établissements publics.

Ils sont chargés :

D’étudier et de proposer les moyens d’assurer la coordination des divers services et d’améliorer leur rendement ;

De recueillir les observations et doléances des administrés et des usagers ;

Et de déceler et de supprimer les abus ;

Ils provoquent, s’il y a lieu, les enquêtes des corps de contrôle des différents secrétariats d’Etat.

Les commissaires du pouvoir veillent à l’application des lois, décrets, arrêtés et instructions du pouvoir central dans l’esprit de la Révolution nationale.

Ce contrôle était exercé sur toutes les questions d’ordre administratif, économique ou social. Y échappaient les questions militaires, diplomatiques ou judiciaires… sauf pour ce qui concernait l’action des parquets. La subordination hiérarchique des procureurs, qui allaient bientôt devoir prêter serment de fidélité au maréchal,  n’était pas un vain mot. 

Art. 3. – Les pouvoirs des commissaires s’étendent à tous les territoires de France métropolitaine et de l’Algérie et s’exercent sur toutes les questions d’ordre administratif, économique ou social.

Sont exclues de leurs attributions les questions militaires, diplomatiques ou judiciaires à l’exception toutefois du contrôle de l’action des parquets.

Les commissaires pouvaient, au titre de l’article 4, « faire cesser les abus », notamment en prononçant la fameuse suspension de fonctionnaires.

Art. 4. – Les commissaires sont habilités au cours de leurs missions à prendre immédiatement toutes les mesures en vue de faire cesser les abus et, le cas échéant, à suspendre provisoirement les fonctionnaires et agents de l’Etat ou des collectivités et établissements publics, à charge d’en rendre compte immédiatement par télégramme aux secrétaires d’Etat intéressés.

L’article 5 précisait les modalités de nomination, qui étaient banales pour le régime, et en rupture avec les principes établis du droit public : le recrutement était discrétionnaire. S’agissant d’exercer une fonction de contrôle, la loi n’offrait aucune garantie de compétence ou d’objectivité. Le texte ne disait rien du statut, et notamment de la durée de la mission, ce qui créait une situation de dépendance totale vis-à-vis du gouvernement. L’article 5 ajoutait l’obligation de prêter serment devant le chef de l’Etat. Une première qui allait être généralisée par les actes constitutionnels n° 8 et 9 du 14 août 1941.

Art. 5. – Le commissaire général et les commissaires du pouvoir sont nommés par décret contresigné par le vice-président du conseil et les secrétaires d’Etat à l’intérieur, à l’économie nationale et aux finances. Ils prêtent serment devant le chef de l’Etat.

Les commissaires qui appartiennent déjà à l’administration sont placés en service détaché pour une période de trois ans renouvelables. 

L’institution des commissaires du pouvoir ne fût pas une réussite. Contrôler l’action de l’administration aurait supposé un véritable statut, et cette faiblesse n’a pas été corrigée par le choix des personnes Le minimum aurait été de nommer des connaisseurs reconnus des services publics. Or, le premier commissaire central, nommé dès le 12 août, fut le vice-amiral Gouton, qui revenait du Levant, et était bien mal préparé à décrypter les arcanes de l’administration. De fait, l’institution ne trouva jamais sa place, et l’échec était perceptible au terme de quelques mois. Un projet fut alors élaboré, organisant une véritable autorité fonctionnelle, mais les administrations centrales firent connaître leur opposition, et l’affaire en resta là. La réforme vint après le retour de Pierre Laval, par la loi du 12 décembre 1942 : la fonction de commissaire central disparut et les commissaires du pouvoir, dont le nombre était porté à douze, dépendaient directement du chef du Gouvernement. La greffe ne pris pas davantage.

Les prestations de serment

Les prestations de serment se systématisèrent avec les deux actes constitutionnels du 14 août, à savoir le n° 8, pour l’armée, et le n° 9 pour la magistrature, puis le décret du 14 août pour les hauts fonctionnaires.

Si la prestation de serment était connue dans la vie publique, en revanche, la prestation de fidélité à la personne du chef de l’Etat était une innovation… et un recul, renvoyant au lignage de la féodalité. Acte de portée symbolique, elle aurait pu être prévue par la loi. Le choix de la voie constitutionnelle voulait en souligner la portée : la fidélité au chef de l’Etat conduisait à une acceptation du fondement théorique du régime, soit la légitimité de l’autorité.

Les formules furent variables, chaque mot étant pesé. 

Pour l’armée, l’engagement de fidélité à la personne du Maréchal remplaçait le respect de l’ordre hiérarchique, cette personnalisation étant à peine corrigée par la mention du « bien du service » ou du « succès des armées ».

« Je jure fidélité à la personne du chef de l’Etat, promettant de lui obéir en tout ce qu’il commandera pour le bien du service et le succès des armées de la France. »

Pour la magistrature, la formule du serment était plus équilibrée. L’engagement de fidélité était tempéré par le rappel des devoirs de la charge. A ceci près, que si les mots ont un sens, la seconde phrase était incompatible avec la première. 

« Je jure fidélité à la personne du chef de l’Etat. Je jure et promets de bien et honnêtement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »

Ce serment imposé aux magistrats a-t-il modifié le cours des choses ? Quelle en a réellement été la portée ? Le bilan est modéré. Ceux qui adhéraient aux valeurs du régime ont pu y trouver un confort, d’ordre personnel ou collectif. Ceux qui entendait poursuivre leur tâche en continuité, au delà des changements de nature du régime politique, ont vécu le serment avec désagrément ou indifférence, en tout cas sans rupture. Et ceux qui s’apprêtaient à rejoindre la Résistance ont obtempéré, par souci de discrétion et choix de priorités. Il n’en reste pas moins que le suivisme général ne met que plus en lumière le seul refus de prestation connu, celui du Paul Didier, juge au tribunal de première instance de la Seine, lors de l’assemblée du tribunal, présidée par le président Lemaire et le procureur de la République Maurice Gabolde. Paul Didier fût aussitôt relevé de ses fonctions. 

Pour les secrétaires d’Etat, le vice-président du conseil d’Etat, le grand chancelier de la Légion d’honneur et les membres du conseil de l’ordre, le serment devenait quasi-intimiste : 

« Je jure fidélité à votre personne et je m’engage à exercer ma charge pour le bien de l’Etat, selon les lois de l’honneur et de la probité. »

Pour les autres hauts fonctionnaires, la formule était très proche.

« Je jure fidélité à la personne du chef de l’Etat et je m’engage à exercer ma charge pour le bien de l’Etat, selon les lois de l’honneur et de la probité. »

C’est cette formule qui concernait les membres du Conseil d’Etat. La noble institution, alors repliée à Royat, occupant l’hôtel Royal-Palace, entendait, à l’initiative de son vice-président Alfred Porché, faire de la prestation de serment, le 19 août 1941, un acte de forte portée. L’affaire fut rondement menée en plein mois d’août : le décret du 14 août, définissant la formule en exécution de l’acte constitutionnel du 27 janvier 1941, fut été publié au Journal officiel le 16, et l’assemblée se tint le 19. 

Le Maréchal était présent, et c’est la première fois depuis Bonaparte que le chef de l’Etat assistait à une assemblée générale du Conseil d’Etat.

C’est le garde des Sceaux, Joseph Barthélemy, qui prononça le discours d’accueil, faisant un lien entre la grande tradition du Conseil d’Etat et Joseph de Maistre, se livrant à un invraisemblable exercice sur les relations entre la morale, le droit, la patrie et le chef de l’Etat. 

C’est ici, par excellence, la maison du droit.

Votre présence marque votre volonté de donner à la Constitution nouvelle ce trait caractéristique qu’elle reconnaîtra la supériorité, même sur l’Etat, des dogmes éternels de la morale et du droit dans la vie intérieur du pays comme dans les relations internationales.

La devise du Conseil, c’est la vôtre : servir. Servir la France qui le mérite à un si haut degré ; il en est sans doute d’autres patries plus peuplées, plus riches et plus fortes ; il n’en est pas de plus belle et qui mérite mieux d’être aimée. Servir l’Etat, qui est la forme politicojuridique de la patrie. Servir le Chef, en qui la patrie s’incarne. Vous servir, Monsieur le Maréchal. (…)

Comme tous ceux qui ont le souci sincère du bien de l’Etat au-dessus des passions, des ressentiments ou des intérêts égoïstes, le Conseil pense que le salut de la France réclame un régime d’autorité. Mais il croit que la tempête une fois apaisée, un régime d’autorité n’est solide, valide et sain que dans le règne de la loi.

Joseph de Maistre disait à l’époque où il vivait – la Révolution française – : « ceci n’est pas une période, mais une époque du monde. Et malheur à qui assiste à une époque du monde. »

Nous sentons toute l’angoisse d’assister à une époque de l’humanité. Mais nous n’acceptons pas dans son entier la malédiction du philosophe pessimiste. Il y a des signes qui font reconnaître en nous une invincible espérance : au premier rang nous voyons le miracle de votre présence à la tête de l’Etat. Et c’est d’un cœur fervent, respectueux et confiant que nous formulons ce vœux ardent : Dieu vous garde, Monsieur le Maréchal. »  

C’était alors au maréchal Pétain de prendre la parole, par un discours ferme, qui entendait donner au serment une portée toute particulière, avec une phrase qui est restée : « On est avec moi ou contre moi. »

Le Conseil d’Etat tiendra une grande place dans le régime que je veux instituer. Le temps des équivoques est passé. Il reste peut-être des insensés qui rêvent de je ne sais quel retour au régime dont ils étaient les profiteurs. Je suis sûr que la Révolution nationale triomphera pour le plus grand bien de la France, de l’Europe et du Monde. 

Quoi qu’il en soit, il faut se prononcer. On est avec moi ou contre moi. Et cette pensée est surtout vraie pour les serviteurs de l’Etat et d’abord de vous qui êtes les premiers. Telle est la portée du serment que je suis venu entendre.

La gravité du péril intérieur et extérieur rend plus affirmative que jamais ma résolution de m’appuyer sur tous les éléments sains du pays, rassurés par ma volonté de mettre les autres hors d’état de nuire.

J’ai le souci de l’enfance, printemps de la nation. Je pense aux pères de famille, ces grands aventuriers des temps modernes. Ma sollicitude paternelle qui s’étend à tous va d’une façon particulière à ceux qui s’usent aux consignes les plus ingrates, pour la rémunération la plus modeste et la plus incertaine.

Mais la réforme matérielle ne me satisfait pas. Je veux par surcroît la réforme morale.

Après la paix, le premier besoin des peuples est l’ordre, l’ordre dans les choses, dans les institutions, dans la rue, dans les entreprises. Tout porte à croire que dans la France de demain, le Conseil d’Etat animé par l’esprit nouveau du régime saura jouer son rôle.

J’attends, messieurs, la prestation de votre serment.

Le vice-président Porché lui répondit non sans emphase :      

Le Conseil d’Etat entend non se borner à un geste, mais accomplir un acte. Vous êtes ici devant votre Conseil. Vous restituez une tradition morte depuis le grand empereur dont le nom est inséparable de notre institution ; à un tel témoignage de confiance, comment ne répondrions-nous pas, non du bout des lèvres, mais du fond du cœur, par une promesse de fidélité !

*   *   *

Ces mesures d’ordre politique furent suivies par d’autres, qui visaient la reprise en main, et tout particulièrement avec l’institution des préfets de région et l’étatisation de la police. Le régime s’organisait pour tenir, mais quelques mois plus tard, en avril 1942, il fallait se résoudre à rappeler Pierre Laval.

Les vœux

La réception du corps diplomatique pour les vœux de début d’année permet d’apprécier, au fil des ans, les lourdes évolutions. 

I – Janvier 1941

Le Journal officiel du 2 janvier 1941, page 17, publiait sous le titre « réception du corps diplomatique » l’allocution de son Excellence Mgr Valetio Valeri, Nonce apostolique, au nom du corps diplomatique, et la réponse du Maréchal Pétain. Les usages diplomatiques interdisent certes une lecture au premier degré : l’emphase est de rigueur. Ceci étant, la teneur générale – confiance et sérénité – ne trompe pas, et dans l’allocution comme dans la réponse. 

D’abord Monseigneur Valetio Valeri.

Monsieur le Maréchal,

C’est pour moi un honneur auquel je suis très sensible d’avoir à me faire auprès de votre personne, en ce jour de l’An, l’interprète unanime du corps diplomatique.

Mes collègues et moi avons suivi avec la plus profonde et douloureuse sympathie les évènements qui, durant la guerre, ont endeuillé le sol de la France. Nous fûmes les témoins attristés du cortège de misères et de souffrances qui s’abattit sur son peuple.

Mais, avant que l’année 1940 n’ait pris fin, le corps diplomatique a eu sous les yeux le spectacle d’un redressement national rapide et généreux. Ce redressement fait bien présager l’avenir ; il donne l’assurance que la France saura garder parmi les nations, en dépit de toutes les difficultés, la place à laquelle lui convient sa glorieuse histoire et l’apport magnifique qu’à toutes les époques elle a fait à la civilisation.

C’est votre prestige incomparable, monsieur le maréchal, l’amour et la confiance que met en vous le peuple français, qui permettent au redressement actuel de s’opérer. Vous avez su ramasser autour de votre personne les plus belles énergies du pays. Sous votre conduite, elles travaillent à orienter la France vers un avenir qui s’inspirera de sa grande tradition nationale, gardienne et gage de son bonheur. N’est-ce pas le sens que revêtent tant de dispositions déjà prises par votre Gouvernement pour donner la place qui leur appartient aux valeurs éternelles de la famille et du travail, pour susciter aussi dans le peuple français un attachement plus fort à la terre, nourricière féconde des générations passées ?

L’année qui s’ouvre n’est donc pas sans espérance. Puissent ces lueurs se faire toujours plus vives, et se transformer enfin en une lumière ferme et bienfaisante. Ce sera sans doute au jour où l’Europe entière aura retrouvé sa paix, réalisée dans la collaboration et la compréhension mutuelle, dans la justice et dans l’amour.

Et la réponse. 

Monsieur le Nonce,

Je suis particulièrement sensible aux vœux que Votre Excellence veut bien m’exprimer pour mon pays et pour ma personne tant en son nom que comme l’interprète des sentiments du corps diplomatique. Je vous en remercie sincèrement ainsi que vos éminents collègues. La sympathie que vous inspirent les épreuves de la France, la foi que vous placez dans son redressement, la compréhension avec laquelle vous appréciez, à cet égard, mes efforts et ceux de mon gouvernement, me touchent profondément.

L’année qui vient de s’écouler a été, en effet, pour mon pays, une année sanglante, une année de souffrances et de deuil. Chacun a le devoir d’en méditer le sens, mais il puisera dans cette méditation les raisons et la volonté d’espérer.

La France occupe une place trop grande dans la civilisation chrétienne de l’Occident pour que celle-ci puisse subsister sans elle.

En retrouvant sa véritable tradition, sa vraie vocation, mon pays reprendra, j’en suis sûr, la place qui lui revient parmi les nations Ainsi que vous l’avez délicatement souligné, c’est à cette œuvre que s’appliquera mon Gouvernement dont l’ambition est de promouvoir dans une harmonieuse synthèse la vie spirituelle, les forces morales et le sens national du pays.

La France sait qu’elle devra affronter des épreuves et des souffrances, mais elle veut faire confiance à l’avenir, croire au monde nouveau qui retrouvera une paix durable dans une compréhension mutuelle, un sage équilibre et le respect des grandes valeurs historiques. Pour sa part, mon pays aspire à collaborer, dans toute la mesure de ses moyens, à l’édification de ce monde nouveau. 

II – Janvier 1942

Le 4 janvier 1942, page 58, publiait un message du maréchal Pétain, illustrant la rupture de ton en une année : « L’unité des esprits est en péril. » 

Message du Maréchal de France, chef de l’Etat français – 1° janvier 1942

Français,

La guerre s’étend aujourd’hui aux cinq parties du monde. La planète est en flamme, mais la France reste en dehors du conflit.

Elle n’assiste pas moins avec angoisse à la lutte qui met aux prises six grandes nations. C’est qu’elle ne saurait, ni moralement, ni matériellement se désintéresser de tels évènements.

Puissance européenne, la France connaît ses devoirs envers l’Europe.

Puissance maritime et coloniale, elle possède un vaste empire libre, mais exposé à bien des dangers.

Puissance civilisatrice, elle a conservé dans le monde, malgré la défaite, une position spirituelle privilégiée.

Cette situation particulière de la France ne peut échapper à l’attention de l’Allemagne. Elle lui suggèrera, nous l’espérons, une atténuation du statut qu’elle nous a imposé après sa victoire. Le rapprochement sincère des deux nations, souhaité par les Gouvernements et par les peuples, en découlera. Notre dignité s’en trouvera restaurée ; notre économie, soulagée.

Mais la conduite d’une politique française, inspirée par les seuls intérêts français, exige le resserrement de l’unité nationale.

Or, l’unité des esprits est en péril.

Le désarroi ne provient pas seulement de l’amertume qui succède à toute grande détresse nationale et de la lassitude qu’entraîne un second hiver d’armistice et de misère.

D’autres causes contribuent à l’entretenir : l’individualisme, le goût des affaires et l’abus du profit, la préoccupation de maintenir hors d’atteinte un avantage ou un refuge.

Aux maux les plus affreux de l’avant-guerre : haine des classes, hostilité des campagnes et des villes, viennent aujourd’hui s’ajouter l’incompréhension et les heurts entre les deux zones.

Ce relâchement traduit une situation de fait, la France ne se sent plus mobilisée ; elle a laissé se détendre ses ressorts ; elle s’est attardée aux mirages décevants d’une « fausse paix » ; beaucoup de fonctionnaires ne donnent pas à l’Etat tout l’effort qu’ils lui doivent.

Or, c’est l’heure où le pays risque d’être engagé dans de graves difficultés pour son existence et pour son unité. La guerre, sous d’autres formes, continue. La France n’a le droit, ni de s’endormir, ni de se déchirer.

Cette mobilisation ne peut souffrir aucun délai. Elle ne peut davantage admettre aucun déserteur.

J’ai le devoir d’appeler « déserteurs » tous ceux qui, dans la presse comme à la radio, à l’étranger comme en France, se livrent à d’abjectes besognes de désunion, et tous ceux qui, dans le pays, recourent à la calomnie et à la délation.

J’ai le devoir de considérer comme des « adversaires » de l’unité française, les trafiquants du « marché noir » et les nouveaux riches de la défaite, dont les millions hâtivement amassés sont faits de nos souffrances.

J’ai le devoir de considérer comme des ennemis de la révolution nationale les détracteurs systématiques de l’œuvre de rénovation entreprise par le Gouvernement, en particulier : certains professionnels de l’ancien syndicalisme, qui tentent de saborder la charte du travail, et certains patrons antisociaux qui se soustraient, par égoïsme ou par espoir de revanche, à nos communes obligations de reconstruction sociale.

Tous ces hommes, comme quelques parlementaires, sont restés trop attachés à  certains intérêts pour pouvoir se libérer d’anciennes servitudes et pour répondre aux aspirations d’un pays dont la doctrine nouvelle exige d’être appliquée par des hommes nouveaux.

La révolution nationale n’est pas encore passée du domaine des principes dans celui des faits. C’est le vrai grief et la grande inquiétude de beaucoup de Français.

J’y suis profondément sensible. Mais je demande que l’on mesure l’ampleur et les difficultés de notre tâche. L’obligation où nous sommes de vivre souvent au jour le jour, d’administrer deux zones avec les exigences de l’occupation, la pénurie des matières premières, la survivance d’un vieil esprit bureaucratique, destructeur d’initiatives et qui ne disparaîtra qu’avec le temps.

Au demeurant, cette révolution, pour être nationale, doit être l’œuvre de la nation. Elle exige de tous, à défaut d’un enthousiasme que les circonstances ne favorisent pas, une adhésion sincère de l’esprit, une acceptation réfléchie du sacrifice. 

Avant de passer dans les faits, la révolution doit d’établir dans les mœurs. Ce serait trop attendre de l’Etat que de compter sur sa seule action pour transformer en quelques mois les mœurs et les consciences françaises. Chacun doit y mettre du sien.

Le Gouvernement n’en pas moins des devoirs dont je lui rappelle chaque jour l’urgence et la portée. Ces devoirs sont à la mesure des exigences légitimes du pays. Or le pays veut être administré, ravitaillé, entendu.

L’administration vient d’être confiée à des préfets régionaux dont l’autorité s’affirme chaque jour et dont les premières décisions donnent déjà bon espoir.

Le ravitaillement s’est amélioré dans certaines régions, aggravé dans d’autres et ne connaîtra d’avenir meilleur que dans la mesure où la paysannerie française comprendra la nécessité du grand effort de production qui vient de lui être demandé.

Comme au temps de Sully, elle demeure le véritable espoir de notre pays, sa meilleure réserve. A l’ampleur et à la qualité de son effort se mesureront les avantages moraux et matériels qu’elle est droit d’espérer.

D’étroits contacts entre le Gouvernement et la nation ont été prévus dans la constitution. Cette constitution sera bientôt prête. Mais elle ne peut être datée que de Paris et ne sera promulguée qu’au lendemain de la libération du territoire.

En attendant, j’ai prescrit la réforme des commissions administratives dans chaque département et la constitution des conseils régionaux. Un premier essai de vie représentative donnera ainsi aux élites rurales et citadines de notre pays l’occasion de faire entendre leur voix, de mieux faire comprendre la sienne.

Mais pour être nationale, notre révolution doit d’abord être sociale.

Je ne veux pour mon pays ni du marxisme, ni du capitalisme libéral.

L’ordre qui doit s’y instaurer ne saurait être qu’un ordre sévère, exigeant à tous les mêmes disciplines, fondé sur la prééminence du travail, la hiérarchie des valeurs, le sens des responsabilités, le respect de la justice ; la confiance mutuelle au sein de la profession. Seul l’appui total donné à son action par les masses ouvrières et paysannes, dotées aujourd’hui, les unes de leur charte, les autres de leur corporation, assurera la victoire de cet ordre nouveau.

Je m’en voudrais de ne point rendre, à la fin de message, un hommage aux absents.

Aux morts tout d’abord. A ceux de la dernière guerre, de Narvik, de Dunkerque, de Saumur, de Mers-el-Kébir, de Dakar et de la Syrie.

Aux prisonniers qui retrouveront la seconde neige de leur long hiver et dont la déception s’accroît de tous les espoirs qu’avait fait naître le dernier été.

A ceux qui souffrent du blocus et qui se défendent comme à Djibouti, avec la plus admirable vaillance.

Je veux aussi rendre hommage à tous ceux qui se sont dévoués à leur tâche et qui ont bien mérité de la patrie ; aux femmes et aux enfants de prisonniers ; aux habitants de la zone interdite si cruellement atteints ; aux chefs de nos chantiers de jeunesse ; aux maires surchargés de travail, accablés de besogne, mais rivés à leur poste pour l’honneur de leurs communes ; au corps enseignant, à ceux de nos professeurs et de nos instituteurs qui ont fait de louables efforts pour rendre l’enseignement plus national, plus viril, plus humain.

Je veux, enfin, rendre hommage à l’empire, à l’empire souhaité de tous les coups du destin et qui m’a manifesté son éclatante fidélité.

A l’Afrique, prolongement de la France au-delà de la Méditerranée ; à l’Indochine ; si fière sous l’épreuve, si grande dans sa sérénité ; à Madagascar, éloignée mais confiante ; à nos Antilles, ces joyaux de la couronne française, aux îles loyales de notre Océanie.

Vos officiers, vos administrateurs, nos missionnaires, nos colons y ont rivalisé du même courage. Nos indigènes, associés à nos charges comme à nos épreuves, se sont révélés de vrais fils de la commune patrie. Je leur exprime, par les arcanes de nos postes, mon admiration et mon remerciement.

Français, si le Gouvernement qui a recueilli l’héritage de la défaite ne peut prétendre obtenir toujours votre adhésion, au moins ses actes tendent-ils à continuer l’Histoire de la France.

Leur place est marquée dans les manuels qui l’enseigneront à vos enfants.

Faites que cette place reste une place d’honneur, que ceux qui viendront après vous n’aient pas à rougir ni de la nation, ni de ses chefs.

Dans l’exil partiel auquel je suis astreint, dans la demi-liberté qui m’est imposée, j’essaie de faire tout mon devoir. Chaque jour, je tente d’arracher ce pays à l’asphyxie qui le menace, aux troubles qui le guettent. Aidez-moi.

Faites la chaîne en me tendant la main. Prenez chaque jour sur vous-mêmes, de petites victoires. Rapprochez-vous davantage les uns des autres. Rouvrez vos cœurs à l’espérance. Tous unis nous sauverons notre pays.

Vive la France !

III – Janvier 1943

Pour 1943, le Journal officiel s’en était tenu à un communiqué laconique.

Réception du corps diplomatique le 1° janvier 1943

M. le maréchal de France, chef de l’Etat, a reçu le 1° janvier, à 11 heures, à l’hôtel du parc, MM. les chefs de mission diplomatique accompagnés de leurs principaux collaborateurs.

M. le maréchal avait à ses côtés M. le président Laval, chef du Gouvernement, ministre secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, et M. Rochat, ambassadeur de France, secrétaire général aux affaires étrangères ; il était accompagné des membres de ses cabinets civil et militaire.

Son excellence Mgr Valerio Valeri, nonce apostolique, doyen du corps diplomatique, a présenté ses vœux à M. le Maréchal.

M. le Maréchal, chef de l’Etat, prenant à son tour la parole, a remercié Son Excellence le nonce apostolique et le corps diplomatique de leurs vœux et leur a adressé, ainsi qu’aux pays, souverains et chefs d’Etat qu’ils représentent, ses meilleurs souhaits pour l’année nouvelle.

IV – Janvier 1944

Le Journal officiel du 4 janvier 1944, page 66, faisait état de la réception du corps diplomatique le 1° janvier 1944.

D’abord, Monseigneur Valerio Valeri, nonce apostolique, doyen du corps diplomatique.

Monsieur le Maréchal,

La course du temps, toujours aussi rapide malgré les tristesses de l’heure, nous rassemble de nouveau autour de votre vénérée personne.

Mes distingués collègues, MM. les chefs de mission et moi-même, sommes heureux de venir vous exprimer, au nom de nos souverains et chefs d’Etat respectifs, les vœux que nous formons au seuil de l’année nouvelle.

A dire la vérité, leur objet n’a pas varié, et hélas ! Il ne le pouvait pas. C’est toujours la paix, qu’après plus de quatre ans d’une guerre dévastatrice, nous souhaitons à la France et à chacun de nos pays.

Nonobstant la longueur et la durée de l’épreuve, l’espoir se rallume au commencement de ce 1944 et nous aimons à croire qu’avant sa fin l’aube d’une ère nouvelle paraîtra à l’horizon.

A cette nouvelle ère de féconde construction aussi bien que de pacifique collaboration entre les nations, la France apportera, sans doute, son indispensable concours dans l’union autour de principes qui ont présidé par le passé à ses glorieuses destinées et que vous vous êtres plu à rappeler si souvent. 

Ce sont nos vœux les plus sincères, monsieur le Maréchal. Nous y ajoutons ceux que nous formons pour votre personne, demandant à la divine providence de vous conserver encore longtemps dans cette vigueur de corps et d’esprit dont vous donnez à tous un si magnifique exemple.

Suit la réponse.

Monsieur le Nonce,

Les vœux que votre Excellence veut bien m’exprimer, tant en son nom personnel qu’au nom du corps diplomatique, me touchent profondément. Je vous en remercie de tout mon cœur ainsi que vos éminents collègues.

Nous entrons dans une nouvelle année de souffrance. La guerre ne cesse de s’étendre et d’aggraver ses ravages et nul n’est plus à l’abri de ces coups.

Plaise au ciel que les nations et leurs chefs, en pleine conscience de leurs redoutables responsabilités, s’élèvent au-dessus des angoisses de l’heure pour sauver une civilisation mise en péril par l’affaissement des forces spirituelles en face de progrès techniques qui entraînent les peuples vers la barbarie.

La France, à qui on ne saurait dénier la place qui lui revient dans un monde réorganisé, souhaite ardemment s’associer à tout effort pour arrêter ou du moins atténuer la catastrophe.

C’est dans ces sentiments que l’adresse à mon tour à Votre Excellence ainsi qu’à ses collègues les vœux très sincères que je forme pour leur bonheur personnel, pour celui des souverains et chefs d’Etat qu’ils représentent ainsi que pour la prospérité de leur pays.

LAVAL et l’adaptation de la constitution 

Pierre Laval avait quitté ses fonctions de chef du gouvernement le 13 décembre 1940, dans des conditions restées inédites : se croyant homme de confiance, il venait d’organiser les modalités d’un premier voyage à Paris pour le Maréchal, pour être dans la soirée démissionné et aussitôt placé en résidence surveillée sur ordre du maréchal. Avec l’appui des Allemands, Pierre Laval avait obtenu de se rendre à Paris, où il avait conforté ses réseaux. Son pragmatisme et son savoir-faire en faisaient un contact sûr pour les autorités allemandes. Le tour de vis qui avait suivi le discours du vent mauvais, le 12 août 1941, et la relance des projets de la révolution nationale n’avaient pas suffi. En ce printemps 1942, le maréchal devait se résoudre à se séparer du fidèle amiral Darlan, usé jusqu’à la corde, et rappeler celui qui, après lui avoir assuré la prise du pouvoir, pouvait lui offrir le plus de stabilité, Pierre Laval. 

I – Avril 1942

Pour Pierre Laval, le retour aux affaires, en avril 1942, s’inscrivait dans un contexte très dégradé, mais avec le choix assumé de la collaboration – donc de la victoire allemande – le risque valait la peine d’être couru. Laval affirmait alors qu’il n’y avait que deux rôles importants, le sien à Vichy et celui de de Gaulle à Londres. 

Son calamiteux procès de 1945 n’a concerné que la première période, à savoir juin 1940 et son rôle dans le vote de la loi d’habilitation, et non la période postérieure à avril 1942, au cours de laquelle il a assumé l’état milicien. S’agissant de juin 1040, l’ancien avocat avait rodé ses arguments : il n’était pas au gouvernement lorsqu’à été décidé l’armistice ; il a fait voter une loi qui mentionnait la République et qui prévoyait une ratification des projets constitutionnels par le peuple ; il avait été vice-président du conseil, sans portefeuille, et ce n’était pas faute d’avoir réclamé les affaires étrangères ; très peu de lois portaient sa signature ; et la facilité avec laquelle il avait été remercié le 13 décembre 1940 établissait quelle était la réalité de son poids politique pendant les premiers mois du régime… Le tableau de ce Pierre Laval marginalisé dans son propre gouvernement correspond au choix de sa posture en second plan, tirant les manettes: il fut l’un des inspirateurs de la collaboration, et était vite devenu le contact privilégié des Allemands, ce qui lui avait permis d’organiser la rencontre de Montoire. Et il se rendait à Paris avec de grande facilité, alors que le ministre des affaires étrangères, Paul Beaudouin, attendait les visas. Mais avril 1942 marque une rupture, car à parti de cette il était l’homme fort, plaçant tous ses espoirs dans l’Etat milicien. 

Sur le plan institutionnel, Pierre Laval redevenait vice-président du conseil, nommé par le maréchal Pétain. Mais si le titre était inchangé, la fonction n’avait plus rien à voir. Echaudé par les conditions de son exclusion en décembre 1940, Pierre Laval avait obtenu une révision de la constitution, par un acte n° 11 du 8 avril 1942, qui créait une fonction de chef du gouvernement. Le Maréchal Pétain restait l’autorité suprême, et le chef du gouvernement était responsable devant le chef de l’Etat. Cette restructuration constituait un recul considérable pour le Maréchal Pétain, qui il est vrai ne présentait pas que des inconvénients : alors qu’il fallait se résoudre à constater les échecs de la Révolution nationale, cette posture permettait de sauvegarder l’image du patriarche, au-dessus de la mêlée, pendant que Pierre Laval accumulait les mécontentements.

Acte constitutionnel n° 11 du 8 avril 1942

Nous, Maréchal de France, chef de l’Etat français,

Vu l’acte constitutionnel n° 2 du 11 juillet 1940,

Décrétons :

Article unique. – La direction effective de la politique intérieure et extérieure de la France est assurée par le chef du Gouvernement, nommé par le chef de l’Etat et responsable devant lui.

Le chef du Gouvernement présente les ministres à l’agrément du chef de l’Etat ; il lui rend compte de ses initiatives et de ses actes. 

Le 20 avril, Pierre Laval s’adressait aux Français par une allocation radiodiffusée : la ligne était le soutien à l’Allemagne qui conduisait le combat contre le bolchevisme. 

« Le gouvernement fera son devoir pour tâcher de réduire vos souffrances et chaque fois que nous le pourrons sans risques, nous nous efforcerons de vous rendre cette liberté à laquelle vous êtes si justement et si profondément attachés. Au monde du travail, je veux dire qu’il n’a rien à redouter mais tout à espérer du régime qui doit naître. Cette guerre porte en elle les germes d’une véritable révolution. (…) Le combat gigantesque que mène l’Allemagne contre le bolchevisme n’a pas seulement étendu la guerre, il en a révélé le sens ».

Sur le plan institutionnel, les quatre ans de Vichy se scindaient nettement entre un avant et un après avril 1942. La période des pleins pouvoirs de Pétain, résultant de l’application de l’acte n° 2, avait durée moins de deux ans. Avec, cet acte n° 2, la constitution n’était plus la même. De plus, Pierre Laval organisa très vite une centralisation du pouvoir, cumulant les fonctions ministérielles, et rattachant nombre d’administration directement à ses services. 

II – Novembre 1942

Le phénomène s’est accéléré après le débarquement du 8 novembre. Pierre Laval voulait toutes les commandes, et c’était l’objet de l’acte constitutionnel n° 12, du 17 novembre, vite aménagé en 12 bis : Pierre Laval exerçait lui-même le pouvoir législatif.

1/ Acte 12 : Laval exerce le pouvoir législatif 

Le Journal officiel du 19 novembre 1942, page 3833, publiait – fait unique – sous le titre « actes constitutionnels », le procès-verbal de la séance du conseil de ministres du 17 novembre 1942. Alors que la Wehrmacht avait envahi la zone Sud, le ton était au ressaisissement. Le gouvernement qui avait perdu ses terres africaines et n’avait plus le contrôle de la zone sud, entendait montrer qu’il s’organisait pour passer le cap. Le maréchal Pétain vantait « le patriotisme et la clairvoyance » de Pierre Laval, pour lui accorder la compétence législative.  

« Le 17 novembre 1942, à treize heures, les ministres et secrétaires d’Etat se sont réunis en conseil à l’hôtel du Parc, sous la présidence du Maréchal de France, chef de l’Etat.

« A l’issue de ce conseil, un procès-verbal, signé par le Maréchal Pétain et le président Laval, a été établi et il a été décidé de procéder à son insertion au Journal officiel.

Procès-verbal de la séance du conseil des ministres du 17 novembre 1942

« Le chef du Gouvernement a fait un exposé de la situation politique et militaire.

« Il a fait état, notamment, des renseignements que l’amiral Platon a rapportés de la mission qu’il vient d’accomplir en Tunisie.

« Tenant compte des circonstances exceptionnelles, le maréchal, qui continue, comme chef de l’Etat, à incarner la souveraineté française et la permanence de la patrie, a décidé de donner au président Laval les pouvoirs qui sont nécessaires à un chef de Gouvernement pour lui permettre de faire face rapidement, à toute heure et en tout lieu aux différentes difficultés que traverse la France.

Le maréchal a déclaré qu’il avait pu apprécier en toutes circonstances le patriotisme et la « clairvoyance de M. Laval. Il a rendu hommage au courage avec lequel le chef du Gouvernement sait prendre ses responsabilités.

« Le chef du Gouvernement a remercié le chef de l’Etat de la confiance qu’il lui manifestait en ces heures tragiques et l’a assuré de sa volonté de servir la France de toute son intelligence et de tout son cœur.

« Il espère que ses efforts, dont il lui rendra compte, permettront d’assurer le salut du pays. »

Suivait la publication de l’acte constitutionnel n° 12.

Acte constitutionnel n° 12

17 novembre 1942

Article unique. – Hors les lois constitutionnelles, le chef du Gouvernement pourra, sous sa seule signature, promulguer les lois ainsi que les décrets.

La loi d’habilitation du 11 juillet 1940 était bien loin. Seules les questions constitutionnelles échappaient à Pierre Laval, mais l’intérêt était faible : l’actualité n’était pas, c’est le moins que l’on puisse dire, à la réforme du régime. Et quand Pierre Laval voulu une adaptation constitutionnelle, il l’obtint sans difficulté,… ce dès le 26 novembre, avec l’acte constitutionnel n° 12 bis qui l’autorisait à exercer le pouvoir législatif « en cabinet ».

L’acte constitutionnel n° 12 donnait la compétence législative à Pierre Laval, … mais ne la retirait pas au maréchal ! De telle sorte, il existait deux organes disposant cumulativement du pouvoir législatif, ces deux organes étant incarnés par deux hommes qui, alliés d’infortune, se détestaient. De plus, le maréchal remettait à Pierre Laval une lettre secrète, daté du jour de l’acte constitutionnel, lui fixant les limites de son action.

1°. – Vous n’engagerez ni ne laisserez engager directement ou indirectement la France dans une guerre contre quelque puissance que ce soit. Je vous rappelle à ce sujet que, constitutionnellement, moi seul peux déclarer la guerre, et que je ne peux le faire sans l’assentiment des assemblées législatives. 

Vous ne constaterez pas davantage un acte de belligérance entre la France et une nation ou une puissance militaire quelconque.

2°. – Soucieux de remplir à l’égard de tous les Français les devoirs que l’humanité et l’honneur national imposent, vous garantirez la sécurité personnelle et matérielle absolue des Alsaciens-Lorrains et des détenus politiques.

3°. – Vous respecterez les traditions spirituelles de la France en protégeant de toute atteinte notamment les convictions religieuses et philosophiques, l’exercice du culte, les droits de la famille, les mouvements de jeunesse, le respect de la personne humaine, etc.…

Je précise enfin que, si la délégation que je vous donne, sous ces trois conditions, s’étend à toutes les lois et à tous les décrets, elle ne vous donne pas compétence pour promulguer des actes constitutionnels.

Le 1° atteint les sommets : Pierre Laval se voyait rappeler que seul le Maréchal pouvait décider de déclarer la guerre, et encore avec l’assentiment des assemblées législatives. Propos de grande actualité quand toute activité de ces assemblées était suspendue, et que les troupes allemandes avaient envahi l’ensemble du pays quelques jours plus tôt. Quant à la protection des convictions religieuses » et au « respect de la personne humaine, etc.» … Quarante mille Juifs avaient déjà été déportés, et autant le seraient dans les mois qui suivraient.

C’est Pierre Laval qui exercera l’essentiel du pouvoir législatif, mais la signature du maréchal Pétain fera encore des apparitions, plus ou moins régulières. 

2/ Acte 12 bis : Laval exerce le pouvoir législatif en cabinet

Nouvelle réforme constitutionnelle, neuf jours après celle du 17 novembre : Pierre Laval voulait avoir les mains libres, et n’être tenu par rien, pas même le conseil des ministres. Le Journal officiel du 27 novembre 1942, page 3922, publie l’acte constitutionnel n° 12 « bis », du 26 novembre 1942.

Acte constitutionnel 12 bis

26 novembre 1942

Article unique. – L’article unique de l’acte constitutionnel n° 12 du 17 novembre 1942 est complété par la disposition suivante :

« Le chef du Gouvernement pourra exercer le pouvoir législatif en conseil de cabinet dans les conditions prévues par l’article 1° (§ 2) de l’acte constitutionnel n° 2 ».

3/ Le message du Maréchal Pétain aux Français, le 19 novembre 1942

Après ces événements, qui sont un point de bascule pour le régime, le maréchal se devait de prendre la parole, pour dire que la maison était tenue. En réalité, l’Afrique venait de lui échapper, et désormais tout le territoire était occupé. Le 20 novembre, Georges Mandel et Pierre Reynaud allaient être livrés aux Allemands, et le 27, la flotte française se sabordera à Toulon. 

Ce message du 19 novembre 1942 est un morceau de « langue de bois » : 

Après ces évènements, le Maréchal s’adresse au pays par un message du 19 novembre 1942.

« Français,

« Des officiers généraux au service d’une puissance étrangère ont refusé d’obéir à mes ordres.

« Généraux, officiers, sous-officiers, soldats de l’Armée d’Afrique, n’obéissez pas à ces chefs indignes.

« Je vous réitère l’ordre de résister à l’agression anglo-saxonne.

« Nous vivons des heures tragiques. Le désordre règne dans les esprits.

« Vous écoutez des nouvelles qui n’ont d’autre but que de vous diviser et de vous affaiblir.

« La vérité est simple. Faute de vous plier à la discipline que j’exige de chacun, vous mettez votre pays en danger.

« Dans l’intérêt de la France, j’ai décidé d’accroître les pouvoirs du président Laval, pour lui permettre de remplir une tâche difficile.

« L’union est, plus que jamais, indispensable.

« Je reste votre guide.

« Vous n’avez qu’un seul devoir : obéir.

« Vous n’avez qu’un seul gouvernement : celui que j’ai le pouvoir de gouverner.

« Vous n’avez qu’une Patrie que j’incarne : la France ».

Philipe Pétain

4/ Deux textes annexes, mais significatifs

  • Darlan et Giraud sont déchus de la nationalité française

Par décret n° 3578 du 27 novembre 1942, Darlan et Giraud sont déchus de la nationalité française.

Le chef du Gouvernement,

Vu l’acte constitutionnel n° 12 ;

Sur le rapport du garde des sceaux, ministre secrétaire d’Etat à la justice ;

Vu l’article 1° de la loi du 28 février 1941 complétant la loi du 23 juillet 1940,

Décrète :

Art. 1°. – Sont déchus de la nationalité française à partir de la date du présent décret :

Darlan (Jean-Louis-Xavier-François), né le 7 août 1881 à Nérac (Lot-et-Garonne), amiral de la flotte, ex-commandant en chef des forces militaires de terre, de mer et de l’air.

Giraud (Henri-Honoré), né le 18 janvier 1879 à Paris, général d’armée.

  • Prévention des manifestations du 11 novembre

Un texte a priori curieux : la confiscation des phonographes, haut-parleurs, appareils radiophoniques et des instruments de musique, par la loi n° 935 du 10 novembre 1942. 

Art. 1°. – L’article 472 du code pénal est complété par un deuxième alinéa ainsi conçu :

« Pourront l’être aussi les phonographes, haut-parleurs, appareils radiographiques et tous autres instruments de musique ayant fonctionné en contravention avec les règlements ou arrêtés visés à l’article 471, n° 15 ».

De quoi s’agit-il ?

Le 15° alinéa de l’article 471 punit de peines d’amendes l’infraction aux arrêtés municipaux. La date de la loi – le 10 novembre 1942 – parle : il s’agit de faire face aux regroupements commémorant le 11 novembre 1918. Une mesure de prévenance à l’égard des Allemands, alors qu’à la suite du débarquement américain du 8, les troupes allemandes ont occupé la zone sud le 11 novembre, … et que la loi n’est publiée que le 4 décembre. 

*   *   *

Un dernier soubresaut constitutionnel a eu lieu en 1944. Le maréchal réunissait encore les foules, comme à Paris le 26 avril 1944 ou à Saint-Etienne le 6 juin 1944, mais le général de Gaulle avait réussi un vaste rassemblement autour de lui, et il avait été acclamé lors de sa visite à Ajaccio. Aussi, le maréchal a-t-il envisagé de reprendre l’initiative, en annonçant un retour au parlementarisme, avec de prochaines élections. Les autorités allemandes se sont opposés à cette allocution, et la réponse du maréchal a été… de faire la « grève de chef de l’Etat ». Passé quelques jours, le Führer a envoyé son émissaire pour exposer le cours nouveau que doivent prendre les choses : le maréchal allait être assisté d’un représentant permanent du pouvoir allemand, et le groupe des « collaborationnistes » allait faire son entrée au gouvernement. Le maréchal Pétain a tout accepté, et Joseph Darnand est devenu secrétaire général de la police, assumant toute la compétence pour le maintien de l’ordre. 

Les premières ordonnances du Conseil de Défense de l’Empire

Une autre histoire avait commencé à Londres. Sur le plan juridique, elle s’est ouverte le 27 octobre 1940, avec deux premières ordonnances prises au nom du Conseil de l’Empire, signées de Charles de Gaulle, depuis Brazzaville.

Ordonnance n° 1

Au nom du Peuple et de l’Empire français,

Nous, Général de Gaulle, chef des Français Libres,

Ordonnons :

Article premier. – Aussi longtemps qu’il n’aura pu être constitué un gouvernement français et une représentation du peuple français réguliers et indépendants de l’ennemi, les pouvoirs publics, dans toutes les parties de l’Empire libérées du contrôle de l’ennemi, seront exercées, sur la base de la législation française antérieure au 23 juin 1940, dans les conditions qui suivent.

Art. 2. – Il est institué un Conseil de Défense de l’Empire, qui a pour mission de maintenir la fidélité à la France, de veiller à la sécurité extérieure et à la sûreté intérieure, de diriger l’activité économique et de soutenir la cohésion morale des populations des territoires de l’Empire.

Ce Conseil exerce, dans tous les domaines, la conduite générale de la guerre, en vue de la libération de la patrie et traite avec les puissances étrangères des questions relatives à la défense des possessions françaises et aux intérêts français.

Art. 3. – Les décisions sont prises par le Chef des Français Libres, après consultation, s’il y a lieu, du Conseil de Défense de l’Empire.

Celles de ces décisions qui ont un caractère général sont arrêtées sous forme d’ordonnances promulguées au Journal officiel de l’Empire et, provisoirement, au Journal officiel de l’Afrique équatoriale française. Ces ordonnances ont, suivant leur contenu, force de loi ou de décret à partir de leur promulgation.

Art. 4. – Le Conseil de Défense pourvoira à la constitution des corps qui exerceront les attributions de juridiction normalement dévolues au Conseil d’Etat, à la Cour de cassation et, éventuellement, à la Haute Cour de Justice.

Art. 5. – Les pouvoirs administratifs normalement dévolus aux ministres sont exercés par les directeurs de services nommés par le Chef des Français Libres.

Art. 6. – Le siège du Conseil de Défense est placé où il convient pour exercer la direction de la guerre dans les meilleures conditions.

Art. 7. – Toutes les dispositions contraires à la présente ordonnance sont abrogées.

Art. 8. – La présente ordonnance sera promulguée au Journal officiel de l’Empire, et provisoirement au Journal officiel de l’Afrique équatoriale française.

Ordonnance n° 2

Au nom du Peuple et de l’Empire français

Nous, Général de Gaulle, chef des Français Libres,

Ordonnons :

Article premier. – Sont nommés membres du Conseil de Défense de l’Empire ; institué par l’ordonnance n° 1 du 27 octobre 1940 : Général Catroux, Vice-amiral Muselier, Général de Larminat, Gouverneur Eboué, Gouverneur Sautot, Médecin-général Sicé, Professeur Cassin, Révérend Père d’Argenlieu, Colonel Leclerc.

Art. 2. – La présente ordonnance sera promulguée au Journal officiel de l’Empire, et provisoirement au Journal officiel de l’Afrique équatoriale française.